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La vie infernale. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название La vie infernale
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Pourquoi ne pas vous adresser à sa femme?
– M. de Chalusse n’est pas marié… Il ne l’a jamais été.
Au ton de son hôte, Mme Vantrasson devait croire que, saisi de pitié, il se creusait la cervelle à lui chercher quelque expédient utile…
– Moi, fit-il, je tâcherais d’intéresser à mon malheur la famille, les parents…
– M. le comte n’a pas de parents.
– Pas possible!..
– Ah! il n’y a pas à dire, c’est comme cela. Pendant dix ans que j’ai été à son service, je lui ai entendu répéter plus de dix fois qu’il est seul au monde de sa famille, le dernier de tous… Et même, on prétend que c’est pour cela qu’il est si riche.
Désormais, l’attention de M. Fortunat n’était plus simulée: il abordait la question sérieuse et réelle de sa visite.
– Pas de famille… murmura-t-il. Qui donc héritera les millions du comte de Chalusse quand il mourra?
La Vantrasson eut un geste d’ignorance.
– Qui sait?.. répondit-elle. Tout ira au gouvernement, sans doute, à moins que… Mais non, c’est impossible!
– Quoi?..
– Rien… Je pensais à la sœur de M. le comte, Mlle Hermine.
– Sa sœur!.. vous disiez qu’il n’a plus un seul parent.
– C’est que c’est tout comme… Et d’ailleurs, qu’est-elle devenue, la pauvre créature?.. Les uns assuraient qu’elle s’était mariée, et les autres qu’elle était morte… C’est tout une histoire.
Littéralement, M. Isidore Fortunat était sur le gril. Et pour comble, il n’osait interroger directement ni même laisser paraître son anxieuse curiosité, dans la crainte d’effaroucher la femme Vantrasson.
– Attendez donc, fit-il, je crois… il me semble que j’ai entendu raconter… ou que j’ai lu – je ne sais pas au juste – une histoire, au sujet d’une demoiselle de Chalusse. C’était terrible, n’est-ce pas?
– Oui, terrible, en effet… Mais je vous parle de longtemps… de vingt-cinq ou vingt-six ans au moins… j’étais encore dans mon pays, à Besançon… Seulement, personne n’a connu au juste la vérité.
– Comment! pas même vous?..
– Oh!.. moi, c’est différent. Quand je suis entrée chez M. de Chalusse, six ans plus tard, il avait encore à son service un vieux jardinier qui avait tout su et qui m’a tout conté, en me faisant jurer de n’en jamais parler, bien entendu.
Prodigue de détails tant qu’il s’était agi d’elle ou de son mari, la Vantrasson allait-elle se tenir sur la réserve, maintenant qu’il s’agissait de la famille de Chalusse?
On devait l’appréhender, à voir sa mine pincée, et M. Fortunat en frémit, maudissant en lui-même cette discrétion intempestive.
Mais on ne le prenait pas sans vert, et quand il se mêlait d’un interrogatoire, il avait pour délier les langues des finesses qu’un juge d’instruction lui eût enviées.
Bien loin donc de paraître attacher la moindre importance au récit de la patronne du «garni modèle,» il se dressa d’un air effaré, en homme qui soudain s’aperçoit qu’il s’est oublié.
– Sapristi!.. s’écria-t-il, nous sommes là que nous bavardons et le temps passe… Impossible d’attendre votre mari! Si je restais davantage, je ne trouverais plus d’omnibus et je demeure de l’autre côté de l’eau, derrière le Luxembourg.
– Et notre arrangement, monsieur…
– Ah!.. tant pis, nous le rédigerons une autre fois… Je repasserai ou on vous enverra un de mes collègues.
Ce fut au tour de la Vantrasson de trembler.
Elle pensa que si elle laissait s’éloigner ce soi-disant clerc d’huissier, c’en était peut-être fait de la transaction. Un autre serait-il aussi accommodant?.. Et lui-même conserverait-il ses bonnes dispositions?..
– Encore une petite minute, monsieur, insista-t-elle, mon mari ne saurait tarder et le dernier omnibus ne part qu’à minuit de la rue de Lévis…
– Je ne dis pas non, mais le quartier est si désert…
– Vantrasson vous accompagnera…
Et, résolue de le retenir à tout prix, elle lui versa un nouveau verre de «mêlé cassis» en disant:
– Où en étions-nous donc?.. Ah! j’étais en train de vous conter l’histoire de Mlle Hermine.
Cachant la joie de son succès sous un air de résignation, M. Fortunat se rassit, au grand désespoir de Chupin qui commençait à trouver sa faction au dehors terriblement longue.
– C’est pour vous dire, poursuivit la Vantrasson, qu’en ce temps-là, il y a vingt-six ans, les Chalusse habitaient rue Saint-Dominique un hôtel superbe, où il y avait un jardin qui n’en finissait plus, tout planté d’arbres comme les Tuileries.
Mlle Hermine, qui avait alors dix-huit ou dix-neuf ans, était, à ce qu’il paraît, la plus belle jeunesse qui se puisse voir, blanche comme le lait, blonde comme l’or, avec des yeux couleur des bluets…
Elle était très-bonne et très-généreuse, à ce qu’on prétend, seulement, dame!.. elle était comme ils sont tous dans cette famille, haute comme les nues, froide, un peu en dessous, et entêtée… Oh! mais entêtée à se laisser brûler à petit feu plutôt que de céder… Du reste, c’est tout le caractère du comte de Chalusse, j’en sais quelque chose, moi qui l’ai servi, et même…
– Pardon, interrompit M. Fortunat qui était résolu à empêcher les digressions, et Mlle Hermine?
– J’y reviens. Quoiqu’elle fût très-belle et immensément riche, personne ne lui faisait la cour… Il était archi-connu qu’elle devait épouser un marquis dont le père était un ami du sien. Les parents avaient arrangé cela entre eux, et rien ne manquait à l’arrangement que la consentement de la fille… Mlle Hermine ne voulait absolument pas entendre parler de son prétendu.
On avait fait tout au monde pour la décider à ce mariage, on l’avait morigénée, priée, menacée… Ah bien! oui!.. Autant parler à une pierre. Quand on lui demandait pourquoi elle refusait le marquis, elle répondait: parce que… Et c’était tout.
Même, elle avait fini par déclarer que si on s’obstinait à la tourmenter elle quitterait l’hôtel et se réfugierait dans quelque couvent.
Tout cela, ce n’était que des raisons. Il n’est pas naturel qu’une jeune fille refuse un mari qui est jeune, joli garçon et marquis…
On se douta qu’il y avait quelque chose sous jeu, que Mlle Hermine ne voulait pas avouer, et M. Raymond jura qu’il allait surveiller sa sœur, et qu’il saurait bien découvrir le fond de sa pensée…
– M. Raymond est le comte de Chalusse actuel, n’est-ce pas? demanda M. Fortunat.
– Oui, monsieur… Donc, les choses en étaient là, quand, une nuit, le jardinier crut entendre un bruit terrible dans un pavillon qui était au bout du jardin…
Il était très-vaste, ce pavillon, je l’ai visité. Il s’y trouvait un salon, une salle de billard, une grande salle pour faire des armes…
Naturellement, le jardinier se lève pour voir ce qui arrive. Juste comme il sort, deux ombres passent tout près de lui et disparaissent sous les arbres… Il court après… rien… Les ombres avaient filé par la petite porte du jardin.
Dix fois, en me contant