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Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Et vous avez raison. Mais je fais plus qu'aimer M. de La Fère, cher monsieur Baisemeaux, je le vénère.
– Eh bien, moi, c'est singulier, dit le gouverneur, je lui préfère M. d'Artagnan. Voilà un homme qui boit bien et longtemps! Ces gens-là laissent voir leur pensée, au moins.
– Baisemeaux, enivrez-moi ce soir, faisons la débauche comme autrefois; et, si j'ai une peine au fond du coeur, je vous promets que vous la verrez comme vous verriez un diamant au fond de votre verre.
– Bravo! dit Baisemeaux.
Et il se versa un grand coup de vin, et l'avala en frémissant de joie d'être pour quelque chose dans un péché capital d'archevêque.
Tandis qu'il buvait il ne voyait pas avec quelle attention Aramis observait les bruits de la grande cour.
Un courrier entra vers huit heures, à la cinquième bouteille apportée par François sur la table, et, quoique ce courrier fît grand bruit, Baisemeaux n'entendit rien.
– Le diable l'emporte! fit Aramis.
– Quoi donc? Qui donc? demanda Baisemeaux. J'espère que ce n'est pas le vin que vous buvez, ni celui qui vous le fait boire?
– Non; c'est un cheval qui fait, à lui seul autant de bruit dans la cour que pourrait en faire un escadron tout entier.
– Bon! Quelque courrier, répliqua le gouverneur en redoublant force rasades. Oui, le diable l'emporte! et si vite, que nous n'en entendions plus parler! Hourra! hourra!
– Vous m'oubliez, Baisemeaux! Mon verre est vide, dit Aramis en montrant un cristal éblouissant.
– D'honneur, vous m'enchantez… François, du vin!
François entra.
– Du vin, maraud, et du meilleur!
– Oui, monsieur; mais… c'est un courrier.
– Au diable! ai-je dit.
– Monsieur, cependant…
– Qu'il laisse au greffe; nous verrons demain. Demain, il sera temps; demain, il fera jour, dit Baisemeaux en chantonnant ces deux dernières phrases.
– Ah! monsieur, grommela le soldat François, bien malgré lui, monsieur…
– Prenez garde, dit Aramis, prenez garde.
– À quoi, cher monsieur d'Herblay? dit Baisemeaux à moitié ivre.
– La lettre par courrier, qui arrive aux gouverneurs de citadelle c'est quelquefois un ordre.
– Presque toujours.
– Les ordres ne viennent-ils pas des ministres?
– Oui sans doute; mais…
– Et ces ministres ne font-ils pas que contresigner le seing du roi?
– Vous avez peut-être raison. Cependant, c'est bien ennuyeux quand on est en face d'une bonne table en tête à tête avec un ami! Ah! pardon, monsieur, j'oublie que c'est moi qui vous donne à souper, et que je parle à un futur cardinal.
– Laissons tout cela, cher Baisemeaux, et revenons à votre soldat, à François.
– Eh bien, qu'a-t-il fait, François?
– Il a murmuré.
– Il a eu tort.
– Cependant, il a murmuré, vous comprenez; c'est qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire. Ce pourrait bien n'être pas François qui aurait tort de murmurer, mais vous qui auriez tort de ne pas l'entendre.
– Tort? Moi, avoir tort devant François? Cela me paraît dur.
– Un tort d'irrégularité. Pardon! mais j'ai cru devoir vous faire une observation que je juge importante.
– Oh! vous avez raison, peut-être, bégaya Baisemeaux. Ordre du roi c'est sacré! Mais les ordres qui viennent quand on soupe, je le répète, que le diable…
– Si vous eussiez fait cela au grand cardinal, hein! mon cher
Baisemeaux, et que cet ordre eût eu quelque importance…
– Je le fais pour ne pas déranger un évêque; ne suis-je pas excusable, morbleu?
– N'oubliez pas, Baisemeaux, que j'ai porté la casaque, et j'ai l'habitude de voir partout des consignes.
– Vous voulez donc?..
– Je veux que vous fassiez votre devoir, mon ami. Oui, je vous en prie, au moins devant ce soldat.
– C'est mathématique, fit Baisemeaux.
François attendait toujours.
– Qu'on me monte cet ordre du roi, dit Baisemeaux en se redressant. Et il ajouta tout bas: Savez-vous ce que c'est? Je vais vous le dire quelque chose d'intéressant comme ceci: «Prenez garde au feu dans les environs de la poudrière»; ou bien: «Veillez sur un tel, qui est un adroit fuyard.» Ah! si vous saviez, Monseigneur, combien de fois j'ai été réveillé en sursaut au plus doux, au plus profond de mon sommeil, par des ordonnances arrivant au galop pour me dire, ou plutôt pour m'apporter un pli contenant ces mots: «Monsieur Baisemeaux, qu'y a-t-il de nouveau?» On voit bien que ceux qui perdent leur temps à écrire de pareils ordres n'ont jamais couché à la Bastille. Ils connaîtraient mieux l'épaisseur de mes murailles, la vigilance de mes officiers, la multiplicité de mes rondes. Enfin, que voulez-vous, Monseigneur! leur métier est d'écrire pour me tourmenter lorsque je suis tranquille; pour me troubler quand je suis heureux ajouta Baisemeaux en s'inclinant devant Aramis. Laissons-les donc faire leur métier.
– Et faites le vôtre, ajouta en souriant l'évêque, dont le regard, soutenu, commandait malgré cette caresse.
François rentra. Baisemeaux prit de ses mains l'ordre envoyé du ministère. Il le décacheta lentement et le lut de même. Aramis feignit de boire pour observer son hôte au travers du cristal. Puis, Baisemeaux ayant lu:
– Que disais-je tout à l'heure? fit-il.
– Quoi donc? demanda l'évêque.
– Un ordre d'élargissement. Je vous demande un peu, la belle nouvelle pour nous déranger!
– Belle nouvelle pour celui qu'elle concerne, vous en conviendrez, au moins, mon cher gouverneur.
– Et à huit heures du soir!
– C'est de la charité.
– De la charité, je le veux bien; mais elle est pour ce drôle-là qui s'ennuie, et non pas pour moi qui m'amuse! dit Baisemeaux exaspéré.
– Est-ce une perte que vous faites, et le prisonnier qui vous est enlevé était il aux grands contrôles?
– Ah bien, oui! Un pleutre, un rat, à cinq francs!
– Faites voir, demanda M. d'Herblay. Est-ce indiscret?
– Non pas; lisez.
– Il y a pressé sur la feuille. Vous avez vu, n'est-ce pas.
– C'est admirable! Pressé!… un homme qui est ici depuis dix ans! On est pressé de le mettre dehors, aujourd'hui, ce soir même, à huit heures!
Et Baisemeaux, haussant les épaules avec un air de superbe dédain, jeta l'ordre sur la table et se remit à manger.
– Ils ont de ces mouvements-là, dit-il la bouche pleine, ils prennent un homme un beau jour, ils le nourrissent pendant dix ans et vous écrivent: Veillez bien sur le drôle! ou bien: Tenez-le rigoureusement! Et puis, quand on s'est accoutumé à regarder le détenu comme un homme dangereux tout à coup, sans cause, sans précédent, ils vous écrivent: Mettez en liberté. Et ils ajoutent à leur missive: Pressé! Vous avouerez, Monseigneur que c'est à faire lever les épaules.
– Que voulez-vous! on crie comme cela, dit Aramis, et on exécute l'ordre.
– Bon!