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Teverino. George Sand
Читать онлайн.Название Teverino
Год выпуска 0
isbn 4064066088002
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—C'est sublime! dit enfin Sabina, répondant à une exclamation de Léonce; mais savez-vous qu'à propos du soleil, je pense, malgré moi, à mon mari?
—A propos, en effet, dit Léonce, où est-il?
—Mais il est à la villa; il dort.
—Et se réveille-t-il de bonne heure?
—C'est selon. Lord G... est plus ou moins matinal, selon la quantité de vin qu'il a bue à son souper. Et comment puis-je le savoir, puisque je me suis soumise à cette règle anglaise, si bien inventée pour empêcher les femmes de modérer l'intempérance des hommes!
—Mais le terme moyen?
—Midi. Nous serons rentrés à cette heure-là?
—Je l'ignore, Madame; cela ne dépend pas de votre volonté.
—Vrai! J'aime à vous entendre plaisanter ainsi; cela flatte mon désir de l'inconnu. Mais sérieusement, Léonce?...
—Très-sérieusement, Sabina, je ne sais pas à quelle heure vous rentrerez. J'ai été autorisé par vous à régler l'emploi de votre journée.
—Non pas! de ma matinée seulement.
—Pardon! Vous n'avez pas limité la durée de votre promenade, et, dans mes projets, je ne me suis pas désisté du droit d'inventer à mesure que l'inspiration viendrait me saisir. Si vous mettez un frein à mon génie, je ne réponds plus de rien.
—Qu'est-ce à dire?
—Que je vous abandonnerai à votre ennemi mortel, à l'ennui.
—Quelle tyrannie! Mais enfin, si, par un hasard étrange, lord G... a été sobre hier soir?...
—Avec qui a-t-il soupé?
—Avec lord H..., avec M. D..., avec sir J..., enfin, avec une demi-douzaine de ses chers compatriotes.
—En ce cas, soyez tranquille, il fera le tour du cadran.
—Mais si vous vous trompez?
—Ah! Madame, si vous doutez déjà de la Providence, c'est-à-dire de moi, qui veille aujourd'hui à la place de Dieu sur vos destinées, si la foi vous manque, si vous regardez en arrière et en avant, l'instant présent nous échappe et avec lui ma toute-puissance.
—Vous avez raison, Léonce; je laisse éteindre mon imagination par ces souvenirs de la vie réelle. Allons! que lord G... s'éveille à l'heure qu'il voudra; qu'il demande où je suis; qu'il sache que je cours les champs avec vous, qu'importe?
—D'abord il n'est pas jaloux de moi.
—Il n'est jaloux de personne. Mais les convenances, mais la pruderie britannique!
—Que fera-t-il de pis?
—Il maudira le jour où il s'est mis en tête d'épouser une Française, et, pendant trois heures au moins, il saisira toute occasion de préconiser les charmes des grandes poupées d'Albion. Il murmurera entre ses dents que l'Angleterre est la première nation de l'univers; que la nôtre est un hôpital de fous; que lord Wellington est supérieur à Napoléon, et que les docks de Londres sont mieux bâtis que les palais de Venise.
—Est-ce là tout?
—N'est-ce pas assez? Le moyen d'entendre dire de pareilles choses sans le railler et le contredire!
—Et qu'arrive-t-il quand vous rompez le silence du dédain?
—Il va souper avec lord H..., avec sir J..., avec M. D..., après quoi il dort vingt-quatre heures.
—L'avez-vous contrarié hier?
—Beaucoup. Je lui ai dit que son cheval anglais avait l'air bête.
—En ce cas, soyez donc tranquille, il dormira jusqu'à ce soir.
—Vous en répondez?
—Je l'ordonne.
—Eh bien, vivat! que ses esprits reposent en paix, et que le mariage lui soit léger! Savez-vous, Léonce, que c'est un joug affreux que celui-là?
—Oui, il y a des maris qui battent leur femme.
—Ce n'est rien; il y en a d'autres qui les font périr d'ennui.
—Est-ce donc là toute la cause de votre spleen? Je ne le crois pas, milady.
—Oh! ne m'appelez pas Milady! Je me figure alors que je suis Anglaise. C'est bien assez qu'on veuille me persuader, quand je suis en Angleterre, que mon mari m'a dénationalisée.
—Mais vous ne répondez à ma question, Sabina?
—Eh! que puis-je répondre? Sais-je la cause de mon mal?
—Voulez-vous que je vous la dise?
—Vous me l'avez dite cent fois, n'y revenons pas inutilement.
—Pardon, pardon, Madame. Vous m'avez traité de docteur subtil, admirable, vous m'avez investi du droit de vous guérir, ne fût-ce que pour un jour...
—De me guérir en m'amusant, et ce que vous allez me dire m'ennuiera, je le sais.
—Inutile défaite d'une pudeur qu'un tendre soupirant trouverait charmante, mais que votre grave médecin trouve souverainement puérile!
—Eh bien, si vous êtes cassant et brutal, je vous aime mieux ainsi. Parlez donc.
—L'absence d'amour vous exaspère, votre ennui est l'impatience et non le dégoût de vivre, votre fierté exagérée trahit une faiblesse incroyable. Il faut aimer, Sabina.
—Vous parlez d'aimer comme de boire un verre d'eau. Est-ce ma faute, si personne ne me plaît?
—Oui, c'est votre faute! Votre esprit a pris un mauvais tour, votre caractère s'est aigri, vous avez caressé votre amour-propre, et vous vous estimez si haut désormais que personne ne vous semble digne de vous. Vous trouvez que je vous dis de grandes duretés, n'est-ce pas? Aimeriez-vous mieux des fadeurs?
—Oh! je vous trouve charmant aujourd'hui, au contraire! s'écria en riant lady G... sur le beau visage de laquelle un peu d'humeur avait cependant passé. Eh bien, laissez-moi me justifier, et citez-moi quelqu'un qui me donne tort. Je trouve tous les hommes que le monde jette autour de moi ou vains et stupides, ou intelligents et glacés. J'ai pitié des uns, j'ai peur des autres.
—Vous n'avez pas tort. Pourquoi ne cherchez-vous pas hors du monde?
—Est-ce qu'une femme peut chercher? Fi donc!
—Mais on peut se promener quelquefois, rencontrer, et ne pas trop fuir.
—Non, on ne peut pas se promener hors du monde, le monde vous suit partout, quand on est du grand monde. Et puis, qu'y a-t-il hors du monde? des bourgeois, race vulgaire et insolente; du peuple, race abrutie et malpropre; des artistes, race ambitieuse et profondément égoïste. Tout cela ne vaut pas mieux que nous, Léonce. Et puis, si vous voulez que je me confesse, je vous dirai que je crois un peu à l'excellence de notre sang patricien. Si tout n'était pas dégénéré et corrompu dans le genre humain, c'est encore là qu'il faudrait espérer de trouver des types élevés et des natures d'élite. Je ne nie pas les transformations de l'avenir, mais jusqu'ici je vois encore le sceau du vasselage sur tous ces fronts récemment affranchis. Je ne hais ni ne méprise, je ne crains pas non plus cette race qui va, dit-on, nous chasser; j'y consens. Je pourrais avoir de l'estime, du respect et de l'amitié pour certains plébéiens; mais mon amour est une fleur délicate qui ne croît pas dans le premier terrain venu; j'ai des nerfs de marquise; je ne saurais me changer et me maniérer. Plus j'accepte l'égalité future, moins je me sens capable de chérir et de caresser