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Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Monseigneur, je vous en supplie, reprit Baisemeaux, daignez m'entendre.
– Pourquoi?
– Monseigneur, je ne dis pas que je ne fasse point partie de l'ordre…
– Ah! ah!
– Je ne dis pas que je me refuse à obéir.
– Ce qui vient de se passer ressemble cependant bien à de la résistance, monsieur de Baisemeaux.
– Oh! non, monseigneur, non; seulement, j'ai voulu m'assurer…
– Vous assurer de quoi? dit Aramis avec un air de suprême dédain.
– De rien, monseigneur.
Baisemeaux baissa la voix et s'inclina devant le prélat.
– Je suis en tout temps, en tout lieu, à la disposition de mes maîtres, dit-il; mais…
– Fort bien! Je vous aime mieux ainsi, monsieur.
Aramis reprit sa chaise et tendit son verre à Baisemeaux, qui ne put jamais le remplir, tant la main lui tremblait.
– Vous disiez: mais, reprit Aramis.
– Mais, reprit le pauvre homme, n'étant pas prévenu, j'étais loin de m'attendre…
– Est-ce que l'Évangile ne dit pas: «Veillez, car le moment n'est connu que de Dieu.» Est-ce que les prescriptions de l'ordre ne disent pas: «Veillez, car ce que je veux, vous devez toujours le vouloir.» Et sous quel prétexte n'attendiez-vous pas le confesseur, monsieur de Baisemeaux?
– Parce qu'il n'y a en ce moment aucun prisonnier malade à la
Bastille, monseigneur.
Aramis haussa les épaules.
– Qu'en savez-vous? dit-il.
– Mais il me semble…
– Monsieur de Baisemeaux, dit Aramis en se renversant dans son fauteuil, voici votre valet qui veut vous parler.
En ce moment, en effet, le valet de Baisemeaux parut au seuil de la porte.
– Qu'y a-t-il? demanda vivement Baisemeaux.
– Monsieur le gouverneur, dit le valet, c'est le rapport du médecin de la maison qu'on vous apporte.
Aramis regarda M. de Baisemeaux de son oeil clair et assuré.
– Eh bien! faites entrer le messager, dit-il.
Le messager entra, salua, et remit le rapport.
Baisemeaux jeta les yeux dessus, et, relevant la tête:
– Le deuxième Bertaudière est malade! dit-il avec surprise.
– Que disiez-vous donc, cher monsieur de Baisemeaux, que tout le monde se portait bien dans votre hôtel? dit négligemment Aramis.
Et il but une gorgée de muscat, sans cesser de regarder Baisemeaux. Alors, le gouverneur, ayant fait de la tête un signe au messager, et celui-ci étant sorti:
– Je crois, dit-il, en tremblant toujours, qu'il y a dans le paragraphe: «Sur la demande du prisonnier»?
– Oui, il y a cela, répondit Aramis; mais voyez donc ce que l'on vous veut, cher monsieur de Baisemeaux.
En effet, un sergent passait sa tête par l'entrebâillement de la porte.
– Qu'est-ce encore? s'écria Baisemeaux. Ne peut-on me laisser dix minutes de tranquillité?
– Monsieur le gouverneur, dit le sergent, le malade de la deuxième Bertaudière a chargé son geôlier de vous demander un confesseur.
Baisemeaux faillit tomber à la renverse.
Aramis dédaigna de le rassurer, comme il avait dédaigné de l'épouvanter.
– Que faut-il répondre? demanda Baisemeaux.
– Mais, ce que vous voudrez, répondit Aramis en se pinçant les lèvres; cela vous regarde; je ne suis pas gouverneur de la Bastille, moi.
– Dites, s'écria vivement Baisemeaux, dites au prisonnier qu'il va avoir ce qu'il demande.
Le sergent sortit.
– Oh! monseigneur, monseigneur! murmura Baisemeaux, comment me serais-je douté?.. comment aurais-je prévu?
– Qui vous disait de vous douter? qui vous priait de prévoir? répondit dédaigneusement Aramis. L'ordre se doute, l'ordre sait, l'ordre prévoit: n'est-ce pas suffisant?
– Qu'ordonnez-vous? ajouta Baisemeaux.
– Moi? Rien. Je ne suis qu'un pauvre prêtre, un simple confesseur. M'ordonnez-vous d'aller voir le malade?
– Oh! monseigneur, je ne vous l'ordonne pas, je vous en prie.
– C'est bien. Alors, conduisez-moi.
Chapitre CCVII – Prisonnier
Depuis cette étrange transformation d'Aramis en confesseur de l'ordre, Baisemeaux n'était plus le même homme.
Jusque-là, Aramis avait été pour le digne gouverneur un prélat auquel il devait le respect, un ami auquel il devait la reconnaissance; mais, à partir de la révélation qui venait de bouleverser toutes ses idées, il était inférieur et Aramis était un chef.
Il alluma lui-même un falot, appela un porte-clefs, et, se retournant vers Aramis:
– Aux ordres de Monseigneur, dit-il.
Aramis se contenta de faire un signe de tête qui voulait dire: «C'est bien!» et un signe de la main qui voulait dire: «Marchez devant!» Baisemeaux se mit en route. Aramis le suivit.
Il faisait une belle nuit étoilée; les pas des trois hommes retentissaient sur la dalle des terrasses, et le cliquetis des clefs pendues à la ceinture du guichetier montait jusqu'aux étages des tours, comme pour rappeler aux prisonniers que la liberté était hors de leur atteinte.
On eût dit que le changement qui s'était opéré dans Baisemeaux s'était étendu jusqu'au porte-clefs. Ce porte-clefs, le même qui, à la première visite d'Aramis, s'était montré si curieux et si questionneur, était devenu non seulement muet, mais même impassible. Il baissait la tête et semblait craindre d'ouvrir les oreilles.
On arriva ainsi au pied de la Bertaudière, dont les deux étages furent gravis silencieusement et avec une certaine lenteur; car Baisemeaux, tout en obéissant, était loin de mettre un grand empressement à obéir.
Enfin, on arriva à la porte; le guichetier n'eut pas besoin de chercher la clef, il l'avait préparée. La porte s'ouvrit.
Baisemeaux se disposait à entrer chez le prisonnier; mais, l'arrêtant sur le seuil:
– Il n'est pas écrit, dit Aramis, que le gouverneur entendra la confession du prisonnier.
Baisemeaux s'inclina et laissa passer Aramis, qui prit le falot des mains du guichetier et entra; puis d'un geste, il fit signe que l'on refermât la porte derrière lui.
Pendant un instant, il se tint debout, l'oreille tendue, écoutant si Baisemeaux et le porte-clefs s'éloignaient; puis, lorsqu'il se fut assuré, par la décroissance du bruit, qu'ils avaient quitté la tour, il posa le falot sur la table et regarda autour de lui.
Sur un lit de serge verte, en tout pareil aux autres lits de la Bastille, excepté qu'il était plus neuf, sous des rideaux amples et fermés à demi, reposait le jeune homme près duquel, une fois déjà, nous avons introduit Aramis.
Suivant l'usage de la prison, le captif était sans lumière. À l'heure du couvre-feu, il avait dû éteindre sa bougie. On voit combien le prisonnier était favorisé, puisqu'il avait ce rare privilège de garder de la lumière jusqu'au moment du couvre-feu.
Près de ce lit, un grand fauteuil de cuir, à pieds tordus, supportait des habits d'une fraîcheur remarquable. Une petite table, sans plumes, sans livres, sans papiers, sans encre,