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Teverino. George Sand
Читать онлайн.Название Teverino
Год выпуска 0
isbn 4064066088002
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—Soyez franche, mon amie; vous ne seriez même pas affligée; vous ririez, et ce serait tout.
—Vous m'accusez de coquetterie? vous n'en avez pas le droit: qu'en savez-vous, puisque vous ne m'avez jamais aimée, et que vous ne m'avez jamais vue aimer personne?
—Écoutez, Sabina, il est certain que je n'ai jamais essayé de vous plaire. Tant d'autres ont échoué! Sais-je seulement si quelqu'un a jamais réussi à se faire aimer de vous? Vous me l'avez pourtant dit une fois, dans un jour d'expansion et de tristesse; mais j'ignore si vous ne vous êtes pas vantée par exaltation. Si je vous avais laissé voir que je suis capable d'aimer ardemment, peut-être eussiez-vous reconnu que je méritais mieux que votre amitié. Mais, pour vous le faire comprendre, il eût fallu ou vous aimer ainsi, ce que je nie, ou feindre, et m'enivrer de mes propres affirmations. Cela eût été indigne de la noblesse de mon attachement pour vous, et je ne sais pas descendre à de telles ruses: ou bien encore, il eût fallu vous raconter les secrets de ma vie, vous peindre mon vrai caractère, me vanter en un mot. Fi! et n'être pas compris, être raillé!... Juste punition de la vanité puérile! Loin de moi une telle honte!
—De quoi vous justifiez-vous donc, Léonce? Est-ce que je me plains de n'avoir que votre amitié? est-ce que j'ai jamais désiré autre chose?
—Non, mais de ce que je m'observe si scrupuleusement, vous pourriez conclure que je suis une brute, si vous ne me deviniez pas.
—A quoi bon vous observer tant, puisqu'il n'y a rien à craindre? L'amour est spontané. Il surprend et envahit, il ne raisonne point, il n'a pas besoin de s'interroger, ni de s'entourer de prévisions, de plans d'attaque et de projets de retraite; il se trahit, et c'est alors qu'il s'impose.
«Voilà une bonne leçon, pensa Léonce, et c'est elle qui me la donne!»
Il sentit qu'il avait besoin d'étouffer son dépit, et, prenant la main de lady G..., il lui dit en la serrant d'un air affectueux et calme:
—Vous voyez donc bien, chère Sabina, qu'il ne peut y avoir d'amour entre nous; nous n'avons dans le coeur rien de neuf et de mystérieux l'un pour l'autre; nous nous connaissons trop, nous sommes comme frère et soeur.
—Vous dites un mensonge et un blasphème, répondit la fière lady en retirant sa main. Les frères et les soeurs ne se connaissent jamais, puisque les points les plus vivants et les plus profonds de leurs âmes ne sont jamais en contact. Ne dites pas que nous nous connaissons trop, vous et moi; je prétends, au contraire, n'être nullement connue de vous, et ne l'être jamais. Voilà pourquoi, au lieu de me fâcher, j'ai souri à toutes les duretés que vous me dites depuis ce matin. Tenez, j'aime mieux aussi ne pas vous connaître davantage. Si vous voulez garder votre fluide magnétique, laissez-moi croire que vous avez dans le coeur des trésors de passion et de tendresse, dont notre paisible amitié n'est que l'ombre.
—Et si vous le croyiez, vous m'aimeriez, Sabina! Il est donc certain pour moi que vous ne le croyez pas.
—Je puis vous en dire autant. Faut-il en conclure que si nous sommes seulement amis, c'est parce que nous n'avons pas grande opinion l'un de l'autre?
«Elle est piquée, pensa Léonce, et voilà que nous sommes au moment de nous haïr ou de nous aimer.»
—M'est avis, dit le curé en fermant son bréviaire, que nous voici bien assez loin, et que nous pourrions, s'il plaisait à Vos Seigneuries, mettre quelque chose sous la dent.
—D'autant plus, dit Léonce, que voici à deux pas, au-dessus de nous, un plateau de rochers avec de l'ombre, et d'où l'on doit découvrir une vue admirable.
—Quoi, là-haut? s'écria le curé qui était un peu chargé d'embonpoint; vous voulez grimper jusqu'à la Roche-Verte? Nous serions bien plus à l'aise dans ce bosquet de sapins, au bord de la route.
—Mais nous n'aurions pas de vue! dit lady G... en passant son bras d'un air folâtre sous celui du vieux prêtre, et peut-on se passer de la vue des montagnes?
—Fort bien quand on mange, répondit le curé, qui, pourtant, se laissa entraîner.
Le jockey conduisit la voiture à l'ombre, dans le bosquet, et bientôt de nombreux serviteurs se présentèrent pour l'aider à chasser les mouches et à faire manger ses chevaux. C'étaient les petits pâtres, épars sur tous les points de la montagne, qui, en un clin d'oeil, se rassemblèrent autour de nos promeneurs, comme une volée d'oiseaux curieux et affamés. L'un prit les coussins du char-à-bancs pour faire asseoir les convives sur le rocher, l'autre se chargea du transport des pâtés de gibier, un troisième de celui des vins; chacun voulait porter ou casser quelque chose. Le déjeuner champêtre fut bientôt installé sur la Roche-Verte, et, en voyant qu'il était splendide et succulent, le curé s'essuya le front et laissa échapper un soupir de jubilation de sa poitrine haletante. On fit la part des petits pages déguenillés, celle des serviteurs aussi, car on avait de quoi satisfaire tout le monde. Léonce n'avait pas fait les choses à demi; on eût dit qu'il avait prévu à quel estomac de prêtre il aurait affaire. Sabina redevint très-enjouée, et avoua que, pour la première fois depuis longtemps, elle avait beaucoup d'appétit. Léonce ayant servi tout le monde, commençait à manger à son tour, lorsque les enfants, assis en groupe à quelque distance, se prirent à s'agiter, à bondir et à crier en faisant de grands mouvements avec leurs bras, comme pour appeler quelqu'un du fond du ravin: «La fille aux oiseaux! la fille aux oiseaux!»
III.
ENLEVONS HERMIONE.
—Taisez-vous, sotte engeance, dit le curé: n'attirez point cette folle par ici; nous n'avons que faire de ses jongleries.
Mais les enfants ne l'entendaient point et continuaient à appeler et à faire des gestes. Sabina, se penchant alors sur le bord du rocher, vit un spectacle fort extraordinaire. Une jeune montagnarde grimpait la pente escarpée qui conduisait à la Roche-Verte, et cette enfant marchait littéralement dans une nuée d'oiseaux qui voltigeaient autour d'elle, les uns béquetant sa chevelure, d'autres se posant sur ses épaules, d'autres, tout jeunes, sautillant et se traînant à ses pieds, dans le sable. Tous semblaient se disputer le plaisir de la toucher ou le profit de l'implorer, et remplissaient l'air de leurs cris de joie et d'impatience. Quand la jeune fille fut plus près et qu'on put la distinguer à travers son cortège tourbillonnant, Léonce et Sabina reconnurent la blonde aux joues vermeilles et aux cheveux d'or pâle qu'ils avaient vue dans l'église une heure auparavant.
Alors le curé se pencha aussi vers le ravin, et, par ses gestes, lui prescrivit de s'éloigner.
La grosse figure et l'habit noir du prêtre firent sur elle l'effet de la tête de Méduse. Elle s'arrêta immobile, et les oiseaux, effarouchés, s'envolèrent sur les arbres qui bordaient le sentier.
Cependant les instances de lady G... et la vue de son verre rempli d'un excellent vin de Grèce qu'on venait d'entamer calmèrent l'ire du saint homme, et il consentit à crier à la fille aux oiseaux:
—Allons, venez faire vos pasquinades devant Leurs Seigneuries, bohémienne que vous êtes!
La jeune fille tenait dans sa main une poignée de grains qu'elle jeta derrière elle le plus loin qu'elle put, et si adroitement, qu'elle sembla seulement faire un geste impératif aux oisillons