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      Cinq minutes après, il était assis près d'une table, ayant devant lui le papier, la plume, l'encre demandés, et s'apprêtant à écrire.

      Mais, au moment où il allait tracer la première ligne, on frappa trois coups à sa porte.

      — Entrez, dit-il en faisant pirouetter sur un de ses pieds de derrière le fauteuil dans lequel il était assis, afin de faire face au visiteur, qui, dans son appréciation, devait être soit M. de Barjols, soit un de ses amis.

      La porte s'ouvrit d'un mouvement régulier comme celui d'une mécanique, et l'Anglais parut sur le seuil.

      — Ah! s'écria Roland, enchanté de la visite au point de vue de la recommandation que lui avait faite son général, c'est vous?

      — Oui, dit l'Anglais, c'est moi.

      — Soyez le bienvenu.

      — Oh! que je sois le bienvenu, tant mieux! car je ne savais pas si je devais venir.

      — Pourquoi cela?

      — À cause d'Aboukir.

      Roland se mit à rire.

      — Il y a deux batailles d'Aboukir, dit-il: celle que nous avons perdue, celle que nous avons gagnée.

      — À cause de celle que vous avez perdue.

      — Bon! dit Roland, on se bat, on se tue, on s'extermine sur le champ de bataille; mais cela n'empêche point quon ne se serre la main quand on se rencontre en terre neutre. Je vous répète donc, soyez le bienvenu, surtout si vous voulez bien me dire pourquoi vous venez.

      — Merci; mais, avant tout, lisez ceci.

      Et l'Anglais tira un papier de sa poche.

      — Qu'est-ce? demanda Roland.

      — Mon passeport.

      — Qu'ai-je affaire de votre passeport? demanda Roland; je ne suis pas gendarme.

      — Non; mais comme je viens vous offrir mes services, peut-être ne les accepteriez-vous point, si vous ne saviez pas qui je suis.

      — Vos services, monsieur?

      — Oui; mais lisez.

      «Au nom de la République française, le Directoire exécutif invite à laisser circuler librement, et à lui prêter aide et protection en cas de besoin, sir John Tanlay, dans toute létendue du territoire de la République.

      «Signé: FOUCHÉ.»

      — Et plus bas, voyez.

      «Je recommande tout particulièrement à qui de droit sir John

       Tanlay comme un philanthrope et un ami de la liberté.

      «Signé: BARRAS.»

      — Vous avez lu?

      — Oui, j'ai lu; après?…

      — Oh! après?… Mon père, milord Tanlay, a rendu des services à

       M. Barras; c'est pourquoi M. Barras permet que je me promène en

       France, et je suis bien content de me promener en France; je

       m'amuse beaucoup.

      — Oui, je me le rappelle, sir John; vous nous avez déjà fait l'honneur de nous dire cela à table.

      — Je l'ai dit, c'est vrai; j'ai dit aussi que j'aimais beaucoup les Français.

      Roland s'inclina.

      — Et surtout le général Bonaparte, continua sir John.

      — Vous aimez beaucoup le général Bonaparte?

      — Je l'admire; c'est un grand, un très grand homme.

      — Ah! pardieu! sir John, je suis fâché qu'il n'entende pas un

       Anglais dire cela de lui..

      — Oh! s'il était là, je ne le dirais point.

      — Pourquoi?

      — Je ne voudrais pas qu'il crût que je dis cela pour lui faire plaisir, je dis cela parce que c'est mon opinion.

      — Je n'en doute pas, milord, fit Roland, qui ne savait pas où l'Anglais en voulait venir, et qui, ayant appris par le passeport ce qu'il voulait savoir, se tenait sur la réserve.

      — Et quand j'ai vu, continua l'Anglais avec le même flegme, quand j'ai vu que vous preniez le parti du général Bonaparte, cela m'a fait plaisir.

      — Vraiment?

      — Grand plaisir, fit l'Anglais avec un mouvement de tête affirmatif.

      — Tant mieux!

      — Mais quand j'ai vu que vous jetiez une assiette à la tête de

       M. Alfred de Barjols, cela m'a fait de la peine.

      — Cela vous a fait de la peine, milord; et en quoi?

      — Parce qu'en Angleterre, un gentleman ne jette pas une assiette à la tête d'un autre gentleman.

      — Ah! milord, dit Roland en se levant et fronçant le sourcil, seriez-vous venu, par hasard, pour me faire une leçon?

      — Oh! non; je suis venu vous dire: vous êtes embarrassé peut-être de trouver un témoin?

      — Ma foi, sir John, je vous lavouerai, et, au moment où vous avez frappé à la porte, je m'interrogeais pour savoir à qui je demanderais ce service.

      — Moi, si voulez, dit lAnglais, je serai votre témoin.

      — Ah! pardieu! fit Roland, j'accepte et de grand coeur!

      — Voilà le service que je voulais rendre, moi, à vous!

      Roland lui tendit la main.

      — Merci, dit-il.

      L'Anglais s'inclina.

      — Maintenant, continua Roland, vous avez eu le bon goût, milord, avant de m'offrir vos services, de me dire qui vous étiez; il est trop juste, du moment où je les accepte, que vous sachiez qui je suis.

      — Oh! comme vous voudrez.

      — Je me nomme Louis de Montrevel; je suis aide de camp du général

       Bonaparte.

      — Aide de camp du général Bonaparte! je suis bien aise.

      — Cela vous explique comment j'ai pris, un peu trop chaudement peut-être, la défense de mon général.

      — Non, pas trop chaudement; seulement, l'assiette…

      — Oui, je sais bien, la provocation pouvait se passer de l'assiette; mais, que voulez-vous! je la tenais à la main, je ne savais qu'en faire, je l'ai jetée à la tête de M. de Barjols; elle est partie toute seule sans que je le voulusse.

      — Vous ne lui direz pas cela, à lui?

      — Oh! soyez tranquille; je vous le dis, à vous, pour mettre votre conscience en repos.

      — Très bien; alors, vous vous battrez?

      — Je suis resté pour cela, du moins.

      — Et à quoi vous battrez-vous?

      — Cela ne vous regarde pas, milord.

      — Comment, cela ne me regarde pas?

      — Non; M. de Barjols est l'insulté, c'est à lui de choisir ses armes.

      — Alors, l'arme qu'il proposera, vous l'accepterez?

      — Pas moi, sir John, mais vous, en mon nom, puisque vous me faites l'honneur d'être mon témoin.

      — Et, si c'est le pistolet qu'il choisit, à quelle distance et comment

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