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Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le vicomte de Bragelonne, Tome I.
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Pendant cette conversation, Louis XIV, conduit par Madame, accomplissait, comme nous l'avons dit, le cercle des présentations.
– Mlle Arnoux, disait la princesse en présentant à Sa Majesté une grosse blonde de vingt-deux ans, qu'à la fête d'un village on eût prise pour une paysanne endimanchée, Mlle Arnoux, fille de ma maîtresse de musique.
Le roi sourit. Madame n'avait jamais pu tirer quatre notes justes de la viole ou du clavecin.
– Mlle Aure de Montalais, continua Madame, fille de qualité et bonne servante.
Cette fois ce n'était plus le roi qui riait, c'était la jeune fille présentée, parce que, pour la première fois de sa vie, elle s'entendait donner par Madame, qui d'ordinaire ne la gâtait point, une si honorable qualification.
Aussi Montalais, notre ancienne connaissance, fit-elle à Sa Majesté une révérence profonde, et cela autant par respect que par nécessité, car il s'agissait de cacher certaines contractions de ses lèvres rieuses que le roi eût bien pu ne pas attribuer à leur motif réel. Ce fut juste en ce moment que le roi entendit le mot qui le fit tressaillir.
– Et la troisième s'appelle? demandait Monsieur.
– Marie, monseigneur, répondait le cardinal.
Il y avait sans doute dans ce mot quelque puissance magique, car, nous l'avons dit, à ce mot le roi tressaillit, et, entraînant Madame vers le milieu du cercle, comme s'il eût voulu confidentiellement lui faire quelque question, mais en réalité pour se rapprocher du cardinal:
– Madame ma tante, dit-il en riant et à demi-voix, mon maître de géographie ne m'avait point appris que Blois fût à une si prodigieuse distance de Paris.
– Comment cela, mon neveu? demanda Madame.
– C'est qu'en vérité il paraît qu'il faut plusieurs années aux modes pour franchir cette distance. Voyez ces demoiselles.
– Eh bien! je les connais.
– Quelques-unes sont jolies.
– Ne dites pas cela trop haut, monsieur mon neveu, vous les rendriez folles.
– Attendez, attendez, ma chère tante, dit le roi en souriant, car la seconde partie de ma phrase doit servir de correctif à la première. Eh bien! ma chère tante, quelques-unes paraissent vieilles et quelques autres laides, grâce à leurs modes de dix ans.
– Mais, Sire, Blois n'est cependant qu'à cinq journées de Paris.
– Eh! dit le roi, c'est cela, deux ans de retard par journée.
– Ah! vraiment, vous trouvez? C'est étrange, je ne m'aperçois point de cela, moi.
– Tenez, ma tante, dit Louis XIV en se rapprochant toujours de Mazarin sous prétexte de choisir son point de vue, voyez, à côté de ces affiquets vieillis et de ces coiffures prétentieuses, regardez cette simple robe blanche. C'est une des filles d'honneur de ma mère, probablement, quoique je ne la connaisse pas. Voyez quelle tournure simple, quel maintien gracieux! À la bonne heure! c'est une femme, cela, tandis que toutes les autres ne sont que des habits.
– Mon cher neveu, répliqua Madame en riant, permettez-moi de vous dire que, cette fois, votre science divinatoire est en défaut. La personne que vous louez ainsi n'est point une Parisienne, mais une Blésoise.
– Ah! ma tante! reprit le roi avec l'air du doute.
– Approchez, Louise, dit Madame.
Et la jeune fille qui déjà nous est apparue sous ce nom s'approcha, timide, rougissante et presque courbée sous le regard royal.
– Mlle Louise-Françoise de La Baume Le Blanc, fille du marquis de
La Vallière, dit cérémonieusement Madame au roi.
La jeune fille s'inclina avec tant de grâce au milieu de cette timidité profonde que lui inspirait la présence du roi, que celui- ci perdit en la regardant quelques mots de la conversation du cardinal et de Monsieur.
– Belle-fille, continua Madame, de M. de Saint-Remy, mon maître d'hôtel, qui a présidé à la confection de cette excellente daube truffée que Votre Majesté a si fort appréciée.
Il n'y avait point de grâce, de beauté ni de jeunesse qui pût résister à une pareille présentation. Le roi sourit. Que les paroles de Madame fussent une plaisanterie ou une naïveté, c'était, en tout cas, l'immolation impitoyable de tout ce que Louis venait de trouver charmant et poétique dans la jeune fille.
Mlle de La Vallière, pour Madame, et par contrecoup pour le roi, n'était plus momentanément que la belle-fille d'un homme qui avait un talent supérieur sur les dindes truffées.
Mais les princes sont ainsi faits. Les dieux aussi étaient comme cela dans l'Olympe. Diane et Vénus devaient bien maltraiter la belle Alcmène et la pauvre Io, quand on descendait par distraction à parler, entre le nectar et l'ambroisie, de beautés mortelles à la table de Jupiter.
Heureusement que Louise était courbée si bas qu'elle n'entendit point les paroles de Madame, qu'elle ne vit point le sourire du roi. En effet, si la pauvre enfant, qui avait tant de bon goût que seule elle avait imaginé de se vêtir de blanc entre toutes ses compagnes; si ce coeur de colombe, si facilement accessible à toutes les douleurs, eût été touché par les cruelles paroles de Madame, par l'égoïste et froid sourire du roi, elle fût morte sur le coup.
Et Montalais elle-même, la fille aux ingénieuses idées, n'eût pas tenté d'essayer de la rappeler à la vie, car le ridicule tue tout, même la beauté.
Mais par bonheur, comme nous l'avons dit, Louise, dont les oreilles étaient bourdonnantes et les yeux voilés, Louise ne vit rien, n'entendit rien, et le roi, qui avait toujours l'attention braquée aux entretiens du cardinal et de son onde, se hâta de retourner près d'eux. Il arriva juste au moment où Mazarin terminait en disant:
– Marie, comme ses soeurs, part en ce moment pour Brouage. Je leur fais suivre la rive opposée de la Loire à celle que nous avons suivie, et si je calcule bien leur marche, d'après les ordres que j'ai donnés, elles seront demain à la hauteur de Blois.
Ces paroles furent prononcées avec ce tact, cette mesure, cette sûreté de ton, d'intention et de portée, qui faisaient de signor Giulio Mazarini le premier comédien du monde.
Il en résulta qu'elles portèrent droit au coeur de Louis XIV, et que le cardinal, en se retournant sur le simple bruit des pas de Sa Majesté, qui s'approchait, en vit l'effet immédiat sur le visage de son élève, effet qu'une simple rougeur trahit aux yeux de Son Éminence. Mais aussi, qu'était un tel secret à éventer pour celui dont l'astuce avait joué depuis vingt ans tous les diplomates européens?
Il sembla dès lors, une fois ces dernières paroles entendues, que le jeune roi eût reçu dans le coeur un trait empoisonné.
Il ne tint plus en place, il promena un regard incertain, atone, mort, sur toute cette assemblée. Il interrogea plus de vingt fois du regard la reine mère, qui, livrée au plaisir d'entretenir sa belle-soeur, et retenue d'ailleurs par le coup d'oeil de Mazarin, ne parut pas comprendre toutes les supplications contenues dans les regards de son fils. À partir de ce moment, musique, fleurs, lumières, beauté, tout devint odieux et insipide à Louis XIV. Après qu'il eut cent fois mordu ses lèvres, détiré ses bras et ses jambes, comme l'enfant bien élevé qui, sans oser bâiller, épuise toutes les façons de témoigner son ennui, après avoir inutilement imploré de nouveau mère et ministre, il tourna un oeil désespéré vers la porte, c'est-à-dire vers la liberté.
À cette porte, encadrée par l'embrasure à laquelle elle était adossée, il vit surtout, se détachant en vigueur, une figure fière et brune, au nez aquilin, à l'oeil dur mais étincelant, aux cheveux gris et longs, à la moustache noire, véritable type de beauté militaire, dont le hausse-col, plus étincelant qu'un miroir, brisait tous les reflets lumineux qui venaient s'y concentrer et les renvoyait en éclairs. Cet officier avait le chapeau gris à plume rouge