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Vingt ans après. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Vingt ans après
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Prenez donc ceci, dit-il avec un soupir, voilà pour le voyage.
– Si ce sont des doublons d'Espagne ou même des écus d'or, pensa d'Artagnan, nous pourrons encore faire affaire ensemble.
Il salua le cardinal et engouffra le sac dans sa large poche.
– Eh bien, c'est donc dit, répondit le cardinal, vous allez voyager…
– Oui, Monseigneur.
– Écrivez-moi tous les jours pour me donner des nouvelles de votre négociation.
– Je n'y manquerai pas, Monseigneur.
– Très bien. À propos, le nom de vos amis?
– Le nom de mes amis? répéta d'Artagnan avec un reste d'inquiétude.
– Oui; pendant que vous cherchez de votre côté, moi, je m'informerai du mien et peut-être apprendrai-je quelque chose.
– M. le comte de La Fère, autrement dit Athos; M. du Vallon, autrement dit Porthos, et M. le chevalier d'Herblay, aujourd'hui l'abbé d'Herblay, autrement dit Aramis.
Le cardinal sourit.
– Des cadets, dit-il, qui s'étaient engagés aux mousquetaires sous de faux noms pour ne pas compromettre leurs noms de famille. Longues rapières, mais bourses légères; on connaît cela.
– Si Dieu veut que ces rapières-là passent au service de Votre Éminence, dit d'Artagnan, j'ose exprimer un désir, c'est que ce soit à son tour la bourse de Monseigneur qui devienne légère et la leur qui devienne lourde; car avec ces trois hommes et moi, Votre Éminence remuera toute la France et même toute l'Europe, si cela lui convient.
– Ces Gascons, dit Mazarin en riant, valent presque les Italiens pour la bravade.
– En tout cas, dit d'Artagnan avec un sourire pareil à celui du cardinal, ils valent mieux pour l'estocade.
Et il sortit après avoir demandé un congé qui lui fut accordé à l'instant et signé par Mazarin lui-même.
À peine dehors il s'approcha d'une lanterne qui était dans la cour et regarda précipitamment dans le sac.
– Des écus d'argent! fit-il avec mépris; je m'en doutais. Ah! Mazarin, Mazarin! tu n'as pas confiance en moi! tant pis! cela te portera malheur!
Pendant ce temps le cardinal se frottait les mains.
– Cent pistoles, murmura-t-il, cent pistoles! pour cent pistoles j'ai eu un secret que M. de Richelieu aurait payé vingt mille écus. Sans compter ce diamant, en jetant amoureusement les yeux sur la bague qu'il avait gardée, au lieu de la donner à d'Artagnan; sans compter ce diamant, qui vaut au moins dix mille livres.
Et le cardinal rentra dans sa chambre tout joyeux de cette soirée dans laquelle il avait fait un si beau bénéfice, plaça la bague dans un écrin garni de brillants de toute espèce, car le cardinal avait le goût des pierreries, et il appela Bemouin pour le déshabiller, sans davantage se préoccuper des rumeurs qui continuaient de venir par bouffées battre les vitres, et des coups de fusil qui retentissaient encore dans Paris, quoiqu'il fût plus de onze heures du soir.
Pendant ce temps d'Artagnan s'acheminait vers la rue Tiquetonne, où il demeurait à l'hôtel de La Chevrette…
Disons en peu de mots comment d'Artagnan avait été amené à faire choix de cette demeure.
VI. D'Artagnan à quarante ans
Hélas! depuis l'époque où, dans notre roman des Trois Mousquetaires, nous avons quitté d'Artagnan, rue des Fossoyeurs, 12, il s'était passé bien des choses, et surtout bien des années.
D'Artagnan n'avait pas manqué aux circonstances, mais les circonstances avaient manqué à d'Artagnan. Tant que ses amis l'avaient entouré, d'Artagnan était resté dans sa jeunesse et sa poésie; c'était une de ces natures fines et ingénieuses qui s'assimilent facilement les qualités des autres. Athos lui donnait de sa grandeur, Porthos de sa verve, Aramis de son élégance. Si d'Artagnan eût continué de vivre avec ces trois hommes, il fût devenu un homme supérieur. Athos le quitta le premier, pour se retirer dans cette petite terre dont il avait hérité du côté de Blois; Porthos, le second, pour épouser sa procureuse; enfin, Aramis, le troisième, pour entrer définitivement dans les ordres et se faire abbé. À partir de ce moment, d'Artagnan, qui semblait avoir confondu son avenir avec celui de ses trois amis, se trouva isolé et faible, sans courage pour poursuivre une carrière dans laquelle il sentait qu'il ne pouvait devenir quelque chose qu'à la condition que chacun de ses amis lui céderait, si cela peut se dire, une part du fluide électrique qu'il avait reçu du ciel.
Ainsi, quoique devenu lieutenant de mousquetaires, d'Artagnan ne s'en trouva que plus isolé; il n'était pas d'assez haute naissance, comme Athos, pour que les grandes maisons s'ouvrissent devant lui; il n'était pas assez vaniteux, comme Porthos, pour faire croire qu'il voyait la haute société; il n'était pas assez gentilhomme, comme Aramis, pour se maintenir dans son élégance native, en tirant son élégance de lui-même. Quelque temps le souvenir charmant de madame Bonacieux avait imprimé à l'esprit du jeune lieutenant une certaine poésie; mais comme celui de toutes les choses de ce monde, ce souvenir périssable s'était peu à peu effacé; la vie de garnison est fatale, même aux organisations aristocratiques. Des deux natures opposées qui composaient l'individualité de d'Artagnan, la nature matérielle l'avait peu à peu emporté, et tout doucement, sans s'en apercevoir lui-même, d'Artagnan, toujours en garnison, toujours au camp, toujours à cheval, était devenu (je ne sais comment cela s'appelait à cette époque) ce qu'on appelle de nos jours un véritable troupier.
Ce n'est point que pour cela d'Artagnan eût perdu de sa finesse primitive; non pas. Au contraire, peut-être, cette finesse s'était augmentée, ou du moins paraissait doublement remarquable sous une enveloppe un peu grossière; mais cette finesse il l'avait appliquée aux petites et non aux grandes choses de la vie; au bien-être matériel, au bien-être comme les soldats l'entendent, c'est-à-dire à avoir bon gîte, bonne table, bonne hôtesse.
Et d'Artagnan avait trouvé tout cela depuis six ans rue
Tiquetonne, à l'enseigne de La Chevrette.
Dans les premiers temps de son séjour dans cet hôtel, la maîtresse de la maison, belle et fraîche Flamande de vingt-cinq à vingt-six ans, s'était singulièrement éprise de lui; et après quelques amours fort traversées par un mari incommode, auquel dix fois d'Artagnan avait fait semblant de passer son épée au travers du corps, ce mari avait disparu un beau matin, désertant à tout jamais, après avoir vendu furtivement quelques pièces de vin et emporté l'argent et les bijoux. On le crut mort; sa femme surtout, qui se flattait de cette douce idée qu'elle était veuve, soutenait hardiment qu'il était trépassé. Enfin, après trois ans d'une liaison que d'Artagnan s'était bien gardé de rompre, trouvant chaque année son gîte et sa maîtresse plus agréables que jamais, car l'une faisait crédit de l'autre, la maîtresse eut l'exorbitante prétention de devenir femme, et proposa à d'Artagnan de l'épouser.
– Ah! fi! répondit d'Artagnan. De la bigamie, ma chère! Allons donc, vous n'y pensez pas!
– Mais il est mort, j'en suis sûre.
– C'était un gaillard très contrariant et qui reviendrait pour nous faire pendre.
– Eh bien, s'il revient, vous le tuerez; vous êtes si brave et si adroit!
– Peste! ma mie! autre moyen d'être pendu.
– Ainsi vous repoussez ma demande?
– Comment donc! mais avec acharnement!
La belle hôtelière fut désolée. Elle eût fait bien volontiers de M. d'Artagnan non seulement son mari, mais encore son Dieu: c'était un si bel homme et une si fière moustache!
Vers la quatrième année de cette liaison vint l'expédition de Franche-Comté. D'Artagnan fut désigné pour en être et se prépara à partir. Ce furent de grandes douleurs, des larmes sans fin, des promesses solennelles de rester fidèle; le