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Isidore Fortunat, le fit reculer jusqu’au fin fond d’une embrasure.

      Une fois là:

      – Et voici huit mois, poursuivit-il, que dure cette vie enragée!.. Huit mois dont chaque minute a été une atroce douleur… Ah!.. mieux vaudrait la misère, le bagne, l’infamie!.. Et quand je touche au but, vous, je ne sais par quel caprice ni par quelle trahison, vous rendriez inutile tout ce que j’ai souffert!.. Vous me feriez échouer dans le port!.. Non!.. par le saint nom de Dieu, cela ne sera pas, je t’aurai avant, misérable drôle, écrasé comme une bête venimeuse!..

      Sa voix, sur ces derniers mots, arrivait à un tel diapason que les vitres du salon en vibraient, et que Mme Dodelin en frissonna dans sa cuisine.

      – Sûr, pensait-elle, on finira par faire un mauvais parti à monsieur, un de ces jours!..

      Ce n’était pas, il est vrai, la première fois que M. Fortunat se trouvait aux prises avec un client d’un tempérament sanguin.

      Mais toujours il était sorti sain, et sauf de ces mauvaises rencontres.

      Aussi, était-il beaucoup moins effrayé qu’il n’en avait l’air. Et la preuve, c’est qu’il avait encore assez de liberté d’esprit pour réfléchir et calculer.

      « – D’ici quarante-huit heures, pensait-il, je serai fixé sur le sort du comte… il sera mort ou en voie de rétablissement… donc, à promettre pour après-demain tout ce que voudra cet enragé, je ne risque rien.»

      Et, sur ce raisonnement, profitant d’une minute où M. de Valorsay reprenait haleine:

      – En vérité, monsieur le marquis, fit-il, je ne m’explique pas votre irritation…

      – Comment, drôle…

      – Pardon!.. avant de m’injurier, permettez que je m’explique…

      – Pas d’explications… cinq cents louis!

      – De grâce, laisse-moi achever… Oui, je sais que vous en avez un besoin urgent… non à un jour près, cependant… Aujourd’hui, je n’ai pu me les procurer… je ne puis m’engager formellement pour demain, mais après-demain, samedi, 17, je les aurai assurément…

      Le marquis le regarda comme s’il eût espéré lire jusqu’au fond de sa pensée.

      – Est-ce positif, au moins? demanda-t-il. Jouons cartes sur table; si vous devez me laisser dans l’embarras, avouez-le moi…

      – Eh! monsieur le marquis, ne suis-je pas intéressé à votre succès autant que vous-même?.. N’avez-vous pas des gages de mon dévouement…

      – Alors je puis compter sur vous?

      – Absolument.

      En voyant dans les yeux de son client un reste de doute, M. Fortunat ajouta:

      – Vous avez ma parole!..

      Trois heures sonnaient, M. de Valorsay prit son chapeau, et traînant un peu la jambe, car les émotions fortes lui produisaient l’effet du changement de temps, il se dirigea vers la porte.

      M. Fortunat, qui avait encore sur le cœur l’épithète de drôle, l’arrêta.

      – Est-ce que vous allez, monsieur le marquis, demanda-t-il, chez cette dame… Comment l’appelle-t-on?.. Ah! Mme d’Argelès, où on doit égorger le préféré de Mlle Marguerite?..

      Le marquis eut un haut le corps.

      – Pour qui me prenez-vous, maître Vingt-pour-Cent? fit-il d’une voix rude. Il est de ces choses qu’un homme bien élevé ne fait pas lui-même… On trouve à Paris, en y mettant le prix, des gens pour toutes les besognes…

      – Alors, comment saurez-vous?..

      – Vingt minutes après l’affaire, M. de Coralth sera chez moi… Il y est peut-être déjà…

      Et ce sujet lui déplaisant plus qu’il ne pouvait l’exprimer:

      – Allons… Allez-vous coucher, mon cher Arabe, fit-il. Au revoir… et surtout soyez exact.

      – Mes respects, monsieur le marquis…

      Mais la porte refermée, la physionomie de M. Fortunat changea brusquement.

      – Ah!.. tu m’insultes, fit-il d’une voix sourde… Tu me dépouilles et tu m’appelles drôle par dessus le marché… Tu me payeras cela, mon cher… quoi qu’il arrive.

      IV

      C’est vainement que la loi Guilloutet prétend hérisser de tessons le mur sacré de la vie privée, les pourvoyeurs de la curiosité parisienne ne connaissent ni obstacles ni dangers.

      Grâce aux chroniques de la «Haute vie,» il n’est pas un lecteur de journaux qui ne sache que deux fois la semaine, – le lundi et le jeudi, – Mme Lia d’Argelès reçoit en son charmant hôtel de la rue de Berry.

      On s’y amuse prodigieusement.

      Rarement on danse, mais à partir de minuit on joue, et avant de se séparer, on soupe.

      C’est en sortant d’une de ces petites fêtes, que Jules Chazel, ce malheureux qui était caissier chez un agent de change, se fit sauter la cervelle.

      Les brillants habitués de l’hôtel d’Argelès jugèrent cette extrémité d’un goût déplorable.

      – Ce garçon, décrétèrent-ils, n’était qu’on pleutre!.. A peine perdait-il mille louis.

      Il n’avait perdu que cela, en effet; une bagatelle par le temps qui court.

      Seulement, cette somme n’était pas à lui. Il l’avait prise dans la caisse qui lui était confiée, comptant peut-être, qui sait! la doubler dans la nuit.

      Au matin, quand il se trouva seul, sans un sou, et face du déficit, une voix lui cria du fond de sa conscience: «Tu es un voleur!..» Et il perdit la tête.

      L’aventure eut un retentissement énorme, et même, à l’époque, le Petit Journal a raconté l’histoire de la mère de cet infortuné.

      – Cette pauvre femme, – elle était veuve – vendit tout ce qu’elle possédait, et jusqu’à son bois de lit, pour faire de l’argent. Et quand elle eut réuni vingt mille francs, la rançon de l’honneur de son fils, elle les porta à l’agent de change.

      Lui les prit, sans demander à cette mère si elle aurait de quoi dîner le soir. Ce que les gentilhommes qui avaient gagné et empoché les louis de Jules Chazel trouvèrent parfaitement naturel et juste.

      Il est vrai de dire que, quarante-huit heures durant, Mme d’Argelès fut au désespoir. La police avait commencé une manière d’enquête, et cela pouvait effaroucher ses habitués et vider son salon.

      Elle dut se consoler au bruit des triomphantes réclames que lui avait valu ce suicide. Pendant cinq jours, Paris désœuvré ne s’occupa que d’elle, et Alfred d’Aunay publia son portrait dans sa Chronique illustrée.

      Ce que pas un chroniqueur ne dit, par exemple, et ce, faute de le savoir, c’est ce qu’était au juste Mme Lia d’Argelès.

      Qui était-ce et d’où venait-elle?.. Comment avait-elle vécu jusqu’au jour où elle avait surgi au soleil de la galanterie?.. L’hôtel de la rue de Berry lui appartenait-il?.. Était-elle riche comme on l’assurait?.. Où avait-elle pris ses façons, qui étaient celles d’une femme du monde, son instruction qui paraissait étendue et son remarquable talent de musicienne?..

      Tout, en elle, était sujet de conjectures, jusqu’à ce nom tiré de la Bible et d’un Guide des Pyrénées qu’elle mettait sur ses cartes de visite: Lia d’Argelès.

      N’importe!.. on affluait chez elle, et à l’heure même où le marquis de Valorsay et M. Fortunat prononçaient son nom, il y avait dix équipages devant sa porte, et ses salons s’emplissaient.

      Il était minuit et demi, et la partie bi-hebdomadaire

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