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      Bric-à-brac

      DEUX INFANTICIDES

      On s'est énormément occupé, depuis quelque temps, d'un animal de ma connaissance, pensionnaire du Jardin des Plantes, et qui a conquis sa célébrité à la suite de deux des plus grands crimes que puissent commettre le bipède et le quadrupède, l'homme et le pachyderme, – à la suite de deux infanticides.

      Vous avez déjà compris que je voulais parler de l'hippopotame.

      Toutes les fois que quelque grand criminel attire sur lui la curiosité publique, à l'instant même, on se met à la recherche de ses antécédents; on remonte à sa jeunesse, à son enfance; on jette des lueurs sur sa famille, sur le lieu de sa naissance, enfin sur tout ce qui tient à son origine.

      Eh bien, sur ce point, j'ose dire que je suis le seul en France qui puisse satisfaire convenablement votre curiosité.

      Si vous avez lu, dans mes Causeries, l'article intitulé: les Petits Cadeaux de mon ami Delaporte [Footnote: Tome II, p. 41], vous vous rappellerez que j'ai déjà raconté comment notre excellent consul à Tunis, dans son désir de compléter les échantillons zoologiques du Jardin des Plantes, était parvenu à se procurer successivement vingt singes, cinq antilopes, trois girafes, deux lions, et, enfin, un petit hippopotame, qui, parvenu à l'âge adulte, est devenu le père de celui dont nous déplorons aujourd'hui la fin prématurée.

      Mais n'anticipons pas, et reprenons l'histoire où nous l'avons laissée.

      Le petit hippopotame offert par Delaporte au Jardin des Plantes avait été pris, il vous en souvient, sous le ventre même de sa mère.

      Aussi fallut-il lui trouver un biberon.

      Une peau de chèvre fit l'affaire; une des pattes de l'animal, coupée au genou et débarrassée de son poil, simula le pis maternel. Le lait de quatre chèvres fut versé dans la peau, et le nourrisson eut un biberon.

      On avait quelque chose comme quatre ou cinq cents lieues à faire avant que d'arriver au Caire. La nécessité où l'on était de tenir toujours l'hippopotame dans l'eau douce forçait les pêcheurs à suivre le cours du fleuve; c'était, d'ailleurs, le procédé le plus facile. Un firman du pacha autorisait les pêcheurs à mettre sur leur route en réquisition autant de chèvres et de vaches que besoin serait.

      Pendant les premiers jours, il fallut au jeune hippopotame le lait de dix chèvres ou de quatre vaches. Au fur et à mesure qu'il grandissait, le nombre de ses nourrices augmentait. À Philae, il lui fallut le lait de vingt chèvres ou de huit vaches; en arrivant au Caire, celui de trente chèvres ou de douze vaches.

      Au reste, il se portait à merveille, et jamais nourrisson n'avait fait plus d'honneur à ses nourrices.

      Seulement, comme nous l'avons dit, les pêcheurs étaient pleins d'inquiétude; le pacha leur avait demandé une femelle, et, au bout de quatre ans, au lieu d'une femelle, ils lui apportaient un mâle.

      Le premier moment fut terrible! Abbas-Pacha déclara que ses émissaires étaient quatre misérables qu'il ferait périr sous le bâton. Ces menaces-là, en Egypte, ont toujours un côté sérieux; aussi les malheureux pécheurs députèrent-ils un des leurs à Delaporte.

      Delaporte les rassura: il répondait de tout.

      En effet, il alla trouver Abbas-Pacha; et, comme s'il ignorait l'arrivée du malencontreux animal à Boulacq, il annonça au pacha qu'il venait de recevoir des nouvelles du gouvernement français, lequel, éprouvant le besoin d'avoir au Jardin des Plantes un hippopotame mâle, faisait demander au consul s'il n'y aurait pas moyen de se procurer au Caire un animal de ce sexe et de cette espèce.

      Vous comprenez…

      Abbas-Pacha trouvait le placement de son hippopotame, et était en même temps agréable à un gouvernement allié.

      Il n'y avait pas moyen de faire donner la bastonnade à des gens qui avaient été au-devant des désirs du consul d'une des grandes puissances européennes.

      D'ailleurs, la question était presque résolue: en vertu de l'entente cordiale qui existait entre les deux gouvernements, il était évident qu'à un moment donné, ou la France prêterait son hippopotame mâle à l'Angleterre, ou l'Angleterre prêterait son hippopotame femelle à la France.

      Delaporte remercia Abbas-Pacha en son nom et au nom de Geoffroy Saint-Hilaire, donna une magnifique prime aux quatre pêcheurs, et s'occupa du transport en France de sa ménagerie.

      D'abord, il crut la chose facile: il pensait avoir l'Albatros à sa disposition; mais l'Albatros reçut l'ordre de faire voile pour je ne sais plus quel port de l'Archipel.

      Force fut à Delaporte de traiter avec un bateau à vapeur des

      Messageries impériales.

      Ce fut une grande affaire: l'hippopotame avait quelque chose comme cinq ou six mois; il avait énormément profité; il pesait trois ou quatre cents, exigeait un bassin d'une quinzaine de pieds de diamètre.

      On lui fit confectionner le susdit bassin, qui fût aménagé à l'avant du bâtiment; on transporta à bord cent tonnes d'eau du Nil afin qu'il eût toujours un bain doux et frais; en outre, on embarqua quarante chèvres, pour subvenir à sa nourriture.

      Quatre Arabes, un pêcheur, un preneur de lions, un preneur de girafes et un preneur de singes furent embarqués avec les animaux qu'ils avaient amenés.

      Le tout arriva en seize jours à Marseille.

      Il va sans dire que Delaporte n'avait pas perdu de vue un instant sa première cargaison.

      À Marseille, il mit sur des trues appropriés à cette destination l'hippopotame et sa suite.

      Les trente, quadrupèdes, dont vingt quadrumanes, arrivèrent à Paris aussi heureusement qu'ils étaient arrivés à Marseille.

      À leur arrivée j'allai leur faire visite. Grâce à Delaporte je fus admis à l'honneur de saluer les lions, de présenter mes respects à l'hippopotame, de caresser les antilopes, de passer entre les jambes des girafes, et d'offrir des noix et des pommes aux singes.

      Le domestique de Delaporte, qui était le favori de tous ces animaux, semblait jaloux de me voir ainsi fraterniser avec eux.

      À propos, laissez-moi vous dire un seul petit mot du domestique de

      Delaporte.

      C'est un magnifique enfant du Darfour, noir comme un charbon et qui a déjà l'air d'un homme, quoiqu'il n'ait, selon toute probabilité, que onze ou douze ans. Je dis selon toute probabilité, parce qu'il n'y a pas d'exemple qu'un nègre sache son âge. Celui-là… Pardon, j'oubliais de vous dire son nom. Il se nomme Abailard. En outre, – chose assez commune, au reste, d'un nègre à l'égard de son maître, – il appelle Delaporte papa.

      Vous allez voir pourquoi il se nomme Abailard et appelle Delaporte papa.

      Abailard, qui, en ce temps-là, n'avait pas encore de nom, ou qui en avait un dont il ne se souvient plus, fut fait prisonnier, avec sa mère, par une tribu en guerre avec la sienne.

      Sa mère avait quatorze ans, et lui en avait deux.

      On les sépara et on les vendit.

      La mère fut vendue à un Turc, l'enfant à un négociant chrétien.

      Nul ne sait ce que devint la mère.

      Quant à l'enfant, son maître habitait Kenneh; il vint à Kenneh avec son maître.

      Nous avons dit que son maître était négociant; mais nous avons oublié de spécifier l'objet de son commerce.

      Il vendait des étoffes.

      Un jour, il s'aperçut qu'une pièce d'étoffe lui manquait, et il soupçonna le pauvre petit, alors âgé de six ans, de l'avoir volée.

      Le procès est vite fait dans toute l'Égypte, et dans la haute Égypte surtout, entre un maître et un esclave.

      Le marchand d'étoffes coucha l'enfant sur le dos, lui passa les jambes dans des entraves et lui appliqua lui-même, afin d'être sûr qu'il n'y aurait point de tricherie, cinquante coups de bâton sous la plante des pieds.

      Puis, comme le sang s'y était naturellement amassé et

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