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      La San-Felice, Tome 08

      LXIV

      LA JOURNÉE DU 13 JUIN

      Sans doute, des ordres avaient été donnés d'avance pour que ces trois coups de canon fussent un double signal.

      Car à peine le grondement du dernier se fut éteint, que les deux prisonniers du Château-Neuf, qui avaient été condamnés la surveille, entendirent, dans le corridor qui conduisait à leur cachot, les pas pressés d'une troupe d'hommes armés.

      Sans dire une parole, ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, comprenant que leur dernière heure était arrivée.

      Ceux qui ouvrirent la porte les trouvèrent embrassés, mais résignés et souriants.

      –Êtes-vous prêts, citoyens? demanda l'officier qui commandait l'escorte, et à qui les plus grands égards avaient été recommandés pour les condamnés. Tous deux répondirent: «Oui,» en même temps, André avec la voix, Simon par un signe de tête.

      –Alors, suivez-nous, dit l'officier.

      Les deux condamnés jetèrent sur leur prison ce dernier regard que jette, mêlé de regrets et de tendresse, sur son cachot celui que l'on conduit à la mort, et, par ce besoin qu'a l'homme de laisser quelque chose après lui, André, avec un clou, grava sur la muraille son nom et celui de son père.

      Les deux noms furent gravés au-dessus du lit de chacun.

      Puis il suivit les soldats, au milieu desquels son père était déjà allé prendre place.

      Une femme vêtue de noir les attendait dans la cour qu'ils avaient à traverser. Elle s'avança d'un pas ferme au-devant d'eux; André jeta un cri et tout son corps trembla.

      –La chevalière San-Felice! s'écria-t-il.

      Luisa s'agenouilla.

      –Pourquoi à genoux, madame, quand vous n'avez à demander pardon à personne? dit André. Nous savons tout: le véritable coupable s'est dénoncé lui-même. Mais rendez-moi cette justice qu'avant que j'eusse reçu la lettre de Michele, vous aviez déjà la mienne.

      Luisa sanglotait.

      –Mon frère! murmura-t-elle.

      –Merci! dit André. Mon père, bénissez votre fille.

      Le vieillard s'approcha de Luisa et lui mit la main sur la tête.

      –Puisse Dieu te bénir comme je te bénis, mon enfant, et écarter de ton front jusqu'à l'ombre du malheur!

      Luisa laissa tomber sa tête sur ses genoux et éclata en sanglots.

      Le jeune Backer prit une longue boucle de ses cheveux blonds flottants, la porta à ses lèvres et la baisa avidement.

      –Citoyens! murmura l'officier.

      –Nous voici, monsieur, dit André.

      Au bruit des pas qui s'éloignaient, Luisa releva la tête, et, toujours à genoux, les bras tendus, les suivit des yeux jusqu'à ce qu'ils eussent disparu à l'angle de l'arc de triomphe aragonais.

      Si quelque chose pouvait ajouter à la tristesse de cette marche funèbre, c'étaient la solitude et le silence des rues que les condamnés traversaient, et pourtant ces rues étaient les plus populeuses de Naples.

      De temps en temps, cependant, au bruit des pas d'une troupe armée, une porte s'entre-bâillait, une fenêtre s'ouvrait, on voyait une tête craintive, de femme presque toujours, passer par l'ouverture, puis la porte ou la fenêtre se refermait plus rapidement encore qu'elle ne s'était ouverte: on avait vu deux hommes désarmés au milieu d'une troupe d'hommes armés, et l'on devinait que ces deux hommes marchaient à la mort.

      Ils traversèrent ainsi Naples dans toute sa longueur et débouchèrent sur le Marché-Vieux, place ordinaire des exécutions.

      –C'est ici, murmura André Backer.

      Le vieux Backer regarda autour de lui.

      –Probablement, murmura-t-il.

      Cependant, on dépassa le Marché.

      –Où vont-ils donc? demanda Simon en allemand.

      –Ils cherchent probablement une place plus commode que celle-ci, répondit André dans la même langue: ils ont besoin d'un mur, et, ici, il n'y a que des maisons.

      En arrivant sur la petite place de l'église del Carmine, André Backer toucha du coude le bras de Simon et lui montra des yeux, en face de la maison du curé desservant l'église, un mur en retour sans aucune ouverture.

      C'est celui contre lequel est élevé aujourd'hui un grand crucifix.

      –Oui, répondit Simon.

      En effet, l'officier qui dirigeait la petite troupe s'achemina de ce côté.

      Les deux condamnés pressèrent le pas, et, sortant des rangs, allèrent se placer contre la muraille.

      –Qui des deux mourra le premier? demanda l'officier.

      –Moi! s'écria le vieux.

      –Monsieur, demanda André, avez-vous des ordres positifs pour nous fusiller l'un après l'autre?

      –Non, citoyen, répondit l'officier, je n'ai reçu aucune instruction à cet égard.

      –Eh bien, alors, si cela vous était égal, nous vous demanderions la grâce d'être fusillés ensemble et en même temps.

      –Oui, oui, dirent cinq ou six voix dans l'escorte, nous pouvons bien faire cela pour eux.

      –Vous l'entendez, citoyen, dit l'officier chargé de cette triste mission, je ferai tout ce que je pourrai pour adoucir vos derniers moments.

      –Ils nous accordent cela! s'écria joyeusement le vieux Backer.

      –Oui, mon père, dit André en jetant son bras au cou de Simon. Ne faisons point attendre ces messieurs, qui sont si bons pour nous.

      –Avez-vous quelque dernière grâce à demander, quelques recommandations à faire? demanda l'officier.

      –Aucune, répondirent les deux condamnés.

      –Allons donc, puisqu'il le faut, murmura l'officier; mais, sang du Christ! on nous fait faire là un vilain métier!

      Pendant ce temps, les deux condamnés, André tenant toujours son bras jeté autour du cou de son père, étaient allés s'adosser à la muraille.

      –Sommes-nous bien ainsi, messieurs? demanda le jeune Backer.

      L'officier fit un signe affirmatif.

      Puis, se retournant vers ses hommes:

      –Les fusils sont chargés? demanda-t-il.

      –Oui.

      –Eh bien, à vos rangs! Faites vite et tâchez qu'ils ne souffrent pas: c'est le seul service que nous puissions leur rendre.

      –Merci, monsieur, dit André.

      Ce qui se passa alors fut rapide comme la pensée.

      On entendit se succéder les commandements de «Apprêtez armes! – En joue! – Feu!»

      Puis une détonation se fit entendre.

      Tout était fini!

      Les républicains de Naples, entraînés par l'exemple de ceux de Paris, venaient de commettre une de ces actions sanglantes auxquelles la fièvre de la guerre civile entraîne les meilleures natures et les causes les plus saintes. Sous prétexte d'enlever aux citoyens toute espérance de pardon, aux combattants toute chance de salut, ils venaient de faire passer un ruisseau de sang entre eux et la clémence royale; – cruauté inutile qui n'avait pas même l'excuse de la nécessité.

      Il est vrai que ce furent les seules victimes. Mais elles suffirent pour marquer d'une tache de sang le manteau immaculé de République.

      Au moment même où les deux Backer, frappés des mêmes coups, tombaient enlacés aux bras l'un de l'autre, Bassetti allait prendre le commandement des troupes de Capodichino, Manthonnet celui des troupes de Capodimonte, et Writz celui des troupes de la Madeleine.

      Si les rues étaient désertes, en échange toutes les murailles des forts, toutes les terrasses des maisons étaient

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