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et entendit sa question.

      –Taë,—lui dit-elle,—donne à notre hôte tous les renseignements qu'il te demandera, mais ne lui en demande aucun en retour. Lui demander qui il est, d'où il vient, ou pourquoi il est ici, serait manquer à la loi que mon père a établie pour cette maison.

      –C'est bien,—dit Taë, posant sa main sur son cœur.

      À partir de ce moment, cet enfant, avec lequel je me liai très intimement, ne m'adressa jamais une seule des questions ainsi interdites.

      IX

      Plus tard seulement, après des extases répétées, mon esprit devint plus capable d'échanger des idées avec mes hôtes et de comprendre plus complètement des différences de mœurs ou de coutumes qui m'avaient d'abord trop étonné pour que ma raison pût les saisir; alors seulement je pus recueillir les détails suivants sur l'origine et l'histoire de cette population souterraine, qui forme une partie d'une grande famille de nations appelée les Ana.

      Suivant les traditions les plus anciennes, les ancêtres de cette race avaient habité un monde situé au-dessus de celui qu'habitaient leurs descendants. Ceux-ci conservaient encore dans leurs archives des légendes relatives à ce monde supérieur et où l'on parlait d'une voûte où les lampes n'étaient allumées par aucune main humaine. Mais ces légendes étaient regardées par la plupart des commentateurs comme des fables allégoriques. Suivant ces traditions, la terre elle-même, à la date où elles remontaient, n'était pas dans son enfance mais dans les douleurs et le travail d'une période de transition et sujette à de violentes révolutions de la nature. Par une de ces révolutions, la portion du monde supérieur habitée par les ancêtres de cette race avait été soumise à de grandes inondations, non pas subites, mais graduelles et irrésistibles; quelques individus seulement échappèrent à la destruction. Est-ce là un soutenir de notre Déluge historique et sacré ou d'aucun autre des cataclysmes antérieurs au Déluge et sur lesquels les géologues discutent de nos jours? Je ne sais, mais si l'on rapproche la chronologie de ce peuple de celle de Newton, on voit que la catastrophe dont il parle aurait dû arriver plusieurs milliers d'années avant Noé. D'autre part, l'opinion de ces écrivains souterrains ne s'accorde pas avec celle qui est la plus répandue parmi les géologues sérieux, en ce qu'elle suppose l'existence d'une race humaine sur la terre à une date bien antérieure à l'époque où les géologues placent la formation des mammifères. Quelques membres de la race infortunée, ainsi envahie par le Déluge, avaient, pendant la marche progressive des eaux, cherché un refuge dans des cavernes situées sur les plus hautes montagnes et, en errant dans ces profondeurs, ils perdirent pour toujours le ciel de vue. Toute la face de la terre avait été changée par cette grande révolution; la terre était devenue mer et la mer était devenue terre. On m'apprit comme un fait incontestable que, même maintenant, dans les entrailles de la terre on pouvait trouver des restes d'habitations humaines; non pas des huttes ou des antres, mais de vastes cités dont les ruines attestent la civilisation des races qui florissaient avant le temps de Noé; ces races ne doivent donc pas être mises au rang de celles que l'histoire naturelle caractérise par l'usage du silex et l'ignorance du fer.

      Les fugitifs avaient emporté avec eux la connaissance des arts qu'ils exerçaient sur la terre, la tradition de leur culture et de leur civilisation. Leur premier besoin dut être de remplacer la lumière qu'ils avaient perdue; et à aucune époque, même dans la période préhistorique, les races souterraines, dont faisait partie la tribu où je vivais, ne paraissent avoir été étrangères à l'art de se procurer de la lumière au moyen des gaz, du manganèse, ou du pétrole. Ils s'étaient habitués dans le monde supérieur à lutter contre les forces de la nature, et la longue bataille qu'ils avaient soutenue contre leur vainqueur, l'Océan, dont l'invasion avait mis des siècles à s'accomplir, les avait rendus habiles à dompter les eaux par des digues et des canaux. C'est à cette habileté qu'ils durent leur salut dans leur nouveau séjour.

      –Pendant plusieurs générations,—me dit mon hôte avec une sorte de mépris et d'horreur,—nos ancêtres dégradèrent leur nature et abrégèrent leur vie en mangeant la chair des animaux, dont plusieurs espèces avaient, à leur exemple, échappé au Déluge, en cherchant un refuge dans les profondeurs de la terre; d'autres animaux, qu'on suppose inconnus au monde supérieur, étaient une production de ces régions souterraines.

      À l'époque où ce que nous appellerons l'âge historique se dégageait du crépuscule de la tradition, les Ana étaient déjà établis en différents États et avaient atteint un degré de civilisation analogue à celui dont jouissent en ce moment sur la terre les peuples les plus avancés. Ils connaissaient presque toutes nos inventions modernes, y compris l'emploi de la vapeur et du gaz. Les différents peuples étaient séparés par des rivalités violentes. Ils avaient des riches et des pauvres; ils avaient des orateurs et des conquérants; ils se faisaient la guerre pour une province ou pour une idée. Quoique les divers États reconnussent diverses formes de gouvernement, les institutions libres commençaient à avoir la prépondérance; les assemblées populaires avaient plus de puissance; la république exista bientôt partout; la démocratie, que les politiques européens les plus éclairés regardent devant eux comme le terme extrême du progrès politique et qui domine encore parmi les autres tribus du monde souterrain, considérées comme barbares, n'a laissé aux Ana supérieurs, comme ceux chez lesquels je me trouvais, que le souvenir d'un des tâtonnements les plus grossiers et les plus ignorants de l'enfance de la politique. C'était l'âge de l'envie et de la haine, des perpétuelles révolutions sociales plus ou moins violentes, des luttes entre les classes, et des guerres d'État à État. Cette phase dura cependant quelques siècles, et fut terminée, au moins chez les populations les plus nobles et les plus intelligentes, par la découverte graduelle des pouvoirs latents enfermés dans ce fluide qui pénètre partout et qu'ils désignaient sous le nom de vril.

      D'après ce que me dit Zee qui, en qualité de savant professeur du Collège des Sages, avait étudié ces matières avec plus de soin qu'aucun autre membre de la famille de mon hôte, on peut produire et discipliner ce fluide de façon à s'en servir comme d'un agent tout-puissant sur toutes les formes de la matière animée et inanimée. Il détruit comme la foudre; appliqué d'autre façon, il donne à la vie plus de plénitude et de vigueur; il guérit et préserve; c'est surtout de ce fluide que l'on se sert pour guérir les maladies, ou plutôt pour aider l'organisation physique à recouvrer l'équilibre des forces naturelles, et par conséquent à se guérir elle-même. Par ce fluide on se fraye des chemins en fendant les substances les plus dures, on ouvre des vallées à la culture au milieu des rocs de ces déserts souterrains. C'est de ce fluide que ces peuples extraient la lumière de leurs lampes; ils la trouvent plus régulière, plus douce et plus saine que la lumière produite par les autres matières inflammables dont ils se servaient jusque-là.

      Mais la politique surtout fut transformée par la découverte de la terrible puissance du vril et des moyens de l'employer. Dès que les effets en furent mieux connus et plus habilement mis en œuvre, toute guerre cessa entre les peuples qui avaient découvert le vril, car ils avaient porté l'art de la destruction à un degré de perfection qui annulait toute supériorité de nombre, de discipline et de talent militaire. Le feu renfermé dans le creux d'une baguette maniée par un enfant pouvait abattre la forteresse la plus redoutable, ou sillonner d'un trait de flamme, du front à l'arrière-garde, une armée rangée en bataille. Si deux armées en venaient aux mains possédant le secret de ce fluide terrible, elles devaient s'anéantir réciproquement. L'âge de la guerre était donc fini, et quand la guerre eut disparu, une révolution non moins profonde ne tarda pas à se produire dans les relations sociales. L'homme se trouva si complètement à la merci de l'homme, chacun d'eux pouvant en un instant tuer son adversaire, que toute idée de gouvernement par la force disparut peu à peu du système politique et de la loi. Ce n'est que par la force que de grandes communautés, dispersées sur de vastes espaces, peuvent être maintenues dans l'unité; mais ni la nécessité de la défense, ni l'orgueil des conquêtes ne firent plus désirer à un État de l'emporter sur un autre par sa population.

      Ceux qui avaient découvert le vril arrivèrent ainsi, au bout de quelques générations, à se partager en communautés moins considérables. La tribu au milieu de laquelle je me trouvais était limitée à douze mille

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