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Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Les esclaves de Paris
Год выпуска 0
isbn 4064066074777
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—Oui... mais pour envoyer B. Mascarot respirer l'air de Toulon, il faut pincer B. Mascarot, et ce n'est pas précisément l'enfance de l'art. Vienne une alerte sérieuse, et... bonsoir, plus de Mascarot, il disparaît, évanoui, fondu, évaporé!... Peut-on remonter à ces timides joueurs qui sont mes associés. Catenac, l'avare, et Hortebize, l'épicurien? Non, je les ai placés hors de toute atteinte. Inquiéterait-on Croisenois? Jamais. Et il périrait plutôt que de parler. Au fond de tout, on trouverait Beaumarchef, La Caudèle, Toto-Chupin et deux ou trois autres pauvres diables. La belle prise! Ils ne diraient rien, ceux-là, pour cent raisons, dont la première est qu'ils ne savent rien.
Ces raisonnements lui semblaient si péremptoires, qu'il s'oublia jusqu'à rire tout haut.
Puis, d'un geste fier rajustant ses lunettes, il ajouta:
—J'irai droit à mon but, comme un boulet de canon. Ce que je veux, sera. Par Croisenois, j'enlèverai d'un coup quatre millions... j'ai fait mon compte. Paul épousera Flavie... je l'ai juré, et après, pour que Flavie soit heureuse et enviée, elle sera duchesse à trois cent mille livres de rentes...
Ses fiches étaient en ordre.
Il retira d'un tiroir secret de son bureau un petit registre qui ressemblait à un répertoire, avec son alphabet collé le long de la tranche.
Il l'ouvrit, ajouta quelques noms à ceux qui s'y trouvaient déjà et le ressera en disant d'un ton de menace:
—Vous êtes tous là, mes bons amis, tous, et vous ne vous en doutez guère. Vous êtes tous riches, vous êtes heureux et honorés, vous vous croyez libres... Allons donc! Il est un homme à qui vous appartenez, âme, corps et biens, et cet
homme qui vous tient ainsi, c'est B. Mascarot, le placeur de la rue Montorgueil. Vous êtes bien fiers tous, et pourtant, quand il le voudra, vous serez à ses pieds, vous disputant l'honneur de dénouer ses souliers. Or, il va vouloir, mes petits amis, ce bon papa Mascarot, il trouve qu'il a travaillé assez comme cela, il est las des affaires, il veut se retirer et il lui faut servir quelques petites rentes.
Il se tut, on frappait à la porte.
Du bout du doigt il toucha son timbre, et la vibration n'était pas éteinte, que Beaumarchef parut.
—C'est à n'y pas croire, patron, s'écria dès le seuil l'ancien sous-off... Vous m'avez demandé, n'est-ce pas, de compléter le dossier du jeune M. de Gaudelu.
—Après?
—Eh bien, patron, il se trouve que la cuisinière qu'il a donnée à sa petite dame a été placée par nous. C'est une de nos anciennes pratiques de l'hôtel. Même elle nous devait onze francs, et elle nous les apporte; elle est là, c'est une nommée Marie... Voilà un hasard?
B. Mascarot haussa les épaules.
—Tu n'est qu'un sot, Beaumar, prononça-t-il, de t'extasier ainsi. Je t'ai cependant expliqué ce que c'est au juste que le hasard. C'est un champ comme un autre, plus fertile cependant et plus vaste, et qui n'a d'autre propriétaire que les habiles. Or, voici vingt-cinq ans que je l'ensemence, ce champ; c'est s'il ne me donnait pas de récolte, qu'il faudrait s'étonner.
C'est d'un air pénétré que l'ex-sous-off... écoutait son patron, la bouche béante, comme si par cette ouverture les leçons eussent pu entrer en lui plus facilement pour s'aller loger dans les cases de sa cervelle.
—Qu'est-ce que cette cuisinière? demanda le bon placeur.
—Oh!... patron, rien qu'en la regardant, vous le devinerez. C'est une vieille cliente, et il y a longtemps que l'ai classée dans la catégorie D, vous savez: cuisinières à placer près des demoiselles très lancées.
L'estimable placeur n'écoutait plus, il réfléchissait.
—Va me chercher cette fille, dit-il enfin.
Et pendant que Beaumarchef obéissait, il ajouta, répondant à quelque objection de son esprit:
—Négliger le plus léger renseignement est folie, l'expérience me l'a démontré.
Mais déjà la cuisinière de la catégorie D était devant lui, toute fière d'être introduite dans le sanctuaire de l'agence.
Et certes, il n'était besoin que d'un seul coup d'œil pour comprendre les causes déterminantes de la classification de Beaumarchef.
C'est, du reste, avec cette aménité onctueuse qui a établi sa réputation par tout Paris que B. Mascarot l'accueillit.
—Eh bien! ma fille, lui demanda-t-il, vous avez donc trouvé une place à votre convenance et où vous serez selon vos mérites?
—Ma foi, monsieur, je crois que oui. Je ne connais Mme Zora de Chantemille que d'hier à deux heures...
—Ah!... elle s'appelle Zora de Chantemille.
—C'est-à-dire, vous comprenez, c'est un nom comme ça qu'elle a pris. Mais elle s'est assez disputée à ce sujet avec monsieur. Elle voulait, elle, s'appeler Raphaële, mais monsieur en tenait pour Zora, si bien...
—Zora est fort joli, prononça gravement le placeur.
—Tenez, c'est justement ce que nous avons dit à madame, la femme de chambre et moi. Belle personne, du reste, pas regardante, et qui s'entend à faire danser les écus. Je puis vous garantir que, déjà, à mon su, vu et entendu dire, elle a fait dépenser à monsieur plus de trente mille francs.
—Diable!
—Oh! elle va bien. Et tout à crédit, s'il vous plaît. Monsieur de Gandelu n'a pas le sou, à ce que m'a dit un garçon de chez Potel; mais il paraît que son père ne connaît pas sa fortune. Ainsi, hier, pour la crémaillère, comme ils disaient, il y a eu un dîner, mais un dîner!... Enfin, il coûtait plus de mille francs avec les vins.
Jusque-là, le digne placeur n'apercevait pas l'ombre d'un renseignement à utiliser, et il se disposait à congédier sa cliente, lorsque celle-ci, qui avait deviné son intention, reprit vivement:
—Minute! je ne vous ai encore rien dit.
Certainement, B. Mascarot n'attendait rien de cette fille, mais il est patient, mais il a appris à se contraindre, mais il sait qu'un ambitieux, si haut qu'il soit, ne doit jamais repousser un collaborateur, si intime qu'il puisse être, si inutile qu'il paraisse.
Il se renversa donc sur son fauteuil, et d'un air aussi satisfait que s'il eût été prodigieusement intéressé, il dit:
—Voyons le reste.
—Donc, reprit la cuisinière de Rose-Zora, nous avons eu un grand dîner: huit invités, et madame était la seule femme. Ah! monsieur, quels hommes distingués, et aimables, et spirituels, et bien mis!... Mais c'est encore monsieur qui était le mieux.
—Peste!...
—C'est ainsi. Sur les dix heures ils étaient tous très gris. Alors, savez-vous ce qu'ils ont fait? Ils ont envoyé dire au concierge de veiller à ce que personne ne traversât la cour, parce qu'ils voulaient jeter la vaisselle par la fenêtre. Et ils l'ont jetée. Plats, assiettes, verres, bouteilles, tout y a passé. C'est comme cela dans le grand monde. Les garçons de chez Potel m'ont dit que c'est une mode qui a été apportée à Paris par des princes russes.
L'honorable placeur tracassait terriblement ses lunettes. La résignation la plus héroïque a des bornes.
—Enfin, demanda-t-il, qu'avez-vous remarqué de curieux?
—Voilà!... Parmi tous ces messieurs, il y en avait un qui faisait comme une tache dans la société, un grand brun à l'air mauvais, mal mis, et qui ne disait