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rien à faire ici. Ces gars-là étaient brisés. Physiquement handicapés. Traumatisés.

      Quelques-uns d’entre eux ne donnaient pas l’impression de pouvoir s’en remettre. Celui qui s’appelait Chambers était probablement le plus amoché. Il avait perdu un bras et les deux jambes. Il était défiguré. La moitié gauche de son visage était couverte de bandages et une grosse plaque de métal dépassait de là-dessous, stabilisant ce qui restait des os de ce côté du visage. Il avait perdu son œil gauche et les docteurs ne l’avaient pas encore remplacé. À un moment ou à un autre, quand ils auraient fini de reconstruire son orbite oculaire, ils lui donneraient un bel œil de verre tout neuf.

      Chambers avait été dans un Humvee qui avait roulé sur un engin explosif improvisé en Irak. L’appareil avait été une innovation inattendue, une charge explosive conçue pour traverser directement le châssis du véhicule. Elle avait directement traversé Chambers en le déchirant de haut en bas. À présent, l’armée rééquipait ses vieux Humvee de châssis lourdement blindés et revoyait la conception des nouveaux pour les protéger contre ces sortes d’attaques dans l’avenir. Cependant, cela n’aiderait pas Chambers.

      Luke n’aimait pas regarder Chambers.

      — Que faites-vous ici ? lui redemanda le psychologue.

      Luke haussa les épaules.

      — Je ne sais pas, Riggs. Et vous ?

      — J’essaie d’aider des hommes à retrouver leur vie, dit Riggs sans la moindre hésitation.

      Soit c’était la réponse standard qu’il faisait aux gens qui le remettaient en question, soit il y croyait vraiment.

      — Et vous ?

      Luke ne dit rien. Seulement, maintenant, tout le monde le fixait du regard. Il parlait rarement, avec ce groupe. Il aurait préféré ne pas venir aux séances. Il ne pensait pas que ça l’aidait. En vérité, il pensait que ce n’était qu’une perte de temps.

      — Avez-vous peur ? dit Riggs. Est-ce pour cela que vous êtes ici ?

      — Riggs, si vous croyez ça, vous me connaissez mal.

      — Ah, dit Riggs, qui leva alors très légèrement ses grosses mains. Voilà. On progresse. Vous êtes un dur à cuire. Nous le savons déjà. Donc, allez-y. Intervenez. Racontez-nous à tous qui est le sergent de première classe Luke Stone des Forces Spéciales de l’Armée des États-Unis. Delta, n’est-ce pas ? Les pieds dans la merde, n’est-ce pas ? Un des gars qui a participé à cette mission ratée pour tuer le mec d’Al-Qaïda, celui que l’on soupçonne d’avoir effectué le bombardement de l’USS Sarasota ?

      — Riggs, je ne peux rien savoir d’une mission comme celle-là. Elle serait classée secret, ce qui veut dire que, si nous savions de quoi il retournait, vous ou moi, nous n’aurions pas le droit de …

      Riggs sourit et fit tourner sa main en décrivant un cercle.

      — De parler d’un assassinat ciblé d’un tel niveau et aussi crucial, qui n’a jamais eu lieu de toute façon. Oui, oui, d’accord. Nous connaissons tous le discours officiel. Nous l’avons déjà entendu. Croyez-moi, Stone, vous n’êtes pas exceptionnel. Tous les hommes de ce groupe ont participé à des combats. Tous les hommes de ce groupe sont personnellement conscients des —

      — À quelle sorte de combat avez-vous participé, Riggs ? dit Luke. Vous étiez dans la Marine. Sur un destroyer. Au milieu de l’océan. Cela fait quinze ans que vous pilotez un bureau dans cet hôpital.

      — Il ne s’agit pas de moi, Stone, mais de vous. Vous êtes dans un hôpital de vétérans, dans la section psychiatrie, OK ? Je ne suis pas dans la section psychiatrie. Vous, si. Je travaille dans la section psychiatrie alors que vous y habitez. Cela dit, on ne vous y a pas enfermé. Vous y êtes venu volontairement. Vous pouvez partir quand vous le voulez. Au milieu de cette séance, si vous voulez. Fort Bragg est à moins de dix kilomètres d’ici. Tous votre vieux potes y sont et ils vous attendent. Ne voulez-vous pas aller les retrouver ? Ils vous attendent, l’ami. Allez vous amuser. Il y a toujours une nouvelle mission démente classée secret pour ceux qui veulent de l’action.

      Luke ne dit rien. Il se contenta de regarder fixement Riggs. Cet homme était fou. C’était lui qui était fou. Il continuait de parler à la même vitesse.

      — Stone, les gars de Delta, je les vois venir ici de temps en temps. Vous n’avez jamais une égratignure. Vous êtes comme des créatures surnaturelles. Les balles vous ratent toujours d’une façon ou d’une autre. Pourtant, vous paniquez. Vous êtes épuisés. Vous en avez trop vu. Vous avez tué trop de gens. Vous avez leur sang sur les mains. Il est invisible, mais il est là.

      Riggs hocha la tête comme pour approuver ses propres dires.

      — En 2003, un gars de Delta est venu ici. Il avait à peu près votre âge et il disait tout le temps qu’il allait bien. Il revenait d’une mission top secret en Afghanistan. Cela avait été un massacre, comme de bien entendu, mais il n’avait pas besoin de toutes ces discussions. Ça vous rappelle quelqu’un ? Quand il est parti, il est rentré chez lui, a tué sa femme, sa fille de trois ans puis il s’est logé une balle dans le cerveau.

      Le silence se prolongea entre Luke et Riggs. Les autres hommes ne dirent rien. Ce gars était un provocateur. Pour une raison quelconque, il considérait que c’était son travail. Luke tenait à rester calme et à ne pas laisser Riggs le pousser à bout, mais il n’aimait pas ce genre de chose. Il sentait monter son agacement. Riggs pénétrait dans un territoire dangereux.

      — Est-ce cela qui vous fait peur ? dit Riggs. Vous craignez de rentrer à la maison et de faire gicler la cervelle de votre femme partout sur le —

      Luke se leva de sa chaise et traversa l’espace qui le séparait de Riggs en moins d’une seconde. Avant de comprendre ce qui s’était passé, il avait saisi Riggs, avait écarté sa chaise de sous lui d’un coup de pied et l’avait jeté au sol comme une poupée de chiffon. La tête de Riggs avait heurté le carrelage.

      Luke s’accroupit au-dessus de lui et leva le poing.

      Riggs écarquilla les yeux et, pendant une fraction de seconde, la peur lui contracta les traits, puis son calme revint.

      — Voilà ce que j’aime voir, dit-il. Un peu d’enthousiasme.

      Luke inspira profondément et laissa son poing se détendre. Il regarda les autres hommes. Aucun d’eux n’avait bougé. Ils regardaient stoïquement la scène comme si voir un patient attaquer son thérapeute faisait partie d’une journée normale.

      Non. Ce n’était pas ça. Ils regardaient comme s’ils ne s’intéressaient pas du tout à ce qui se passait, comme s’ils étaient au-delà de toute forme d’intérêt.

      — Je sais ce que vous essayez de faire, dit Luke.

      — J’essaie de vous faire sortir de votre coquille, Stone, et on dirait que ça commence finalement à marcher.

      * * *

      — Je ne veux pas te voir, dit Martinez.

      Luke était assis dans une chaise en bois à côté du lit de Martinez. La chaise était étonnamment inconfortable, comme si elle avait été conçue pour encourager les gens à s’en aller au plus vite.

      Luke faisait la chose qu’il avait évité de faire pendant des semaines : il rendait visite à Martinez. Il était dans un autre bâtiment de l’hôpital, certes, mais, depuis la chambre de Luke, il suffisait de marcher douze minutes pour aller le voir. Luke n’avait pas eu le courage de le faire jusqu’à ce jour.

      Martinez avait une longue route à faire, mais ce voyage ne semblait pas l’intéresser du tout. Ses jambes avaient été déchiquetées et on ne pouvait pas les soigner. L’une était morte au niveau du bassin et l’autre sous le genou. Il avait encore l’usage de ses bras, mais il était paralysé juste au-dessous de la cage thoracique.

      Avant

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