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qui prouvait bien mieux encore que cet officier était de service et accomplissait une tâche à laquelle il était accoutumé, c'est qu'il surveillait, les bras croisés, avec une indifférence remarquable et avec une apathie suprême, les joies et les ennuis de cette fête. Il semblait surtout, comme un philosophe, et tous les vieux soldats sont philosophes, il semblait surtout comprendre infiniment mieux les ennuis que les joies; mais des uns il prenait son parti, sachant bien se passer des autres. Or, il était là adossé, comme nous l'avons dit, au chambranle sculpté de la porte, lorsque les yeux tristes et fatigués du roi rencontrèrent par hasard les siens.

      Ce n'était pas la première fois, à ce qu'il paraît, que les yeux de l'officier rencontraient ces yeux-là, et il en savait à fond le style et la pensée, car aussitôt qu'il eut arrêté son regard sur la physionomie de Louis XIV, et que, par la physionomie, il eut lu ce qui se passait dans son coeur, c'est-à-dire tout l'ennui qui l'oppressait, toute la résolution timide de partir qui s'agitait au fond de ce coeur, il comprit qu'il fallait rendre service au roi sans qu'il le demandât, lui rendre service presque malgré lui, enfin, et hardi, comme s'il eût commandé la cavalerie un jour de bataille:

      – Le service du roi! cria-t-il d'une voix retentissante.

      À ces mots, qui firent l'effet d'un roulement de tonnerre prenant le dessus sur l'orchestre, les chants, les bourdonnements et les promenades, le cardinal et la reine mère regardèrent avec surprise Sa Majesté. Louis XIV, pâle mais résolu, soutenu qu'il était par cette intuition de sa propre pensée qu'il avait retrouvée dans l'esprit de l'officier de mousquetaires, et qui venait de se manifester par l'ordre donné, se leva de son fauteuil et fit un pas vers la porte.

      – Vous partez, mon fils? dit la reine, tandis que Mazarin se contentait d'interroger avec son regard, qui eût pu paraître doux s'il n'eût été si perçant.

      – Oui, madame, répondit le roi, je me sens fatigué et voudrais d'ailleurs écrire ce soir.

      Un sourire erra sur les lèvres du ministre, qui parut, d'un signe de tête, donner congé au roi.

      Monsieur et Madame se hâtèrent alors pour donner des ordres aux officiers qui se présentèrent.

      Le roi salua, traversa la salle et atteignit la porte. À la porte, une haie de vingt mousquetaires attendait Sa Majesté.

      À l'extrémité de cette haie se tenait l'officier impassible et son épée nue à la main.

      Le roi passa, et toute la foule se haussa sur la pointe des pieds pour le voir encore. Dix mousquetaires, ouvrant la foule des antichambres et des degrés, faisaient faire place au roi.

      Les dix autres enfermaient le roi et Monsieur, qui avait voulu accompagner Sa Majesté.

      Les gens du service marchaient derrière. Ce petit cortège escorta le roi jusqu'à l'appartement qui lui était destiné.

      Cet appartement était le même qu'avait occupé le roi Henri III lors de son séjour aux États.

      Monsieur avait donné ses ordres. Les mousquetaires, conduits par leur officier, s'engagèrent dans le petit passage qui communique parallèlement d'une aile du château à l'autre.

      Ce passage se composait d'abord d'une petite antichambre carrée et sombre, même dans les beaux jours.

      Monsieur arrêta Louis XIV.

      – Vous passez, Sire, lui dit-il, à l'endroit même où le duc de

      Guise reçut le premier coup de poignard.

      Le roi, fort ignorant des choses d'histoire, connaissait le fait, mais sans en savoir ni les localités ni les détails.

      – Ah! fit-il tout frissonnant. Et il s'arrêta.

      Tout le monde s'arrêta devant et derrière lui.

      – Le duc, Sire, continua Gaston, était à peu près où je suis; il marchait dans le sens où marche Votre Majesté; M. de Loignac était à l'endroit où se trouve en ce moment votre lieutenant des mousquetaires; M. de Sainte-Maline et les ordinaires de Sa Majesté étaient derrière lui et autour de lui. C'est là qu'il fut frappé.

      Le roi se tourna du côté de son officier, et vit comme un nuage passer sur sa physionomie martiale et audacieuse.

      – Oui, par-derrière, murmura le lieutenant avec un geste de suprême dédain.

      Et il essaya de se remettre en marche, comme s'il eût été mal à l'aise entre ces murs visités autrefois par la trahison.

      Mais le roi, qui paraissait ne pas mieux demander que d'apprendre, parut disposé à donner encore un regard à ce funèbre lieu. Gaston comprit le désir de son neveu.

      – Voyez, Sire, dit-il en prenant un flambeau des mains de M. de Saint-Remy, voici où il est allé tomber. Il y avait là un lit dont il déchira les rideaux en s'y retenant.

      – Pourquoi le parquet semble-t-il creusé à cet endroit? demanda

      Louis.

      – Parce que c'est à cet endroit que coula le sang, répondit Gaston, que le sang pénétra profondément dans le chêne, et que ce n'est qu'à force de le creuser qu'on est parvenu à le faire disparaître, et encore, ajouta Gaston en approchant son flambeau de l'endroit désigné, et encore cette teinte rougeâtre a-t-elle résisté à toutes les tentatives qu'on a faites pour la détruire.

      Louis XIV releva le front. Peut-être pensait-il à cette trace sanglante qu'on lui avait un jour montrée au Louvre, et qui, comme pendant à celle de Blois, y avait été faite un jour par le roi son père avec le sang de Concini.

      – Allons! dit-il.

      On se remit aussitôt en marche, car l'émotion sans doute avait donné à la voix du jeune prince un ton de commandement auquel de sa part on n'était point accoutumé.

      Arrivé à l'appartement réservé au roi, et auquel on communiquait, non seulement par le petit passage que nous venons de suivre, mais encore par un grand escalier donnant sur la cour:

      – Que Votre Majesté, dit Gaston, veuille bien accepter cet appartement, tout indigne qu'il est de la recevoir.

      – Mon oncle, répondit le jeune prince, je vous rends grâce de votre cordiale hospitalité.

      Gaston salua son neveu, qui l'embrassa, puis il sortit. Des vingt mousquetaires qui avaient accompagné le roi, dix reconduisirent Monsieur jusqu'aux salles de réception, qui n'avaient point désempli malgré le départ de Sa Majesté.

      Les dix autres furent postés par l'officier, qui explora lui-même en cinq minutes toutes les localités avec ce coup d'oeil froid et dur que ne donne pas toujours l'habitude, attendu que ce coup d'oeil appartenait au génie.

      Puis, quand tout son monde fut placé, il choisit pour son quartier général l'antichambre dans laquelle il trouva un grand fauteuil, une lampe, du vin, de l'eau et du pain sec.

      Il raviva la lampe, but un demi-verre de vin, tordit ses lèvres sous un sourire plein d'expression, s'installa dans le grand fauteuil et prit toutes ses dispositions pour dormir.

      Chapitre IX – Où l'inconnu de l'hôtellerie des Médicis perd son incognito

      Cet officier qui dormait ou qui s'apprêtait à dormir était cependant, malgré son air insouciant, chargé d'une grave responsabilité. Lieutenant des mousquetaires du roi, il commandait toute la compagnie qui était venue de Paris, et cette compagnie était de cent vingt hommes; mais, excepté les vingt dont nous avons parlé, les cent autres étaient occupés de la garde de la reine mère et surtout de M. le cardinal. M. Giulio Mazarini économisait sur les frais de voyage de ses gardes, il usait en conséquence de ceux du roi, et largement, puisqu'il en prenait cinquante pour lui, particularité qui n'eût pas manqué de paraître bien inconvenante à tout homme étranger aux usages de cette cour. Ce qui n'eût pas manqué non plus de paraître, sinon inconvenant, du moins extraordinaire à cet étranger, c'est que le côté du château destiné à M. le cardinal était brillant, éclairé, mouvementé. Les mousquetaires y montaient des factions devant chaque porte et ne

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