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(2/4) / Le retour du croisé

      CHAPITRE XI

Premier voleur

      «Halte là, monsieur; jetez-nous votre bourse si vous ne voulez pas que nous vous la prenions de force.»

Sperd

      «Nous sommes perdus! ce sont les scélérats que tous les voyageurs craignent tant.»

Valentin

      «Mes amis…»

Premier voleur

      «Ne nous appelez pas ainsi, monsieur; nous ne sommes pas vos amis, mais vos ennemis.»

Deuxième voleur

      «Paix! il faut l'écouter!..

Troisième voleur

      «Oui, par ma barbe, il faut l'écouter! c'est un homme comme il faut.»

Shakspeare, les deux Gentilshommes de Venise.

      Notre gardien de pourceaux n'était pas à la fin de ses aventures nocturnes, et il commençait en effet à s'en douter, lorsqu'après avoir traversé la plus grande partie de la ville d'Ashby, et avoir passé près de quelques maisons isolées qui en formaient le faubourg, il se trouva dans un chemin creux, entre deux monticules couverts de noisetiers et de buis, entremêlés de chênes qui étendaient leurs branches sur la route, d'ailleurs très raboteuse et pleine d'ornières profondes, creusées par le roulis journalier de voitures de toute espèce, de celles surtout qui avaient récemment transporté tous les matériaux nécessaires à la construction des galeries élevées autour de la lice du tournoi; enfin l'obscurité était encore rendue plus grande par le feuillage et les branches des arbres qui interceptaient le peu de clarté que la lune aurait pu y verser dans une belle nuit d'été. Le bruit lointain des divertissemens de la ville, celui des chants joyeux, des éclats de rire de la multitude, mariés au son des divers instrumens, tout cela, en rappelant au souvenir de Gurth cette foule de guerriers, de gens de toute condition et sans aveu, qui se trouvaient à Ashby, tintait malgré lui à son oreille, et augmentait son inquiétude et son embarras. Dans sa perplexité, il se dit à lui-même: «Par le ciel et par saint Dunstan, la juive avait raison! je voudrais être en sûreté, moi et mon trésor. Il y a ici un si grand nombre, je n'ose pas dire de voleurs, mais de soi-disant chevaliers errans, d'écuyers, de ménestrels, de jongleurs, d'archers et de vauriens affamés et vagabonds, qu'un homme ayant un marc d'argent en poche ne saurait être en pleine sécurité; à plus forte raison celui qui, comme moi, a une si énorme somme de sequins. Je voudrais être au bout de ce chemin redouté, pour apercevoir les clercs de saint Nicolas avant qu'ils ne tombent sur les épaules.» Afin d'atteindre la plaine à laquelle menait ce chemin creux, notre voyageur doubla donc le pas; mais, dans l'endroit précisément où le bois qui garnissait les deux hauteurs était le plus fourré, le plus touffu, quatre hommes s'élancent sur lui, deux de chaque côté du chemin, et ils le tiennent si bien serré, que tous efforts de sa part, toute résistance deviennent inutiles.

      «Ta bourse! lui dit l'un d'eux; nous sommes des gens serviables, et nous débarrassons les voyageurs des plus ou moins lourds fardeaux qui les gênent dans leur marche.» – «Vous ne me débarrasseriez pas facilement de celui que je porte, si je pouvais me défendre,» répondit Gurth, dont la probité innée et sans tache l'empêchait de se taire et de ne pas s'épuiser en efforts, malgré l'imminence du danger présent. «C'est ce que nous allons voir, répliqua le voleur. Si tu aimes les os brisés et la bourse coupée, rien n'est plus facile; on pourra également t'ouvrir deux veines en même temps. Qu'on l'emmène dans le bois,» dit-il à ses compagnons.

      On força Gurth à gravir la hauteur du côté gauche du chemin, et on l'entraîna de vive force dans un petit bois qui s'étendait jusqu'à la plaine; on le fit marcher ainsi jusque dans le plus épais du taillis. Là, se trouvait une espèce de clairière où se jouaient les pales rayons de la lune, où les bandits s'arrêtèrent avec leur victime, et où ils furent joints par deux autres. Ce fut en cet endroit que Gurth, au moyen de cette faible lueur, put s'apercevoir que ces six larrons portaient des masques, ce qui ne lui aurait laissé aucun doute sur leur profession, s'il avait pu en concevoir d'après la manière brutale dont il venait d'être arrêté et saisi, et si le lieu même de l'arrestation n'eût témoigné contre ses assassins. «Combien as-tu d'argent?» lui demanda un des nouveaux venus. – «Trente sequins m'appartiennent,» répondit Gurth avec assurance. – «Mensonge! mensonge! s'écrièrent tous les brigands; un Saxon aurait trente sequins, et partirait de la ville sans être ivre? impossible! confiscation irrévocable de tout ce qu'il porte.» – «Je les gardais pour acheter ma liberté,» dit Gurth. – «Tu n'es qu'un âne, cria l'un des voleurs; trois pintes de double bière t'auraient rendu aussi libre et plus libre que ton maître, fût-il Saxon, comme toi.» – «C'est une triste vérité, dit Gurth; mais si trente sequins vous contentaient, lâchez moi le bras, et je vous les compterai.» – «Un instant, reprit encore un des nouveaux venus, qui semblait être le chef; le sac que tu portes sous ton manteau renferme plus d'argent que tu n'en déclares.» – «Il appartient au brave chevalier, mon maître, répondit Gurth, et certainement je ne vous en aurais point parlé, si vous aviez voulu vous contenter de ce qui m'appartient.» – «Tu es un brave garçon, par ma foi! et tout dévoués que nous soyons à saint Nicolas, tu peux encore sauver tes trente sequins, si tu veux être sincère avec nous. Mais, en attendant, mets à terre le poids qui te gêne.» Et aussitôt il lui prit un sac de cuir, dans lequel se trouvaient la bourse de Rebecca et le reste des sequins qu'il avait apportés.»

      Continuant alors son interrogatoire: «Quel est ton maître?» lui demanda-t-il. – «Le chevalier déshérité.» – «Qui a remporté le prix aujourd'hui? Quel est son nom et son lignage?» – «Son bon plaisir est qu'on l'ignore, et ce n'est pas de moi que vous l'apprendrez.» – «Et toi-même, comment te nommes-tu?» – «Vous dire mon nom, ce serait vous désigner mon maître.» – «Tu es un fidèle serviteur. Mais comment cet or appartient-il à ton maître? Est-ce par héritage ou à quelque autre titre?» – «C'est par le droit de sa bonne lance. Ce sac renferme la rançon de quatre beaux coursiers et d'autant de belles armures.» – «Combien s'y trouve-t-il?» – Deux cents sequins.» – «Pas davantage? Ton maître a été bien modéré envers les vaincus; ils en ont été quittes à bon marché. Dis-moi ceux qui ont payé cette rançon.» Gurth obéit.

      «Mais tu ne me parles pas du templier, reprit le chef. Tu ne peux me tromper: quelle rançon a payé sire Brian de Bois-Guilbert?» – «Mon maître n'en a voulu aucune de lui. Il existe entre eux une haine à mort, et ils ne peuvent avoir ensemble aucun rapport de courtoisie.» – «Bravo!» dit le chef. Et après un moment de réflexion: «Par quel hasard, ajouta-t-il, te trouvais-tu à Ashby avec une telle somme?» – «J'allais rendre au juif Isaac d'Yorck le prix d'une armure qu'il avait prêtée à mon maître pour le tournoi.» – «Et combien as-tu payé à Isaac? Si j'en juge par le poids, la somme entière est encore dans ce sac.» – «J'ai payé quatre-vingts sequins à Isaac, et il m'en a fait remettre cent en place.» – «Impossible! Impossible! s'écrièrent à la fois tous les brigands. Comment oses-tu nous en imposer par d'aussi grossiers mensonges?» – «Ce que je vous dis, répondit Gurth, est aussi vrai qu'il est vrai que vous voyez la lune. Vous trouverez les cent sequins dans une bourse de soie séparée du reste de l'argent.» – «Songe, dit le chef, que tu parles d'un juif, d'un homme aussi incapable de lâcher l'or qu'il a une fois touché que les sables du désert le sont de rendre la coupe d'eau que le voyageur y a versée1.» – «Un juif, dit un autre chef de bandits, n'a pas plus de pitié qu'un officier du shériff à qui l'on n'a pas remis pour boire.» – «Ce que je vous ai dit est pourtant vrai,» répondit Gurth. – «Qu'on allume vite une torche, dit le chef, car je veux examiner cette bourse. Si ce drôle ne ment pas, la générosité du juif est un phénomène contre nature, et presque un aussi grand miracle que celui qui fit jaillir une source d'un rocher pour ses ancêtres dans le désert.»

      On alluma une torche, et le chef examina ce que la bourse contenait. Pendant qu'il la dénouait, ses compagnons se groupèrent autour de lui; et ceux qui tenaient Gurth par le bras, mus par un excès de curiosité à la vue de l'or, allongèrent le cou pour satisfaire leur cupidité. L'écuyer saxon, par cette inadvertance, se trouvant moins serré, rassembla toutes ses forces musculeuses pour s'affranchir de ses liens à l'aide d'un mouvement spontané et vigoureusement combiné; et vraiment il fût parvenu à s'évader, à se délivrer des voleurs, s'il eût voulu renoncer à l'argent de son maître; mais cette intention ne fut pas la sienne. Ainsi adroitement dégagé des liens qui le retenaient captif, il arracha

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<p>1</p>

A Jew, as unapt to restore gold as the dry of his deserts to return the cup of water which the pilgrim spills upon them.