ТОП просматриваемых книг сайта:
Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Les esclaves de Paris
Год выпуска 0
isbn 4064066074777
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
L'autre se retourna furieux; mais, apercevant le bonhomme, il sembla fort penaud et murmura:
—Pincé!...
Aussitôt grâce à une brusque contraction de l'épaule, il détordit son bras, aussi droit et aussi sain que l'autre, en réalité, rabattit sa manche et ramassa sa casquette.
—C'est donc ainsi, reprit le père Tantaine, que tu exécutes les commissions dont on te charge!
—Quoi!... elle est faite depuis longtemps, votre commission!
—Ce n'est pas une excuse. Grâce à ma recommandation, M. Mascarot t'a procuré une bonne position, n'est-ce pas? Je te fais assez souvent gagner de l'argent; ainsi, tu ne manques de rien. Il était convenu que tu ne mendierais plus.
—Excusez, bourgeois, je n'en fais plus mon état. Seulement, dame! il fallait bien tuer le temps en vous attendant. D'abord, c'est plus fort que moi, je ne peux pas rester sans rien faire. J'ai récolté sept sous. C'est toujours ça...
—Toto-Chupin, prononça gravement le vieux clerc d'huissier, Toto-Chupin, vous finirez mal; c'est moi qui vous le prédis. Mais arrivons au fait. Qu'as-tu vu?
Ils avaient quitté le coin du pont et remontaient lentement le quai désert, le long des vieux bâtiments de l'Hôtel-Dieu.
—J'ai vu bourgeois, ce que vous m'aviez annoncé, répondait le garnement. A quatre heures précises, une voiture est arrivée sur la place et s'y est arrêtée comme pour y prendre racines, tenez là-bas, en face de la boutique du perruquier. Voiture flambante, cheval superbe, cocher très bien mis!...
—Passe. Il y avait quelqu'un dans la voiture?
—Naturellement. J'y ai reconnu le particulier que vous m'avez dit. Bien vêtu, ma foi! Chapeau rogné, tout plat, pantalon clair, en fourreau de parapluie, veston court, oh! mais d'un court... enfin, le dernier genre. Pour plus de sûreté, comme il faisait déjà sombre, je suis allé le regarder sous le nez. Il était descendu de voiture, vous m'entendez, et il battait la semelle sur le trottoir, avec un cigare non allumé aux dents. Moi, voyant le coup de temps, j'accours avec une allumette en disant: «Du feu, mon prince!» Il m'a donné une pièce de dix sous. Autant de pris. C'était bien lui: laid, petit, ratatiné, cagneux, une figure à gifles avec un pince-nez... un singe, quoi!
Quand Toto-Chupin raconte, le mieux est de le laisser aller. C'est au moins le plus court pour obtenir les renseignements qu'on désire.
Pourtant, le vieux clerc d'huissier s'impatienta.
Qu'est-il arrivé ensuite? demanda-t-il.
—Pas grand'chose. Mon individu n'avait pas l'air content du tout, de faire le pied de grue. Pauvre ami!... Il allait de ci et de là, sur le trottoir, il faisait des moulinets avec sa badine et dévisageait les femmes. Dieu qu'il me déplaît, ce cocodès! Si jamais il vous prend envie de lui repasser une bonne volée, bourgeois, je suis votre homme. Je l'ai toisé, il n'est pas moitié si fort que moi.
—Mais va donc Chupin, va donc.
—Bon, j'y suis! Donc, il était là, c'est-à-dire, nous étions là, depuis une grande demi-heure, quand tout à coup une femme tourne la rue et vient droit au cocodès. Ah! bourgeois, la belle fille! Non, de votre vie, vous n'avez rien vu de si admirable. Moi, j'en suis resté ébloui. Mois quelle misère! Ils se sont mis à parler tout bas.
—Et tu n'as rien entendu?
—Pour qui me prenez-vous, bourgeois?... La belle fille a dit: «—C'est entendu, à demain.» Le cocodès a demandé: «—Bien vrai?» Et elle a répondu: «—Oui, parole d'honneur, vers midi.» Là-dessus ils se sont quittés, elle a regagné la rue de la Huchette, lui est remonté dans sa voiture, et fouette cocher!... En voilà pour cent sous, bourgeois!
La réclamation ne parut nullement choquer le vieux clerc d'huissier.
Il tira de sa poche une pièce de cinq francs et la remit au précoce vaurien en disant:
—Chose promise, chose due. Mais souviens-toi de ma prédiction, Chupin, tu finiras mal. Sur quoi, bonsoir, nous ne suivons pas le même chemin.
Pendant un moment encore, le père Tantaine resta en place, observant Toto qui s'éloignait dans la direction du Jardin des Plantes, et c'est seulement lorsqu'il l'eût perdu de vue, qu'il revint sur ses pas et s'engagea sur le pont.
Il marchait fort vite et semblait aussi satisfait que possible.
—Voilà qui va bien, murmurait-il, je n'ai pas perdu ma journée. J'ai tout prévu, même l'improbable. Flavie sera contente.
II
C'est rue Montorgueil, à quelques pas du passage de la Reine-de-Hongrie, qu'est situé l'établissement du puissant ami du père Tantaine, M. B. Mascarot.
B. Mascarot est directeur d'un bureau de placement pour employés et domestiques des deux sexes.
Deux grands tableaux, accrochés de chaque côté de la porte de la maison, apprennent aux intéressés les demandes et les offres de la journée, et annoncent aux passants que l'agence, fondée en 1844, est encore régie par son fondateur.
C'est sans nul doute à ce long exercice d'une profession ordinairement ingrate, que M. B. Mascarot doit sa réputation et la grande considération dont il jouit, non seulement dans son quartier, mais encore dans tout Paris.
Les maîtres, assure-t-on, n'ont jamais eu à se plaindre d'un serviteur garanti par lui.
Parmi les domestiques, il est avéré qu'il ne procure que des places où on a toutes les douceurs de la vie.
Les employés, enfin, savent très bien que, grâce à ses connaissances, grâce à ses nombreuses relations et ramifications partout, il a toujours un bon emploi au service de qui sait lui plaire.
B. Mascarot a d'autres titres à l'estime publique.
C'est lui qui, le premier, vers 1845, conçut le projet d'organiser en société les «gens de maison». On s'est emparé depuis de son idée et de son programme, mais il n'a pas réclamé.
Il s'est consolé en prenant un associé, un sieur Beaumarchef, et en installant dans la maison même de son agence un hôtel garni où les domestiques sans place trouvent à crédit le logement et la nourriture.
Si ces diverses entreprises ont servi la société, elles ont aussi profité à B. Mascarot.
Il est propriétaire pour partie,—on dit pour un quart,—de la maison qu'il occupe.
Eh bien! c'est devant cette maison, qu'à midi, l'heure convenue, était arrêté Paul Violaine.
Il avait utilisé les cinq cents francs de son vieux voisin, et un confectionneur lui avait improvisé une élégance qui n'était pas de trop mauvais goût.
Même, il était si bien, sous ses nouveaux vêtements, que les femmes qui passaient se retournaient pour le voir encore.
Lui n'y prenait garde. Il avait réfléchi depuis la veille, et maintenant, il se prenait à douter beaucoup du pouvoir de cet inconnu, qui, selon l'expression du père Tantaine, pour faire la fortune de quelqu'un n'avait qu'à le vouloir.
—Un placeur! murmurait-il; sûrement il va me proposer quelque emploi de cent francs par mois!
Cependant, il était un peu ému, et avant d'entrer il étudiait la maison, comme si elle eût pu lui apprendre quelque chose de celui qui l'habitait.
Elle ressemblait à toutes les autres, avec ses deux corps de logis