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Gunnar et Nial scènes et moeurs de la vieille Islande. Anonyme
Читать онлайн.Название Gunnar et Nial scènes et moeurs de la vieille Islande
Год выпуска 0
isbn 4064066084189
Автор произведения Anonyme
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
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«Bien parlé, frère d'armes de mon père! Mais j'y pense, toi qui mêles ensemble dans tes discours tous les maîtres de l'eau et du feu, à quels dieux crois-tu donc toi-même?
—Çà, mon fils, voici ma réponse. M'est avis que, dans le temps où nous sommes, bien des vieilles choses sont en train de disparaître du Nord, pour céder la place à de nouvelles choses qui ne sont pas encore complètement établies. C'est comme qui dirait le jour et la nuit se coudoyant, une aurore et un crépuscule tout ensemble... Au milieu de tout cela, beaucoup n'y voient goutte, et, ainsi que fait le voyageur arrivé au carrefour de deux chemins également inconnus et pleins de mystères, ils s'arrêtent perplexes en se grattant l'oreille. Quel est le bon, et quel est le mauvais? Tel cependant, par habitude prise, continue de croire à Odin et à Thor; tel autre s'en tient à Bielbog, ou à Péran, qu'on vénère chez les Wendes; celui-ci leur préfère Czernebog, le dieu noir; celui-là, au contraire, s'en vient au dieu blanc, et délaisse Thorgerda et Irpa, les vierges du bouclier scandinave, pour celle que les missionnaires d'Othon appellent la vierge Marie... Il y en a, n'est-ce pas? pour les goûts de chacun... Mais, à côté de ces gens-là, il en est d'autres, et je suis du nombre, qui se moquent de toutes ces vétilles, et ne croient absolument qu'en eux-mêmes, je veux dire en leur bonne épée, en leur bras robuste, en leur tête bien attachée aux épaules, en leur navire solidement charpenté, et qui vont ainsi tout droit leur chemin, sans se demander si ce chemin aboutit au paradis du Thor ou à celui des chrétiens, au séjour d'Hela, la sombre déesse, ou à l'enfer dont parlent les moines. Voilà, fils de mon frère d'armes, ma croyance.
—Quel âge as-tu donc au juste?
—Si je vis jusqu'au prochain temps de Jul[25], j'aurai atteint mes soixante-cinq ans.
—C'est à peu près ce que je comptais.
—Mais pourquoi me fais-tu cette question?
—Parce que je trouve que cette foi en soi ne convient qu'aux jeunes hommes, et que peut-être, pour un vieillard, il n'est pas bon de ne pas savoir où l'on doit aller sortir de ce monde.
—Ma parole! s'écria le viking en éclatant d'un rire formidable, tu t'exprimes presque de la même façon que ces prêtres chrétiens que j'ai rencontrés un jour en Gothie, et dont, mes compagnons et moi, nous voulûmes, soit dit en passant, inventorier quelque peu l'église. Par malheur, il n'y avait rien dedans. C'était une pauvre cabane de bois, qui ressemblait aussi peu à ce temple de Thor aux piliers dorés et sculptés et aux statues couvertes de joyaux, qui s'élève tout près de Drontheim, qu'un vieux phoque tel que moi ressemble à une Walkyrie. Une demi-douzaine de vases de fer-blanc, des bouts de cire, quelques linges d'autel tout jaunis, à peine bons pour rapiécer ma voilure, c'était tout ce qui s'y trouvait. Pas même de viande, d'hydromel et de bière; mais de la crème et du lait à foison, que les desservants du sanctuaire nous offrirent et que nous acceptâmes de grand cœur, attendu que nous n'avions pas déjeuné.
—Et comment se termina l'aventure?
—Ma foi, nous nous en allâmes, la crête basse, pendant que les prêtres et les chantres se mettaient en file pour se promener en chantant des hymnes et en agitant des instruments de cuivre d'où sortait une fumée singulière qui vous prenait à la gorge et aux yeux. Ils faisaient, paraît-il, cette promenade autour de l'église en l'honneur de leur grand saint Michel, un ange plus haut placé que les autres, dont c'était la fête ce jour-là... Quand je dis que nous nous en allâmes; non pas tous, il y eut un des nôtres qui nous faussa tout à coup compagnie, sous prétexte que dans son enfance, au pays de Galles, sa patrie, il avait déjà cru au dieu blanc, et que ce qu'il venait de voir et d'entendre avait brusquement réveillé en lui comme un écho de choses oubliées et qu'il voulait essayer de rapprendre... Je te le dis, on en voit de toute sorte quand on quitte pour de bon le coin de son feu, et c'est pourquoi, au prochain varonn[26], je t'emmène avec moi, fils de mon frère d'armes.»
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* *
Ce fut au milieu de ces propos et d'autres semblables que s'écoula l'hiver islandais, et, le moment venu de remettre à la voile, Gunnar, dont les récits de son hôte avaient allumé la curiosité,—il avait alors trente-deux ans environ,—résolut de s'embarquer avec lui.
Comme de coutume, il voulut, sur ce point, prendre conseil de son sage ami Nial, lequel lui répondit brièvement:
«Pars, Gunnar; en quelque lieu du monde que tu ailles, je suis sûr que tu te comporteras comme un vaillant homme que tu es, et peut-être même, depuis bien longtemps, les pays qui sont par delà,—il désignait du doigt le bras de l'Océan qui sépare l'Islande de la Norwège,—n'auront-ils pas vu un homme qui te vaille. Pars, je veillerai pendant ton absence sur ta maison et Ranveige, ta vieille mère.»
À quoi Kulskiag, le frère puîné de Gunnar, plus jeune seulement de quelques années, et qui pour le courage et la force était aussi un digne fils d'Hamund, ajouta aussitôt:
«Gunnar, je pars avec toi, pour revenir avec toi, je l'espère.
—Allez, frères, dit Hort, leur cadet, beau jouvenceau de seize ans à peine; et si, par hasard, vous périssiez là-bas de la main des hommes, il resterait «la querelle de sang», et un jour ou l'autre je me chargerais de vous venger.
—Bah! n'aie point ce souci, s'écria Halvard en riant; quelque chose me dit que la flèche qui tuera Gunnar n'est pas encore près de se voir empennée, ni le fer qui lui traversera les côtes de sortir de la main du forgeron. Quant aux tempêtes, s'il en survient,—et il en surviendra certainement,—j'offre d'avance ma vieille carcasse en rançon à celui des dieux, quel qu'il soit, qui manie le vent et le tonnerre.»
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