ТОП просматриваемых книг сайта:
Lucrezia Floriani. George Sand
Читать онлайн.Название Lucrezia Floriani
Год выпуска 0
isbn 4064066087494
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Et malgré cette fausse route que suivait l'esprit de Karol, c'était une adorable nature d'esprit que la sienne. Doux, sensible, exquis en toutes choses, il avait à quinze ans toutes les grâces de l'adolescence réunies à la gravité de l'âge mur. Il resta délicat de corps comme d'esprit. Mais cette absence de développement musculaire lui valut de conserver une beauté charmante, une physionomie exceptionnelle qui n'avait, pour ainsi dire, ni âge ni sexe. Ce n'était point l'air mâle et hardi d'un descendant de cette race d'antiques magnats, qui ne savaient que boire, chasser et guerroyer; ce n'était point non plus la gentillesse efféminée d'un chérubin couleur de rose. C'était quelque chose comme ces créatures idéales, que la poésie du moyen âge faisait servir à l'ornement des temples chrétiens; un ange, beau de visage, comme une grande femme triste, pur et svelte de forme comme un jeune dieu de l'Olympe, et pour couronner cet assemblage, une expression à la fois tendre et sévère, chaste et passionnée.
C'était là le fond de son être. Rien n'était plus pur et plus exalté en même temps que ses pensées; rien n'était plus tenace, plus exclusif et plus minutieusement dévoué que ses affections. Si l'on eût pu oublier l'existence du genre humain, et croire qu'il s'était concentré et personnifié dans un seul être, c'est lui qu'on aurait adoré sur les ruines du monde. Mais cet être n'avait pas assez de relations avec ses semblables. Il ne comprenait que ce qui était identique à lui-même, sa mère, dont il était un reflet pur et brillant; Dieu, dont il se faisait une idée étrange, appropriée à sa nature d'esprit; et enfin une chimère de femme qu'il créait à son image, et qu'il aimait dans l'avenir sans la connaître.
Le reste n'existait pour lui que comme une sorte de rêve fâcheux auquel il essayait de se soustraire en vivant seul au milieu du monde. Toujours perdu dans ses rêveries, il n'avait point le sens de la réalité. Enfant, il ne pouvait toucher à un instrument tranchant sans se blesser; homme, il ne pouvait se trouver en face d'un homme différent de lui, sans se heurter douloureusement contre cette contradiction vivante.
Ce qui le préservait d'un antagonisme perpétuel, c'était l'habitude volontaire et bientôt invétérée de ne point voir et de ne pas entendre ce qui lui déplaisait en général, sans toucher à ses affections personnelles. Les êtres qui ne pensaient pas comme lui devenaient à ses yeux comme des espèces de fantômes, et, comme il était d'une politesse charmante, on pouvait prendre pour une bienveillance courtoise ce qui n'était chez lui qu'un froid dédain, voire une aversion insurmontable.
Il est fort étrange qu'avec un semblable caractère le jeune prince pût avoir des amis. Il en avait pourtant, non-seulement ceux de sa mère, qui estimaient en lui le digne fils d'une noble femme, mais encore des jeunes gens de son âge, qui l'aimaient ardemment, et qui se croyaient aimés de lui. Lui-même pensait les aimer beaucoup, mais c'était avec l'imagination plutôt qu'avec le cœur. Il se faisait une haute idée de l'amitié, et, dans l'âge des premières illusions, il croyait volontiers que ses amis et lui, élevés à peu près de la même manière et dans les mêmes principes, ne changeraient jamais d'opinion et ne viendraient point à se trouver en désaccord formel.
Cela arriva pourtant, et, à vingt-quatre ans, qu'il avait lorsque sa mère mourut, il s'était dégoûté déjà de presque tous. Un seul lui resta très-fidèle. C'était un jeune Italien, un peu plus âgé que lui, d'une noble figure et d'un grand cœur; ardent, enthousiaste; fort différent, à tous autres égards, de Karol, il avait du moins avec lui ce rapport qu'il aimait avec passion la beauté dans les arts, et qu'il professait le culte de la loyauté chevaleresque. Ce fut lui qui l'arracha de la tombe de sa mère, et qui, l'entraînant sous le ciel vivifiant de l'Italie, le conduisit pour la première fois chez la Floriani.
II.
Mais qu'est-ce donc que la Floriani, deux fois nommée au chapitre précédent, sans que nous ayons fait un pas vers elle?
Patience, ami lecteur. Je m'aperçois, au moment de frapper à la porte de mon héroïne, que je ne vous ai pas assez fait connaître mon héros, et qu'il me reste encore certaines longueurs à vous faire agréer.
Il n'y a rien de plus impérieux et de plus pressé qu'un lecteur de romans; mais je ne m'en soucie guère. J'ai à vous révéler un homme tout entier, c'est-à-dire un monde, un océan sans bornes de contradictions, de diversités, de misères et de grandeurs, de logique et d'inconséquences, et vous voulez qu'un petit chapitre me suffise! Oh! non pas, je ne saurais m'en tirer sans entrer dans quelques détails, et je prendrai mon temps. Si cela vous fatigue, passez, et si, plus tard, vous ne comprenez rien à sa conduite, ce sera votre faute et non la mienne.
L'homme que je vous présente est lui et non un autre. Je ne puis vous le faire comprendre en vous disant qu'il était jeune, beau, bien fait et de belles manières. Tous les jeunes premiers de romans sont ainsi, et le mien est un être que je connais dans ma pensée, puisque, réel ou fictif, j'essaie de le peindre. Il a un caractère très-déterminé, et l'on ne peut pas appliquer aux instincts d'un homme les mots sacramentels qu'emploient les naturalistes pour désigner le parfum d'une plante ou d'un minéral, en disant que ce corps exhale une odeur sui generis.
Ce sui generis n'explique rien, et je prétends que le prince Karol de Roswald avait un caractère sui generis qu'il est possible d'expliquer.
Il était extérieurement si affectueux, par suite de sa bonne éducation et de sa grâce naturelle, qu'il avait le don de plaire, même à ceux qui ne le connaissaient pas. Sa ravissante figure prévenait en sa faveur; la faiblesse de sa constitution le rendait intéressant aux yeux des femmes; la culture abondante et facile de son esprit, l'originalité douce et flatteuse de sa conversation lui gagnaient l'attention des hommes éclairés. Quant à ceux d'une trempe moins fine, ils aimaient son exquise politesse, et ils y étaient d'autant plus sensibles, qu'ils ne concevaient pas, dans leur franche bonhomie, que ce fût l'exercice d'un devoir, et que la sympathie y entrât pour rien.
Ceux-là, s'ils eussent pu le pénétrer, auraient dit qu'il était plus aimable qu'aimant; et, en ce qui les concernait, c'eût été vrai. Mais comment eussent-ils deviné cela, lorsque ses rares attachements étaient si vifs, si profonds et si peu récusables?
Ainsi donc, on l'aimait toujours, sinon avec la certitude, du moins avec l'espoir d'être payé de quelque retour. Ses jeunes compagnons, le voyant faible et paresseux dans les exercices du corps ne songeaient pas à dédaigner cette nature un peu infirme, parce que Karol ne s'en faisait point accroire sous ce rapport. Lorsque, s'asseyant doucement sur l'herbe, au milieu de leurs jeux, il leur disait avec un triste sourire: «Amusez-vous, chers compagnons; je ne puis ni lutter, ni courir; vous viendrez vous reposer près de moi.» Comme la force est naturellement protectrice de la faiblesse, il arrivait que, parfois, les plus robustes renonçaient généreusement à leur ardente gymnastique, et venaient lui faire compagnie.
Parmi tous ceux qui étaient charmés et comme fascinés par la couleur poétique de ses pensées et la grâce de son esprit, Salvator Albani fut toujours le plus assidu. Ce bon jeune homme était la franchise même; et, pourtant, Karol exerçait sur lui un tel empire qu'il n'osait jamais le contredire ouvertement, lors même qu'il remarquait de l'exagération dans ses principes et de la bizarrerie dans ses habitudes. Il craignait de lui déplaire et de le voir se refroidir à son égard, comme cela était arrivé pour tant d'autres. Il le soignait comme un enfant, lorsque Karol, plus nerveux et impressionnable que réellement malade, se retirait dans sa chambre pour