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de son roman-photo lorsque Katy réapparaît par la porte de l’appartement. « Tu vas t’en prendre une belle, ma chérie… » « C’est ta faute ! Tout est de ta faute ! » « Ho, Katy! La ferme, ok ? » +++ Et tandis que la mère se replonge avec délice dans son nouveau roman d’amour et son happy end, Katy se met au ménage. Elle file dans la salle de bain faire la vaisselle de la veille dans le lavabo. L'essuyer. Faire les lits, éplucher les patates. Les autres s’en foutent comme de l’an quarante, mais pas elle. Katy trime et trime encore, alors qu’elle est complètement crevée. Pour finir, elle passe le balai. Tout est plein de poussière. De saleté. De graisse figées. Ensuite, elle devra laisser gonfler la semoule de couscous pour le repas du père. En fond, la télévision annonce la création de l’Unité monétaire européenne pour le lendemain, le premier juillet. Katy ne comprend que dalle. Quand ce n’est pas de la musique, ce qu’elle entend entre par une oreille et ressort par l’autre. La météo promet une tiède soirée de début d’été et du soleil pour demain. Vient ensuite une émission de sport, avec un reportage sur les 18èmes championnats du monde de machin-chose au Mans ce dimanche. Le Grand Prix de France, x tours sur le bidule Bugatti. Toujours ces mots compliqués. Qu’est-ce qu’ils peuvent être bavards à la radio, on ne comprend rien. Mais pour ses frères, ce serait génial de pouvoir aller voir la course de voitures au Mans. Enfin bon, il ne faut pas espérer que le père fasse démarrer sa DS pour ça. Ce qui l’intéresse, lui, ce sont les courses de chevaux, et il peut les suivre à la télé dans le café où il a ses habitudes. +++++ Si seulement Katy savait à quelle heure le père va rentrer à la maison. Tous les jours c’est le même cinéma. Est-ce qu’ils doivent manger avant, ou plutôt l’attendre ? Quoi qu’on fasse, il n’est jamais content. Aujourd’hui, peu importe, en fait. Elle va de toute façon avoir Brasil, si la larve lui raconte que Katy a fracassé les bols. Toujours la peur au ventre. Madre moi. « Je vais me retrouver avec la gueule dans la soupe de pommes de terre. Après il va me mettre la tête dans la cuvette des chiottes et me claquer contre un mur. » On n’imagine pas la colère d’un père bourré quand il tabasse un gosse. Brasil, lalalalalalalala. « Un jour, il va me tuer. » Katy est morte de trouille. Et la grosse larve appuie ses mains sur la bouche de Katy pour que personne n’entende ses cris quand le vieux lui met une raclée. Un, deux, trois, fini la vie. « Rien à foutre de ma vie. » Quelle merde, putain. Aujourd’hui, les assistantes sociales sont venues à l’école distribuer du produit anti-poux. Directement sur sa tête, pour que tout le monde voie bien. Un tapis de neige sur sa tignasse d’Arabe. Ça fait chier, putain ! Les gamins se sont mis à crier : « Mowgli sous la neige Mowgli sous la nei-geu ! » Tes cheveux sont tellement épais qu’on n’arrive pas à les démêler, affirme la larve, qui n’a tout simplement pas envie de faire une tresse à Katy, ni même une queue de cheval. Et ça se dit mère ! Elle ne lave jamais les cheveux de Katy, elle trouve ça dégoûtant, parce que les longs cheveux crépus de Katy partent dans tous les sens. La coiffer ? Penses-tu ! Ça ne lui viendrait pas à l’idée, à la grosse larve. Si elle pouvait changer de vie, elle n’hésiterait pas une seconde. Heureusement qu’on ne l’a pas appelée Rachida. Ç’aurait été le pompon : Rachida Ben Ali, c’est ce que le père aurait voulu. Avec ça, t’es marquée jusqu’à la fin de tes jours ! Ou Denis qui aurait dû s’appeler Cherif ! Complètement débile ! Ben Ali, ça suffit à te pourrir la vie. Quand on fait l’appel à l’école : Ben Ali ! Elle ne réagit pas. Mais quand on l’appelle Catherine, elle lève la main et fait son sourire d’enfant sage. L’apogée de la journée produit anti-poux à l’école a eu lieu à la récréation, quand un des grands, un crème fraîche blond avec des taches de rousseur, s’est mis à se moquer d’elle : « Katy c’est une Noire qui pue ! Katy c’est une Noi-reu qui pu-eu ! » « Va te faire foutre ! » Katy a vu rouge. Malheureusement, aucun de ses frères n’était là pour passer un savon bien mérité à ces abrutis. Alors Katy a fait ce que ses frères auraient fait dans cette situation. Elle s’est précipitée derrière le crème fraîche et lui a tiré les couilles. Et boum, le petit con s’est tout de suite effondré sur le gravier de la cour. « Aaaahh, je peux plus respirer… » Cette mauviette se tient les couilles, comme si c’était par là qu’il respirait. « Alors, blanc-bec, t’as eu ton compte, là, non ? Pas encore ? Alors je te remets la même chose ! » +++ Katy est maline pour une gamine de sept ans, oh oui. A l’école, elle et ses frères forment une vraie bande de petits loubards, on ne peut pas le dire autrement. Normal qu’on ne les aime pas. Et leur imbécile d’ivrogne de père aggrave encore les choses. En cours d’année de CP - Katy oublie souvent quand s’est passé quoi exactement – le vieux s’est mis à tirer à la carabine depuis sa fenêtre juste parce qu’un garçon raccompagnait sagement Katy à la maison. Madre mio, Katy a entendu une cartouche siffler à son oreille. Le gamin s’est barré en courant, plutôt deux fois qu’une. Normal. Et à l’école, il a raconté à tout le monde que le vieux Ben Ali était complètement cinglé. Super. +++++ Le père fait sa loi. On n’a rien à dire. Et ça concerne l’ensemble de la vie de la famille. Quand quelque chose foire, c’est-à-dire : ne va pas comme il veut, il part au quart de tour. Il n’y a pas si longtemps, il s’est pointé à l’école et a réglé son compte à madame Marge. Le père n’en a rien à cirer que Katy soit en conflit avec madame Marge, qu’elle la rende dingue à force de ne jamais vouloir participer. Katy déteste cette institutrice impossible avec ses petites socquettes blanches bien chics. Katy la cherche souvent. Par exemple, madame Marge n’autorise pas les élèves à croiser les jambes pendant les cours. Alors que fait Katy ? Elle croise les jambes, ce qui lui vaut de méchants coups de pied. Madame Marge n’y va pas avec le dos de la cuiller. Quelle sale vache ! Ce jour-là, que madame Marge n’oubliera pas de sitôt, Katy, une fois de plus, ne pige rien au cours. C’est malheureux, mais c’est comme ça. Comme elle se sent super bête, elle décide de faire le clown, et se met à crier : « Ras l’bol madame ! Ras l’bol madame ! » Aïe, ouille ! Tout d’un coup, madame Marge l’attrape par les cheveux et va la mettre au dernier rang. « Et tu resteras assise ici jusqu’à la fin de l’année, espèce de petite teigne ! » +++ Ah non, ça ne va pas se passer comme ça, madame ! Katy se hisse sur la chaise qui lui a été attribuée, tire la langue à madame Marge et se frappe la poitrine comme un petit singe : « Ou-ou-ouah ! Là ! Là ! Ras l’bol, madame ! » Toute la classe se met à brailler, madame Marge pince de toutes ses forces la joue de Katy, l’obligeant à redescendre de la chaise : « Je ne veux plus rien entendre, compris ? Et maintenant, tu dégages, je t’ai assez vue pour aujourd’hui ! » Et elle croit qu’elle lui fait mal ? Il lui en faut plus que ça. Si Katy raconte ça à son père, ca va chier. Lorsqu’elle arrive à la maison, le père est complètement bourré comme d’habitude à cette heure-là. Le plan de Katy marche comme sur des roulettes. +++ « Quoi ?! Cette pute d'instit a osé lever la main sur toi ? Allez hop, on y va ! » Le père attrape son chapeau et se met tout de suite en route, avec Katy dans son sillage. Il déboule comme un fou furieux dans la classe de madame Marge : « Ecoutez-moi bien : vous ne traitez pas ma fille comme ça ! » Katy est morte de rire : d’un bras, d'un bras seulement, il soulève l’institutrice consternée, dans son tailleur bleu marine et ses socquettes blanches, il l’accroche comme une carcasse de bête à l’un des crochets du porte-manteaux. Et voilà. « Personne n’a le droit de toucher mes enfants ! Si quelqu’un doit punir ma fille, c’est moi, tenez-vous le pour dit ! » Sur ce, le père et la fille quittent la classe dans un infâme nuage de Ricard, de sueur et de Gauloises, et l’instit humiliée est livrée à elle-même. Katy se fiche de savoir comment madame Marge va faire pour gérer les élèves déchaînés. Ce n’est pas son problème. +++ « Attends, stop », lui ordonne le père sur le chemin du retour. Katy a immédiatement un mauvais pressentiment. Pourvu qu’il n’ait pas changé d’avis sur l’incident et qu’il ne lui en allonge pas une à elle maintenant. Mais pas du tout. Le père prend les petites mains de Katy dans les siennes, les ouvre avec une tendresse inattendue, et y déverse une petite poignée de cacahuètes, tchac tchac tchac : « C’est pour toi, petite ». Des cacahuètes ! D’habitude, ils n’en ont que le dimanche. On dirait qu’elle a fait quelque chose de bien aujourd’hui. Elle aimerait bien savoir quoi. « Merci, papa ! Merci ! Merci ! » +++ Katy en reste toujours baba quand quelqu’un est gentil avec elle ou lui prête attention. Et le père n’a jamais été comme ça avec elle. Peu après son entrée

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