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étaient fort pauvres, et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup, parce qu'aucun d'eux ne pouvait encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinait encore, c'est que le plus jeune était fort délicat et ne disait mot, prenant pour bêtise ce qui était une marque de la bonté de son esprit.

      Il vint une année très-fâcheuse, et la famine fut si grande, que ces pauvres gens résolurent de se défaire de leurs enfants.

      Un soir que ces enfants étaient couchés, et que le bûcheron était au coin du feu avec sa femme, il lui dit, le coeur serré de douleur:

      --Tu vois bien que nous ne pouvons plus nourrir nos enfants; je ne saurais les voir mourir de faim devant mes yeux, et je suis résolu de les mener perdre demain au bois; ce qui sera bien aisé, car, tandis qu'ils s'amuseront à fagoter, nous n'avons qu'à nous enfuir sans qu'ils nous voient.

      --Ah! s'écria la bûcheronne, pourrais-tu bien toi-même mener perdre tes enfants?

      Son mari avait beau lui représenter leur grande pauvreté, elle ne pouvait y consentir: elle était pauvre, mais elle était leur mère. Cependant, ayant considéré quelle douleur ce lui serait de les voir mourir de faim, elle y consentit, et alla se coucher en pleurant.

      Il alla se recoucher, et ne dormit point le reste de la nuit, songeant à ce qu'il avait à faire. Il se leva de bon matin, et alla au bord d'un ruisseau, où il remplit ses poches de petits cailloux blancs, et ensuite revint à la maison.

      On partit, et le petit Poucet ne découvrit rien de tout ce qu'il savait à ses frères.

      Ils allèrent dans une forêt fort épaisse, où à dix pas de distance on ne se voyait pas l'un l'autre. Le bûcheron se mit à couper du bois, et ses enfants à ramasser des broutilles pour faire des fagots. Le père et la mère, les voyant occupés à travailler, s'éloignèrent d'eux insensiblement, et puis s'enfuirent tout à coup par un petit sentier détourné.

      Lorsque ces enfants se virent seuls, ils se mirent à crier et à pleurer de toute leur force. Le petit Poucet les laissait crier, sachant bien par où ils reviendraient à la maison; car en marchant il avait laissé tomber le long du chemin les petits cailloux blancs qu'il avait dans ses poches. Il leur dit donc:

      --Ne craignez point, mes frères; mon père et ma mère nous ont laissés ici, mais je vous remènerai bien au logis; suivez-moi seulement.

      Ils le suivirent, et il les mena jusqu'à leur maison par le même chemin qu'ils étaient venus dans la forêt. Ils n'osèrent d'abord entrer, mais ils se mirent tous contre la porte pour écouter tout ce que disaient leur père et leur mère.

      Dans le moment que le bûcheron et la bûcheronne arrivèrent chez eux, le seigneur du village leur envoya dix écus qu'il leur devait il y avait longtemps, et dont ils n'espéraient plus rien. Cela leur redonna la vie, car les pauvres gens mouraient de faim.

      Le bûcheron envoya sur l'heure sa femme à la boucherie. Comme il y avait longtemps qu'ils n'avaient mangé, elle acheta trois fois plus de viande qu'il n'en fallait pour le souper de deux personnes.

      Lorsqu'ils furent rassasiés, la bûcheronne dit:

      --Hélas! où sont maintenant nos pauvres enfants? Ils feraient bonne chère de ce qui nous reste là. Mais aussi, Guillaume, c'est toi qui les as voulu perdre; j'avais bien dit que nous nous en repentirions: que font-ils maintenant dans cette forêt? Hélas! mon Dieu! les loups les ont peut-être déjà mangés: tu es bien inhumain d'avoir perdu ainsi tes enfants.

      Le bûcheron s'impatienta à la fin; car elle redit plus de vingt fois qu'il s'en repentirait, et qu'elle l'avait bien dit. Il la menaça de la battre, si elle ne se taisait.

      Ce n'est pas que le bûcheron ne fût peut-être encore plus fâché que sa femme; mais c'est qu'elle lui rompait la tête, et qu'il était de l'humeur de beaucoup d'autres gens qui aiment fort les femmes qui disent bien, mais qui trouvent très-importunes celles qui ont toujours bien dit.

      La bûcheronne était toute en pleurs:

      --Hélas! où sont maintenant mes enfants, mes pauvres enfants?

      Elle le dit une fois si haut, que les enfants qui étaient à la porte, l'ayant entendue, se mirent à crier tous ensemble:

      --Nous voilà! nous voilà!

      Elle courut vite leur ouvrir la porte, et leur dit en les embrassant:

      --Que je suis aîse de vous revoir, mes chers enfants! Vous êtes bien las et vous avez bien faim; et toi, Pierrot, comme te voilà crotté! viens que je te débarbouille.

      Ils se mirent à table, et mangèrent d'un appétit qui faisait plaisir au père et à la mère, à qui ils racontaient la peur qu'ils avaient eue dans la forêt, en parlant presque tous ensemble.

      Ces bonnes gens étaient ravis de revoir leurs enfants avec eux, et cette joie dura tant que les dix écus durèrent; mais lorsque l'argent fut dépensé, ils retombèrent dans leur premier chagrin, résolurent de les perdre encore, et, pour ne pas manquer le coup, de les mener bien plus loin que la première fois. Ils ne purent parler de cela si secrètement, qu'ils ne fussent entendus par le petit Poucet, qui fit son compte de sortir d'affaire comme il avait déjà fait: mais quoiqu'il se fût levé de bon matin pour aller ramasser des petits cailloux, il ne put en venir à bout, car il trouva la porte de la maison fermée à double tour.

      Le petit Poucet ne s'en chagrina pas beaucoup, parce qu'il croyait retrouver aisément son chemin par le moyen de son pain qu'il avait semé partout où il avait passé; mais il fut bien surpris lorsqu'il ne put en retrouver une seule miette: les oiseaux étaient venus, qui avaient tout mangé.

      Les voilà donc bien affligés; car plus ils marchaient, plus ils s'égaraient, plus ils s'enfonçaient dans la forêt.

      La nuit vint, et il s'éleva un grand vent qui leur faisait des peurs épouvantables. Ils pensaient n'entendre de tous côtés que des hurlements de loups qui venaient à eux pour les manger. Ils n'osaient presque se parler ni tourner la tête.

      Il survint une grosse pluie qui les perça jusqu'aux os; ils glissaient à chaque pas,

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