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fille des révolutions, ne peut qu'ajouter un lustre paradoxal; mais Cela! cette cohue de vendeurs et d'acheteurs, ce sans-nom, ce monstre sans tête, ce déporté derrière l'Océan, un État! – je le veux bien, si un vaste cabaret, où le consommateur afflue et traite d'affaires sur des tables souillées, au tintamarre des vilains propos, peut être assimilé à un salon, à ce que nous appelions jadis un salon, république de l'esprit présidée par la beauté!

      Il sera toujours difficile d'exercer, noblement et fructueusement à la fois, l'état d'homme de lettres sans s'exposer à la diffamation, à la calomnie des impuissants, à l'envie des riches, – cette envie qui est leur châtiment! – aux vengeances de la médiocrité bourgeoise. Mais ce qui est difficile dans une monarchie tempérée ou dans une république régulière, devient presque impraticable dans une espèce de capharnaüm, où chacun, sergent de ville de l'opinion, fait la police au profit de ses vices – ou de ses vertus, c'est tout un, – où un poëte, un romancier d'un pays à esclaves est un écrivain détestable aux yeux d'un critique abolitionniste, – où l'on ne sait quel est le plus grand scandale, – le débraillé du cynisme ou l'imperturbabilité de l'hypocrisie biblique. Brûler des nègres enchaînés, coupables d'avoir senti leur joue noire fourmiller du rouge de l'honneur, jouer du revolver dans un parterre de théâtre, établir la polygamie dans les paradis de l'Ouest, que les Sauvages (ce terme a l'air d'une injustice) n'avaient pas encore souillés de ces honteuses utopies, afficher sur les murs, sans doute pour consacrer le principe de la liberté illimitée, la guérison des maladies de neuf mois, tels sont quelques-uns des traits saillants, quelques-unes des illustrations morales du noble pays de Franklin, l'inventeur de la morale de comptoir, le héros d'un siècle voué à la matière. Il est bon d'appeler sans cesse le regard sur ces merveilles de brutalité, en un temps où l'américanomanie est devenue presque une passion de bon ton, à ce point qu'un archevêque a pu nous promettre sans rire que la Providence nous appellerait bientôt à jouir de cet idéal transatlantique!

      III

      Un semblable milieu social engendre nécessairement des erreurs littéraires correspondantes. C'est contre ces erreurs que Poe a réagi aussi souvent qu'il a pu et de toute sa force. Nous ne devons donc pas nous étonner que les écrivains américains, tout en reconnaissant sa puissance singulière comme poëte et comme conteur, aient toujours voulu infirmer sa valeur comme critique. Dans un pays où l'idée d'utilité, la plus hostile du monde à l'idée de beauté, prime et domine toutes choses, le parfait critique sera le plus honorable, c'est-à-dire celui dont les tendances et les désirs se rapprocheront le plus des tendances et des désirs de son public, – celui qui, confondant les facultés et les genres de production, assignera à toutes un but unique, – celui qui cherchera dans un livre de poésie les moyens de perfectionner la conscience. Naturellement, il deviendra d'autant moins soucieux des beautés réelles, positives, de la poésie; il sera d'autant moins choqué des imperfections et même des fautes dans l'exécution. Edgar Poe, au contraire, divisant le monde de l'esprit en Intellect pur, Goûtet Sens moral, appliquait la critique suivant que l'objet de son analyse appartenait à l'une de ces trois divisions. Il était avant tout sensible à la perfection du plan et à la correction de l'exécution; démontant les œuvres littéraires comme des pièces mécaniques défectueuses (pour le but qu'elles voulaient atteindre), notant soigneusement les vices de fabrication; et quand il passait au détail de l'œuvre, à son expression plastique, au style en un mot, épluchant, sans omission, les fautes de prosodie, les erreurs grammaticales et toute cette masse de scories, qui, chez les écrivains non artistes, souillent les meilleures intentions et déforment les conceptions les plus nobles.

      Pour lui, l'Imagination est la reine des facultés; mais par ce mot il entend quelque chose de plus grand que ce qui est entendu par le commun des lecteurs. L'Imagination n'est pas la fantaisie; elle n'est pas non plus la sensibilité, bien qu'il soit difficile de concevoir un homme imaginatif qui ne serait pas sensible. L'Imagination est une faculté quasi divine qui perçoit tout d'abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies. Les honneurs et les fonctions qu'il confère à cette faculté lui donnent une valeur telle (du moins quand on a bien compris la pensée de l'auteur), qu'un savant sans imagination n'apparaît plus que comme un faux savant, ou tout au moins comme un savant incomplet.

      Parmi les domaines littéraires où l'imagination peut obtenir les plus curieux résultats, peut récolter les trésors, non pas les plus riches, les plus précieux (ceux-là appartiennent à la poésie), mais les plus nombreux et les plus variés, il en est un que Poe affectionne particulièrement, c'est la Nouvelle. Elle a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l'intensité de l'effet. Cette lecture, qui peut être accomplie tout d'une haleine, laisse dans l'esprit un souvenir bien plus puissant qu'une lecture brisée, interrompue souvent par le tracas des affaires et le soin des intérêts mondains. L'unité d'impression, la totalité d'effet est un avantage immense qui peut donner à ce genre de composition une supériorité tout à fait particulière, à ce point qu'une nouvelle trop courte (c'est sans doute un défaut) vaut encore mieux qu'une nouvelle trop longue. L'artiste, s'il est habile, n'accommodera pas ses pensées aux incidents, mais, ayant conçu délibérément, à loisir, un effet à produire, inventera les incidents, combinera les événements les plus propres à amener l'effet voulu. Si la première phrase n'est pas écrite en vue de préparer cette impression finale, l'œuvre est manquée dès le début. Dans la composition tout entière il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne tende, directement ou indirectement, à parfaire le dessein prémédité.

      Il est un point par lequel la nouvelle a une supériorité, même sur le poëme. Le rythme est nécessaire au développement de l'idée de beauté, qui est le but le plus grand et le plus noble du poëme. Or, les artifices du rythme sont un obstacle insurmontable à ce développement minutieux de pensées et d'expressions qui a pour objet la vérité. Car la vérité peut être souvent le but de la nouvelle, et le raisonnement, le meilleur outil pour la construction d'une nouvelle parfaite. C'est pourquoi ce genre de composition qui n'est pas situé à une aussi grande élévation que la poésie pure, peut fournir des produits plus variés et plus facilement appréciables pour le commun des lecteurs. De plus, l'auteur d'une nouvelle a à sa disposition une multitude de tons, de nuances de langage, le ton raisonneur, le sarcastique, l'humoristique, que répudie la poésie, et qui sont comme des dissonances, des outrages à l'idée de beauté pure. Et c'est aussi ce qui fait que l'auteur qui poursuit dans une nouvelle un simple but de beauté ne travaille qu'à son grand désavantage, privé qu'il est de l'instrument le plus utile, le rythme. Je sais que dans toutes les littératures des efforts ont été faits, souvent heureux, pour créer des contes purement poétiques; Edgar Poe lui-même en a fait de très-beaux. Mais ce sont des luttes et des efforts qui ne servent qu'à démontrer la force des vrais moyens adaptés aux buts correspondants, et je ne serais pas éloigné de croire que chez quelques auteurs, les plus grands qu'on puisse choisir, ces tentations héroïques vinssent d'un désespoir.

      IV

      «Genus irritabile vatum! Que les poëtes (nous servant du mot dans son acception la plus large et comme comprenant tous les artistes) soient une race irritable, cela est bien entendu; mais le pourquoi ne me semble pas aussi généralement compris. Un artiste n'est un artiste que grâce à son sens exquis du Beau, – sens qui lui procure des jouissances enivrantes, mais qui en même temps implique, enferme un sens également exquis de toute difformité et de toute disproportion. Ainsi un tort, une injustice faite à un poëte qui est vraiment un poëte, l'exaspère à un degré qui apparaît, à un jugement ordinaire, en complète disproportion avec l'injustice commise. Les poëtes voient l'injustice, jamais là où elle n'existe pas, mais fort souvent là où des yeux non poétiques n'en voient pas du tout. Ainsi la fameuse irritabilité poétique n'a pas de rapport avec le tempérament, compris dans le sens vulgaire, mais avec une clairvoyance plus qu'ordinaire relative au faux et à l'injuste. Cette clairvoyance n'est pas autre chose qu'un corollaire de la vive perception du vrai, de la justice, de la proportion, en un mot du Beau. Mais il y a une chose bien claire, c'est que l'homme qui n'est pas (au jugement du commun) irritabilis, n'est

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