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Les soirées de l'orchestre. Hector Berlioz
Читать онлайн.Название Les soirées de l'orchestre
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isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/32056
Автор произведения Hector Berlioz
Издательство Public Domain
Le claqueur ganté, habillé en dandy, avance ses bras avec affectation hors de sa loge, et applaudit lentement presque sans bruit, et pour les yeux seulement; il dit ainsi à toute la salle: «Voyez! Je daigne applaudir.»
Le claqueur enthousiasmé (car il y en a) applaudit, vite, fort et longtemps: sa tête, pendant l'applaudissement, se tourne à droite et à gauche; puis ces démonstrations ne lui suffisant plus, il trépigne, il crie: «Bravô! bravô» (remarquez bien l'accent circonflexe de l'o) ou: «Bravà!» (celui-là est le savant, il a fréquenté les Italiens, il sait distinguer le féminin du masculin,) et redouble de clameurs au fur et à mesure que le nuage de poussière que ses trépignements soulèvent augmente d'épaisseur.
Le claqueur déguisé en vieux rentier ou en colonel en retraite, frappe le plancher du bout de sa canne d'un air paterne et avec modération.
Le claqueur violoniste, car nous avons beaucoup d'artistes dans les orchestres de Paris, qui, pour faire leur cour, soit au directeur de leur théâtre, soit à leur chef d'orchestre, soit à une cantatrice aimée et puissante, s'enrégimentent momentanément dans l'armée romaine; le claqueur violoniste, dis-je, frappe avec le bois de son archet sur le corps de son violon. Cet applaudissement, plus rare que les autres, est, en conséquence, plus recherché. Malheureusement, de cruels désillusionnements ont appris aux dieux et aux déesses qu'il ne leur était guère possible de savoir quand l'applaudissement des violonistes est ironique ou sérieux. De là le sourire inquiet des divinités en recevant cet hommage.
Le timbalier applaudit en frappant sur ses timbales; ce qui ne lui arrive pas une fois en quinze ans.
Les dames romaines applaudissent quelquefois de leurs mains gantées, mais leur influence n'a tout son effet que lorsqu'elles jettent leur bouquet aux pieds de l'artiste qu'elles soutiennent. Comme ce genre d'applaudissement est assez dispendieux, c'est ordinairement le plus proche parent, le plus intime ami de l'artiste, ou l'artiste lui-même, qui en fait les frais. On donne tant aux jeteuses de fleurs pour les fleurs, et tant pour leur enthousiasme; de plus, il faut payer un homme ou un enfant agile pour, après la première averse de fleurs, courir au théâtre les reprendre et les rapporter aux Romaines placées dans les loges d'avant-scène, qui les utilisent une seconde et souvent une troisième fois.
Nous avons encore la Romaine sensible, qui pleure, tombe en attaque de nerfs, s'évanouit. Espèce rare, presque introuvable, appartenant de très-près à la famille des girafes.
Mais, pour nous renfermer dans l'étude du peuple romain proprement dit, voici comment et à quelles conditions il travaille:
Un homme étant donné qui, soit par l'impulsion d'une vocation naturelle irrésistible, soit par de longues et sérieuses études, est parvenu à acquérir un vrai talent de Romain; il se présente au directeur d'un théâtre et lui tient à peu près ce langage: «Monsieur, vous êtes à la tête d'une entreprise dramatique dont je connais le fort et le faible; vous n'avez personne encore pour la direction des succès, confiez-la-moi; je vous offre 20,000 francs comptant et une rente de 10,000. – J'en veux 30,000 comptant, répond ordinairement le directeur. – Dix mille francs ne doivent pas nous empêcher de conclure; je vous les apporterai demain. – Vous avez ma parole: mais j'exige cent hommes pour les représentations ordinaires, et cinq cents au moins pour toutes les premières et pour les débuts importants. – Vous les aurez, et plus encore.» – «Comment! dit un musicien en m'interrompant, c'est le directeur qui est payé!.. j'avais toujours cru le contraire! – Oui, monsieur, ces charges-là s'achètent comme une charge d'agent de change, un cabinet de notaire, une étude d'avoué.
Une fois nanti de sa commission, le chef du bureau des succès, l'empereur des Romains, recrute aisément son armée parmi les garçons coiffeurs, les commis voyageurs, les conducteurs de cabriolet à pied7, les pauvres étudiants, les choristes aspirants au surnumérariat, etc., etc., qui ont la passion du théâtre. Il choisit pour eux un lieu de rendez-vous, qui, d'ordinaire, est un café borgne ou un estaminet voisin du centre de leurs opérations. Là, il les compte, leur donne ses instructions et des billets de parterre ou de troisième galerie, que ces malheureux payent trente ou quarante sous, ou moins, selon le degré de l'échelle théâtrale qu'occupe leur établissement. Les lieutenants seuls ont toujours des billets gratuits. Aux grands jours, ils sont payés par le chef. Il arrive même, s'il s'agit de faire mousser à fond un ouvrage nouveau qui a coûté à la direction du théâtre beaucoup d'argent, que le chef, non-seulement ne trouve plus assez de Romains payants, mais qu'il manque de soldats dévoués prêts à livrer bataille pour l'amour de l'art. Il est alors obligé de payer le complément de sa troupe et de donner à chaque homme jusqu'à trois francs et un verre d'eau-de-vie.
Mais, dans ce cas, l'empereur, de son côté, ne reçoit pas uniquement des billets de parterre; ce sont des billets de banque qui tombent dans sa poche, et en nombre à peine croyable. Un des artistes qui figurent dans la pièce nouvelle, veut se faire soutenir d'une façon exceptionnelle; il propose quelques billets à l'empereur. Celui-ci prend son air le plus froid, et, tirant de sa poche une poignée de ces carrés de papier: «Vous voyez, dit-il, que je n'en manque pas. Ce qu'il me faut ce soir, ce sont des hommes, et, pour en avoir, je suis obligé de les payer.» – L'artiste comprend l'insinuation et glisse dans la main du César un chiffon de cinq cents francs. Le chef d'emploi de l'acteur qui s'est ainsi exécuté ne tarde pas à apprendre cette générosité; la crainte alors de n'être pas soigné en proportion de son mérite, vu les soins extraordinaires qui vont être donnés à son second, le porte à offrir à l'entrepreneur des succès un vrai billet de 1,000 francs et quelquefois davantage. Ainsi de suite, du haut en bas de tout le personnel dramatique. Vous comprenez maintenant pourquoi et comment le directeur du théâtre est payé par le directeur de la claque, et combien il est facile à celui-ci de s'enrichir.
Le premier grand Romain que j'ai connu à l'Opéra de Paris se nommait Auguste: le nom est heureux pour un César. J'ai vu peu de majestés plus imposantes que la sienne. Il était froid et digne, parlant peu, tout entier à ses méditations, à ses combinaisons et à ses calculs de haute stratégie. Il était bon prince néanmoins, et, habitué du parterre comme je l'étais alors, j'eus souvent à me louer de sa bienveillance. D'ailleurs, ma ferveur à applaudir spontanément Gluck et Spontini, madame Branchu et Dérivis, m'avait valu son estime particulière. Ayant fait exécuter à cette époque dans l'église de Saint-Roch ma première partition (une messe solennelle), les vieilles dévotes, la loueuse de chaises, le donneur d'eau bénite, les bedeaux et tous les badauds du quartier s'en montrèrent fort satisfaits, et j'eus la simplicité de croire à un succès. Mais, hélas! ce n'était qu'un quart de succès tout au plus; je ne fus pas longtemps à le découvrir. En me revoyant, deux jours après cette exécution: «Eh bien, me dit l'empereur Auguste, vous avez donc débuté à Saint-Roch avant-hier? pourquoi diable ne m'avez-vous pas prévenu de cela? nous y serions tous allés! – Ah! vous aimez à ce point la musique religieuse? – Eh non! quelle idée! mais nous vous aurions chauffé solidement. – Comment? on n'applaudit pas dans les églises. – On n'applaudit pas, non; mais on tousse, on se mouche, on remue les chaises, on frotte les pieds contre terre, on dit: «Hum! Hum!» on lève les yeux au ciel; le tremblement, quoi! nous vous eussions fait mousser un peu bien; un succès entier, comme pour un prédicateur à la mode.»
Deux ans plus tard, j'oubliai encore de l'avertir quand je donnai mon premier concert au Conservatoire. Néanmoins, Auguste y vint avec deux de ses aides de camp; et, le soir, quand je reparus au parterre de l'Opéra, il me tendit sa main puissante en me disant avec un accent paternel et convaincu (en français, bien entendu): «Tu Marcellus eris!»
(Ici Bacon pousse du coude son voisin et lui demande tout bas ce que ces trois mots signifient. «Je ne sais, répond celui-ci. – C'est dans Virgile, dit Corsino, qui a entendu la demande et la réponse. Cela signifie: «Tu seras Marcellus!» – Eh bien… qu'est-ce donc que d'être Marcellus? – Ne pas être une bête, tais-toi!)
Pourtant les maîtres ès claque
7
Quand un conducteur de cabriolet a encouru le mécontentement de M. le préfet de police, celui-ci lui interdit pendant deux ou trois semaines de faire son métier de cocher, auquel cas, le malheureux qui ne gagne rien, ne va certes pas en voiture. Il est à pied. Il entre alors souvent dans l'infanterie romaine.