ТОП просматриваемых книг сайта:
Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870. Victor Hugo
Читать онлайн.Название Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Il se dit, monsieur, des choses devant lesquelles je detourne la tete. Non, ce qui se dit n'est pas. Quoi! une voix, la voix la plus obscure, ne pourrait pas, si c'est la voix d'un exile, demander grace, dans un coin perdu de l'Europe, pour un homme qui va mourir, sans que M. Bonaparte l'entendit! sans que M. Bonaparte intervint! sans que M. Bonaparte mit le hola! Quoi! M, Bonaparte qui a la guillotine de Belley, la guillotine de Draguignan et la guillotine de Montpellier, n'en aurait pas assez, et aurait l'appetit d'une potence a Guernesey! Quoi! dans cette affaire, vous auriez, vous monsieur, craint de faire de la peine au proscripteur en donnant raison au proscrit, l'homme pendu serait une complaisance, ce gibet serait une gracieusete, et vous auriez fait cela pour "entretenir l'amitie"! Non, non, non! je ne le crois pas, je ne puis le croire; je ne puis en admettre l'idee, quoique j'en aie le frisson!
En presence de la grande et genereuse nation anglaise, votre reine aurait le droit de grace et M. Bonaparte aurait le droit de veto! En meme temps qu'il y a un tout-puissant au ciel, il y aurait ce tout-puissant sur la terre! – Non!
Seulement il n'a pas ete possible aux journaux de France de parler de Tapner. Je constate le fait, mais je n'en conclus rien.
Quoi qu'il en soit, vous avez ordonne, ce sont les termes de la depeche, que la justice "suivit son cours"; quoi qu'il en soit, tout est fini; quoi qu'il en soit, Tapner, apres trois sursis et trois reflexions [note: Du 27 janvier au 3 fevrier. – Du 3 fevrier au 6. – Du 6 au 10.], a ete pendu hier 10 fevrier, et, – si, par aventure, il y a quelque chose de fonde dans les conjectures que je repousse, – voici, monsieur, le bulletin de la journee. Vous pourriez, dans ce cas, le transmettre aux Tuileries. Ces details n'ont rien qui repugne a l'empire du Deux Decembre; il planera avec joie sur cette victoire. C'est un aigle a gibets.
Depuis quelques jours, le condamne etait frissonnant. Le lundi 6 on avait entendu ce dialogue entre lui et un visiteur: —Comment etes-vous? – J'ai plus peur de la mort que jamais. – Est-ce du supplice que vous avez peur? – Non, pas de cela … Mais quitter mes enfants! et il s'etait mis a pleurer. Puis il avait ajoute: —Pourquoi ne me laisse-t-on pas le temps de me repentir?
La derniere nuit, il a lu plusieurs fois le psaume 51. Puis, apres s'etre etendu un moment sur son lit, il s'est jete a genoux. Un assistant s'est approche et lui a dit: —Sentez-vous que vous avez besoin de pardon? Il a repondu: Oui. La meme personne a repris: —Pour qui priez-vous? Le condamne a dit: Pour mes enfants. Puis il a releve la tete, et l'on a vu son visage inonde de larmes, et il est reste a genoux. Entendant sonner quatre heures du matin, il s'est tourne et a dit aux gardiens: —J'ai encore quatre heures, mais ou ira ma miserable ame? Les apprets ont commence; on l'a arrange comme il fallait qu'il fut; le bourreau de Guernesey pratique peu; le condamne a dit tout bas au sous-sherif: —Cet homme saura-t-il bien faire la chose? – Soyez tranquille, a repondu le sous-sherif. Le procureur de la reine est entre; le condamne lui a tendu la main; le jour naissait, il a regarde la fenetre blanchissante du cachot et a murmure: Mes enfants! Et il s'est mis a lire un livre intitule: CROYEZ ET VIVEZ.
Des le point du jour une multitude immense fourmillait aux abords de la geole.
Un jardin etait attenant a la prison. On y avait dresse l'echafaud. Une breche avait ete faite au mur pour que le condamne passat. A huit heures du matin, la foule encombrant les rues voisines, deux cents spectateurs "privilegies" etant dans le jardin, l'homme a paru a la breche. Il avait le front haut et le pas ferme; il etait pale; le cercle rouge de l'insomnie entourait ses yeux. Le mois qui venait de s'ecouler l'avait vieilli de vingt annees. Cet homme de trente ans en paraissait cinquante. "Un bonnet de coton blanc profondement enfonce sur la tete et releve sur le front, – dit un temoin oculaire [note: Execution de J. – C. Tapner. (Imprime au bureau du Star de Guernesey.)], – vetu de la redingote brune qu'il portait aux debats, et chausse de vieilles pantoufles", il a fait le tour d'une partie du jardin dans une allee sablee expres. Les bordiers, le sherif, le lieutenant-sherif, le procureur de la reine, le greffier et le sergent de la reine l'entouraient. Il avait les mains liees; mal, comme vous allez voir. Pourtant, selon l'usage anglais, pendant que les mains etaient croisees par les liens sur la poitrine, une corde rattachait les coudes derriere le dos. Il marchait l'oeil fixe sur le gibet. Tout en marchant il disait a voix haute: Ah! mes pauvres enfants! A cote de lui, le chapelain Bouwerie, qui avait refuse de signer la demande en grace, pleurait. L'allee sablee menait a l'echelle. Le noeud pendait. Tapner a monte. Le bourreau tremblait; les bourreaux d'en bas sont quelquefois emus. Tapner s'est mis lui-meme sous le noeud coulant et y a passe son cou, et, comme il avait les mains peu attachees, voyant que le bourreau, tout egare, s'y prenait mal, il l'a aide. Puis, "comme s'il eut pressenti ce qui allait suivre", – dit le meme temoin, – il a dit: Liez-moi donc mieux les mains. – C'est inutile, a repondu le bourreau. Tapner etant ainsi debout dans le noeud coulant, les pieds sur la trappe, le bourreau a rabattu le bonnet sur son visage, et l'on n'a plus vu de cette face pale qu'une bouche qui priait. La trappe prete a s'ouvrir sous lui avait environ deux pieds carres. Apres quelques secondes, le temps de se retourner, l'homme des "hautes oeuvres" a presse le ressort de la trappe. Un trou s'est fait sous le condamne, il y est tombe brusquement, la corde s'est tendue, le corps a tourne, on a cru l'homme mort. "On pensa, dit le temoin, que Tapner avait ete tue roide par la rupture de la moelle epiniere." Il etait tombe de quatre pieds de haut, et de tout son poids, et c'etait un homme de haute taille; et le temoin ajoute: "Ce soulagement des coeurs oppresses ne dura pas deux minutes." Tout a coup, l'homme, pas encore cadavre et deja spectre, a remue; les jambes se sont elevees et abaissees l'une apres l'autre comme si elles essayaient de monter des marches dans le vide, ce qu'on entrevoyait de la face est devenu horrible, les mains, presque deliees, s'eloignaient et se rapprochaient "comme pour demander assistance", dit le temoin. Le lien des coudes s'etait rompu a la secousse de la chute. Dans ces convulsions, la corde s'est mise a osciller, les coudes du miserable ont heurte le bord de la trappe, les mains s'y sont cramponnees, le genou droit s'y est appuye, le corps s'est souleve, et le pendu s'est penche sur la foule. Il est retombe, puis a recommence. Deux fois, dit le temoin. La seconde fois il s'est dresse a un pied de hauteur; la corde a ete un moment lache. Puis il a releve son bonnet et la foule a vu ce visage. Cela durait trop, a ce qu'il parait. Il a fallu finir. Le bourreau qui etait descendu, est remonte, et a fait, je cite toujours le temoin oculaire, "lacher prise au patient". La corde avait devie; elle etait sous le menton; le bourreau l'a remise sous l'oreille; apres quoi il a presse sur les deux epaules". [Note: Gazette de Guernesey, 11 fevrier.] Le bourreau et le spectre ont lutte un moment. Le bourreau a vaincu. Puis cet infortune, condamne lui-meme, s'est precipite dans le trou ou pendait Tapner, lui a etreint les deux genoux et s'est suspendu a ses pieds. La corde s'est balancee un moment, portant le patient et le bourreau, le crime et la loi. Enfin, le bourreau a lui-meme "lache prise". C'etait fait. L'homme etait mort.
Vous le voyez, monsieur, les choses se sont bien passees. Cela a ete complet, Si c'est un cri d'horreur qu'on a voulu, on l'a.
La ville etant batie en amphitheatre, on voyait cela de toutes les fenetres. Les regards plongeaient dans le jardin.
La foule criait: shame! shame! Des femmes sont tombees evanouies.
Pendant ce temps-la, Fouquet, le gracie de 1851, se repent. Le bourreau a fait de Tapner un cadavre; la clemence a refait de Fouquet un homme.
Dernier detail.
Entre le moment ou Tapner est tombe dans le trou de la trappe et l'instant ou le bourreau, ne sentant plus de fremissement, lui a lache les pieds, il s'est ecoule douze minutes. Douze minutes! Qu'on calcule combien cela fait de temps, si quelqu'un sait a quelle horloge se comptent les minutes de l'agonie!
Voila donc, monsieur, de quelle facon Tapner est mort.
Cette execution a coute cinquante mille francs. C'est un beau luxe. [Note: " L'executeur Rooks a deja coute pres de deux mille livres sterling au fisc." Gazette de Guernesey, 11 fevrier. Rooks n'avait encore pendu personne; Tapner est son coup d'essai. Le dernier gibet qu'ait vu Guernesey remonte a vingt-quatre ans. Il fut dresse pour un assassin nomme Beasse, execute le 3 novembre 1830.]
Quelques amis de la peine de mort disent qu'on aurait pu avoir cette strangulation pour "vingt-cinq livres sterling". Pourquoi lesiner?