ТОП просматриваемых книг сайта:
La vie infernale. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название La vie infernale
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Il y avait dans sa voix, dans son attitude, une telle intensité de supplication, que Pascal en eut le cœur serré. Il sentit tressaillir et s’agiter en lui le vague pressentiment de quelque terrible et irréparable malheur.
Il branla la tête, cependant, d’un air triste; et d’un ton amer:
– Vous ne savez sans doute pas, madame, fit-il, que je viens de gagner plus de trente mille francs?
– Si… je le sais. Raison de plus pour mettre votre gain à l’abri d’un retour probable de fortune. On fait très-bien Charlemagne chez moi, c’est admis. L’autre nuit, le comte d’Antas s’est fort subtilement esquivé nu tête… Il emportait mille louis et laissait aux décavés son chapeau en échange. Le comte est un galant homme, et loin de le blâmer, le lendemain on a ri… Allons, vous êtes décidé, je le vois, venez… Pour plus de sûreté, je vais vous faire passer par l’escalier de service; personne ne vous verra…
Pascal avait été ébranlé, en effet, mais cette perspective d’évasion par un escalier de service révolta sa fierté.
– C’est à quoi je ne consentirai jamais! déclara-t-il. Que penserait-on de moi? Je dois une revanche, je la donnerai.
Ni Mme d’Argelès ni Pascal n’avaient aperçu M. de Coralth, qui s’était avancé sur la pointe du pied, et qui, dissimulé derrière un rideau, écoutait.
A ce moment, il se montra brusquement.
– Parbleu!.. cher avocat, dit-il du ton le plus dégagé, j’admire vos scrupules!.. Madame a cent fois raison, levez le pied. Si j’étais à votre place, moi, si je gagnais ce que vous gagnez, au lieu de perdre mille écus, je n’hésiterais pas. Les autres penseraient tout ce qu’ils voudraient. Vous avez l’argent, c’est le principal…
Pour la seconde fois, l’intervention du vicomte eut sur Pascal une influence décisive.
– Je reste!.. répéta-t-il résolûment.
Mais Mme d’Argelès s’attachait à lui.
– Je vous en conjure, monsieur, disait-elle… Eloignez-vous, il en est temps encore…
– Allons!.. approuva le vicomte, un bon mouvement!.. «Filez à l’anglaise» et sauvez la caisse.
Ces derniers mots furent comme la goutte d’eau qui fait déborder la coupe.
Rouge, ému, troublé, assailli par les plus étranges idées, Pascal écarta Mme d’Argelès et d’un pas roide, se dirigea vers la salle à manger.
A son entrée, toutes les conversations cessèrent. Il ne put pas ne pas comprendre qu’il venait d’être question de lui.
Un secret instinct lui disait que tous les hommes rassemblés là étaient ses ennemis, sans qu’il sût pourquoi, et qu’ils tramaient quelque chose.
Il s’aperçut aussi que ses moindres mouvements étaient épiés et notés.
Mais il était brave, sa conscience ne lui reprochait rien, et il était de ceux qui plutôt que d’attendre le danger le provoquent.
Il alla donc, d’un air de défi, s’asseoir près d’une jeune femme qui avait une robe de tulle rose, et, d’un ton très élevé, il se mit à lui débiter toutes sortes de plaisanteries. Il avait de l’esprit, et du meilleur, l’habitude de manier la parole; il fut, durant un quart d’heure, étourdissant de verve… On buvait du vin de Champagne; il en avala coup sur coup quatre ou cinq verres.
Avait-il bien la conscience de ce qu’il faisait et disait? Il a depuis déclaré que non, qu’il agissait sous l’empire d’une sorte d’hallucination, comme il s’en produit après quelques aspirations de protoxyde d’azote.
Le souper dura peu.
– Au bac! au bac! cria le vieux monsieur qui avait décidé la suspension du jeu: nous gaspillons un temps précieux ici!
Pascal se leva comme tout le monde et, dans sa précipitation à passer d’une pièce dans l’autre, il se trouva poussé contre deux joueurs qui causaient près de la porte.
– Ainsi, disait l’un, c’est bien entendu!
– Oui, oui, laissez-moi faire, je me charge de l’exécution.
Ce mot charria tout le sang de Pascal à son cœur.
– L’exécution de qui?.. De moi évidemment. Qu’est-ce que cela signifie!..
Autour du tapis vert, tous les joueurs avaient changé de place – cela déroute le hasard, assure-t-on – et Pascal se trouva assis, non plus à la droite de Fernand, mais en face, entre deux hommes de son âge, dont l’un était celui qui avait prononcé le mot d’exécution.
Tous les yeux étaient fixés sur le malheureux avocat, lorsqu’il prit la main. Il fit deux cents louis et les perdit.
Il y eut comme un ricanement autour de la table, et un de ceux qui perdaient le plus, dit entre haut et bas:
– Ne regardez donc pas tant Monsieur… il n’aura plus de chance.
Cette phrase ironique, injurieuse par l’intonation autant qu’un soufflet, fit éclater dans le cerveau de Pascal une épouvantable lueur.
Il soupçonna enfin ce qu’un autre, moins parfaitement honnête, eut compris depuis longtemps déjà… Mais il est de ces accusations dont la possibilité ne saurait entrer dans l’entendement d’un galant homme.
L’idée lui vint de se lever, de provoquer une explication, mais il était anéanti et comme écrasé par l’horreur de sa situation. Ses oreilles tintaient, il lui semblait que les battements de son cœur étaient suspendus, il éprouvait à l’épigastre la sensation d’un fer rouge…
Le jeu allait son train, mais personne n’y était; les mises restaient insignifiantes; ni perte ni gain n’arrachaient une exclamation.
Toute l’attention se concentrait sur Pascal, fiévreuse, haletante, et lui, d’un œil plein d’angoisse, il suivait le mouvement des cartes, qui passaient de main en main et qui allaient lui arriver…
Quand elles lui arrivèrent, le silence se fit, solennel, plein de menaces, sinistre en quelque sorte.
Les femmes et ceux des invités qui ne jouaient pas s’étaient approchés et se penchaient sur la table avec une évidente anxiété.
– Mon Dieu! pensait Pascal, mon Dieu! faites que je perde.
Il était pâle comme la mort, la sueur emmêlait ses cheveux et les collait le long des tempes, ses mains tremblaient tellement qu’à peine il pouvait tenir les cartes…
– Je fais quatre mille francs! balbutia-t-il enfin.
– Je les tiens! dit une voix.
Hélas! le vœu du malheureux ne fut pas exaucé. Il gagna. Et c’est au milieu d’une explosion de murmures qu’il reprit:
– Il y a huit mille francs…
– Banco!..
Mais au moment où il donnait des cartes, son voisin se dressa et lui saisit brutalement les poignets en criant:
– Cette fois, j’en suis sûr… vous êtes un voleur!..
D’un bond, Pascal fut debout.
Tant que le péril avait été vague, indéterminé, son énergie avait été comme paralysée. Il la retrouva intacte quand le danger fut là, précis, extrême, terrible.
Il repoussa l’homme qui lui avait pris les mains, si rudement, qu’il l’envoya rouler sous un canapé, et il se rejeta en arrière, dans une attitude de menace et de défi…
A quoi bon!.. sept ou huit joueurs se précipitèrent sur lui comme sur un malfaiteur…
L’autre, cependant, l’homme de l’exécution s’était relevé, la cravate dénouée,