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jeune homme, pourraient gloser sur son compte, et la crainte d'être une cause de scandale est devenue si vive dans son esprit que j'ai regardé comme un coup du ciel l'heureux hasard de votre rencontre. Je me suis donc déterminé à vous demander la faveur de votre société pour une ou deux heures de promenade, ou tout au moins pour la reconduire avec moi à sa demeure. Vous êtes si bon, que vous ne voudrez pas priver une aimable personne d'une partie de plaisir vraiment édifiante, puisqu'il s'agit surtout pour nous de glorifier l'Eternel dans la contemplation de son oeuvre, la belle nature.

      —Mais, Monsieur, dit le curé qui montrait un peu de méfiance, et qui regardait attentivement la voiture, vous n'êtes point seul; vous avez avec vous deux autres personnes.

      —Ce sont nos domestiques, qu'un sentiment instinctif des convenances nous a engagé à emmener.

      —Eh bien, alors, je ne vois pas ce que vous pouvez craindre des méchantes langues. On ne fait point le mal devant des serviteurs.

      —La présence des domestiques ne compte pas dans l'esprit des gens du monde.

      —C'est par trop de mépris des gens qui sont nos frères.

      —Vous parlez dignement, monsieur le curé, et je suis de votre opinion. Mais vous conviendrez que, placés comme les voilà sur le siège de la voiture, on pourrait supposer que je tiens à cette dame des discours trop tendres, que je peux lui prendre et lui baiser la main à la dérobée.

      Le curé fit un geste d'effroi, mais c'était pour la forme; son visage ne trahit aucune émotion. Il avait passé l'âge où de brûlantes pensées tourmentent le prêtre. Ou bien possible est qu'il ne se fût pas abstenu toujours au point de haïr la vie et de condamner le bonheur. Léonce se divertit à voir combien ses prétendus scrupules lui semblaient puérils.

      —Si ce n'est que cela, repartit le bonhomme, vous pouvez placer la noire dans la voiture entre vous deux. Sa présence mettra en fuite le démon de la médisance.

      —Ce n'est guère l'usage, dit le jeune homme embarrassé de la judiciaire du vieux prêtre. Cela semblerait affecté. Le danger est donc bien grand, penseraient les méchants, puisqu'ils sont forcés de mettre entre eux une vilaine négresse? Au lieu que la présence d'un prêtre sanctifie tout. Un digne pasteur comme vous est l'ami naturel de tous les fidèles, et chacun doit comprendre que l'on recherche sa société.

      —Vous êtes fort aimable, mon cher Monsieur, et je ne demanderais qu'à vous obliger, répondit le curé, flatté et séduit peu à peu; mais je n'ai pas encore dit ma messe, et voici le premier coup qui sonne. Donnez-moi vingt minutes... ou plutôt venez entendre la messe. Ce n'est pas obligatoire dans la semaine, mais cela ne peut jamais faire de mal; après cela vous me permettrez de déjeuner, et nous irons ensuite faire un tour de promenade ensemble si vous le désirez.

      —Nous entendrons la messe, répondit Léonce; mais aussitôt après, nous vous emmènerons déjeuner avec nous dans la campagne.

      —Vous y déjeunerez fort mal, observa vivement le curé, à qui cette idée parut plus sérieuse que tout ce qui avait précédé. On ne trouve rien qui vaille dans ce pays aussi pauvre que pittoresque.

      —Nous avons d'excellent vin et des vivres assez recherchés dans la caisse de la voiture, reprit Léonce. Nous avions donné rendez-vous à plusieurs personnes pour aller manger sur l'herbe, et chacun de nous devait porter une part du festin. Mais comme toutes ont manqué de parole, excepté moi, il se trouve que je suis assez bien pourvu pour le petit nombre de convives que nous sommes.

      —A la bonne heure, dit le curé, tout à fait décidé. Je vois que vous aviez une jolie partie en train, et que sans moi elle serait troublée par l'embarras de ce dangereux tête-à-tête. Je ne veux pas vous la faire manquer, j'irai avec vous, pourvu que ce ne soit pas trop loin; car je ne manque pas d'affaires ici. Il plaît à l'un de naître, à l'autre de mourir, et c'est tous les jours à recommencer. Allons, avertissez votre dame; je cours à mon église.

      —Eh bien, donc, dit Sabina, qui, en attendant le retour de Léonce, avait pris un livre dans la poche de la voiture et feuilletait Wilhelm-Meister; j'ai cru que vous m'aviez oubliée, et je m'en consolais avec cet adorable conte.

      —Je l'avais apporté pour vous, dit Léonce; je savais que vous ne le connaissiez pas encore, et que c'était la lecture qu'il vous fallait pour le moment.

      —Vous avez des attentions charmantes. Mais que faisons-nous?

      —Nous allons à la messe.

      —L'étrange idée! Est-ce en me faisant faire mon salut que vous comptez me divertir?

      —Il vous est interdit de scruter mes pensées et de deviner mes intentions. Du moment où je ne porterais plus votre inconnu dans mon cerveau, vous ne me laisseriez rien achever de ce que j'aurais entrepris.

      —C'est vrai. Allons donc à la messe; mais que vouliez-vous faire de ce curé?

      —Eh quoi, toujours des questions, quand vous savez que l'oracle doit être muet?

      —Vos bizarreries commencent à m'intéresser. Est-ce qu'il ne m'est pas même permis de chercher à comprendre?

      —Parfaitement, je ne risque point d'être deviné.

      Le wurst traversa le hameau et s'arrêta devant l'église rustique. Elle était ordinairement presque déserte aux messes de la semaine, mais elle se remplit de femmes et d'enfants curieux dès que les deux nobles voyageurs y furent entrés. Cependant le plus grand nombre retourna bientôt sous le porche pour admirer les chevaux, toucher la voiture, et surtout contempler la négresse, qui leur causait un étonnement mêlé d'ironie et d'effroi.

      Le sacristain vint placer Sabina et Léonce dans le banc d'honneur. L'air des montagnes est si vif, que le curé avait déjà faim et ne traînait pas sa messe en longueur.

      Lady G... avait pris du bout des doigts un missel respectable parmi d'autres bouquins de dévotion épars sur le prie-Dieu. Elle paraissait fort recueillie; mais Léonce s'aperçut bientôt qu'elle tenait toujours Wilhelm-Meister sous son châle, qu'elle le glissait peu à peu sur le missel ouvert devant elle, et enfin qu'elle le lisait avidement pendant le confiteor.

      Lui, s'agenouilla près d'elle à l'élévation, et lui dit bien bas:—Je gage que ce pasteur naïf et ces bonnes gens qui vous regardent sont édifiés de votre piété, Sabina! Mais moi, je me dis que vous respectez les apparences d'une religion à laquelle vous ne croyez plus.

      Elle ne lui répondit qu'en lui montrant du doigt le mot pédant qui se retrouve en plusieurs endroits de Wilhelm-Meister, à propos d'un des personnages de la troupe vagabonde.

      —Vous savez bien que je ne suis pas dévote, lui dit-elle après la messe, en parcourant avec lui la nef bordée de petites chapelles; j'ai la religion de mon temps.

      —C'est-à-dire que vous n'en avez pas?

      —Je crois qu'au contraire aucune époque n'a été plus religieuse, en ce sens que les esprits élevés luttent contre le passé, et aspirent vers l'avenir. Mais le présent ne peut s'abriter sous aucun temple. Pourquoi m'avez-vous fait entrer dans celui-ci?

      —N'allez-vous pas à la messe le dimanche?

      —C'est une affaire de convenance, et pour ne pas jouer le rôle d'esprit fort. Le dimanche est d'obligation religieuse, par conséquent d'usage mondain.

      —Hélas! vous êtes hypocrite.

      —De religion? Non pas. Je ne cache à personne que j'obéis à une coutume.

      —Vous vous êtes fait un dieu de ce monde profane, et vous le trouvez plus facile à servir.

      —Léonce, seriez-vous dévot? dit-elle en le regardant.

      —Je suis artiste, répondit-il; je sens partout la présence de Dieu, même devant ces grossières images du moyen âge, qui font ressembler le lieu où nous sommes à quelque pagode barbare.

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