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Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz
Читать онлайн.Название Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/30021
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Биографии и Мемуары
Издательство Public Domain
Nous allons avoir la guerre!.. On va tout saccager; des hommes qui se croient libres vont se ruer contre d'autres hommes qui sont certainement esclaves; peut-être les hommes libres seront-ils exterminés, les esclaves seront-ils maîtres; puisse toute l'Europe s'épuiser en cris de rage, tous ses enfants s'entr'égorger, le fer et le feu triompher, la peste régner, la famine ronger; puisse Paris brûler, pourvu que j'y sois et que, la tenant dans mes bras, nous nous tordions ensemble dans les flammes!
Voilà mes vœux sincères et le bien que je souhaite à l'espèce humaine. Quand je serai heureux, ce sera tout différent; je laisserai l'espèce humaine tranquille, et elle ne s'en tourmentera pas moins.
Assez grincé des dents. Voulez-vous, je vous prie, aller chez Desmarest, rue Monsigny, nº 1, près de l'Opéra-Comique, lui dire mille amitiés de ma part, le charger de cinq cents autres pour Girard, et lui demander s'il n'a point eu de lettre à mon adresse; il s'était engagé à les prendre chez mon portier.
Blasphémez un peu à mon intention, je vous prie, j'en éprouverai du soulagement, et je vous rendrai la pareille quand vous voudrez.
Adieu! les cœurs de lave ne sont durs que quand ils sont froids, le mien est rouge fondant. Je suis toujours votre ami dévoué.
Mettez, je vous prie, cette petite lettre à la poste.
VI
AU MÊME
Je viens de faire à Grenoble un insipide voyage, passant la moitié de mon temps malade au lit, l'autre moitié à faire des visites plus assommantes les unes que les autres; j'arrive hier après avoir passé une dévorante journée sans dire un mot. Mon père, qui venait d'apprendre mon état par ma mère, m'embrasse en souriant et me dit qu'il y avait une lettre de Paris pour moi; j'ai compris à son air que c'était de madame…; effectivement, c'était une lettre double; je suis redevenu calme; j'étais aussi ravi que je puisse l'être dans un si exécrable exil. Ne faut-il pas que votre lettre arrive aujourd'hui pour troubler ma tranquillité? que le diable vous emporte! Qu'aviez-vous besoin de venir me dire que je me plais dans un désespoir dont PERSONNE ne me sait gré, «personne moins que les gens pour qui je me désespère».
D'abord, je ne me désespère pas pour des gens; ensuite, je vous dirai que, si vous avez vos raisons pour juger sévèrement la personne pour laquelle je me désespère, j'ai les miennes aussi pour vous assurer que je connais aujourd'hui son caractère mieux que personne. Je sais très bien qu'elle ne se désespère pas, elle; la preuve de cela, c'est que je suis ici et que, si elle avait persisté à me supplier de ne pas partir, comme elle l'a fait plusieurs fois, je serais resté. De quoi se désespèrerait-elle? elle sait très bien à quoi s'en tenir sur mon compte, elle connaît aujourd'hui tout ce que mon cœur enferme de dévouement pour elle (pas tout cependant: il y a encore un sacrifice, le plus grand de tous, qu'elle ne connaît pas, et que je lui ferai). Vous ne savez pas ce qui me tourmente, personne au monde qu'elle ne le sait; encore n'y a-t-il pas longtemps qu'elle l'ignorait.
Ne me donnez pas de vos conseils épicuriens, ils ne me vont pas le moins du monde. C'est le moyen d'arriver au petit bonheur, et je n'en veux point. Le grand bonheur ou la mort, la vie poétique ou l'anéantissement. Ainsi, ne venez pas me parler de femme superbe, de taille gigantesque, et de la part que prennent ou ne prennent pas à mes chagrins les êtres qui me sont chers; car vous n'en savez rien, qui vous l'a dit?.. Vous ne savez pas ce qu'elle sent, ce qu'elle pense. Ce n'est pas parce que vous l'aurez vue dans un concert, gaie et contente, que vous pourrez en tirer une induction fatale pour moi. Si cela était, que devriez-vous donc induire de ma conduite à Grenoble, si vous m'aviez vu un jour dans un grand dîner de famille, ayant à droite et à gauche mes deux charmantes cousines de dix-sept à dix-huit ans, avec lesquelles je folâtrais et riais de la façon la plus inaccoutumée?..
Ma lettre est brusque, mon ami, mais vous m'avez froissé horriblement. Je resterai encore ici neuf jours au moins; Ferrand viendra demain. Si vous vouliez m'écrire courrier par courrier une seconde lettre, vous me feriez bien plaisir et elle arriverait à temps.
Adieu, mille choses à Sina et à Girard; si vous avez entendu parler de mon mariage dans le monde, dites-le-moi, et ce qu'on en dit.
Voulez-vous, je vous prie, passer chez Gounet, rue Saint-Anne, 34 ou 36, et lui dire mille choses de ma part? Je lui écrirai dès que Ferrand sera arrivé.
VII
AU MÊME
Quoique mon agitation dévorante n'ait pas cessé un instant depuis mon arrivée ici, je puis cependant aujourd'hui vous écrire avec plus de calme. Puisque vous avez déjà à votre âge rencontré un filon d'or dans cette pauvre mine où nous fouillons tous, tâchez de le suivre jusqu'au bout, mais songez bien que vous êtes sous une voûte que vous creusez en avançant, et qui peut s'écrouler derrière vous. La bévue que vous avez faite, en demandant à Cherubini la salle du Conservatoire avant que la Société de concerts ait fini, est impardonnable. Vous deviez bien savoir que jamais ces messieurs n'y consentiraient, et il est fort désagréable de se voir contre-carré par une volonté contre laquelle la sienne propre est impuissante. Je dois vous dire que vous faites quelquefois les choses trop précipitamment. Il faut, je crois, réfléchir beaucoup à ce qu'on projette, et quand les mesures sont prises, frapper un tel coup que tous les obstacles soient brisés. La prudence et la force, il n'y a au monde que ces deux moyens de parvenir. Je crains qu'on ne me laisse pas partir avant samedi ou même lundi prochain. Je suis toujours malade, je ne me lève pas tous les jours, et il fait un froid terrible. Et tout ce temps se perd… et j'ai tant de mois encore à dévorer!..
Oui, mon cher ami, je dois vous faire un mystère d'un chagrin affreux que j'éprouverai peut-être longtemps encore; il tient à des circonstances de ma vie qui sont complétement ignorées de tout le monde (C… excepté); j'ai au moins la consolation de le lui avoir appris sans que… (assez).
Quoique je sois forcé d'être mystérieux avec vous sur ce point, je ne crois pas que vous ayez de raison de l'être avec moi sur d'autres. Je vous supplie donc de me dire ce que vous entendez par cette phrase de votre dernière lettre: «Vous voulez faire un sacrifice; il y a longtemps que j'en crains un que, malheureusement, j'ai bien des raisons à croire que vous ferez un jour.» Quel est celui dont vous voulez parler? Je vous en conjure, dans vos lettres, ne parlez jamais à mots couverts, surtout quand il s'agit d'elle. Cela me torture. N'oubliez pas de me donner franchement cette explication.
Écrivez-moi poste restante, à Rome, en ayant soin d'affranchir jusqu'à la frontière, sans quoi la lettre ne me parviendrait pas.
VIII
A MM. GOUNET, GIRARD, HILLER, DESMAREST, RICHARD, SICHEL
Allons Gounet58, lisez-nous cela.
D'abord je vous embrasse tous; je me réjouis de vous revoir encore, de me retrouver auprès d'amis dont l'affection m'est si chère, de parler ensemble musique, enthousiasme, génie, poésie enfin. Je suis sauvé, je commence à m'apercevoir que je renais meilleur que je n'étais, je n'ai même plus de rage dans l'âme… Comme je ne vous ai pas écrit depuis mon départ de la France, il faut que je vous conte mon voyage.
Je me suis embarqué à Marseille sur un brick sarde, faisant voile pour Livourne. Ce trajet se fait ordinairement en cinq jours avec un temps passable, et nous en avons mis onze. Pendant la première semaine, nous étions accablés de calmes plats qui duraient tous les jours jusqu'au coucher du soleil; ce n'était que pendant la nuit que nous avancions un peu. Ne sachant comment nous désennuyer, nous avions imaginé de tirer au pistolet sur le pont. La cible était un biscuit fiché au bout d'un bâton qu'on avait attaché à la poupe, et que l'oscillation du navire rendait très difficile à atteindre. Tel était notre passe temps. Mes compagnons de voyage étaient des militaires italiens, accourant à Modène prendre part à la révolution
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M. Gounet est le poëte qui a traduit en vers français les paroles de Thomas Moore sur lesquelles Berlioz a écrit de la musique.