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Tu as regardé dans le panier à linge ? demanda innocemment Poppy.

      Elle tapota son ventre, essayant d’avoir l’air naturel et non pas l’air d’être enceinte. Une chose sur laquelle elle ne faisait jamais l’impasse malgré ses maigres revenus, c’était la contraception. Elle se rendait à la clinique voisine tous les mois, avec une régularité de métronome, pour sa pilule. Elle n’avait pas envie de faire naître un bébé dans cette misérable vie dont elle voulait elle-même s’échapper.

      — Tu devais faire la lessive, dit Bruce en fonçant vers elle tandis que ses pas secouaient la caravane sur sa base. Je ne peux pas mettre ton cul répugnant sur le trottoir pour gagner quelque chose. Tu es allergique aux putains de produits chimiques pour fabriquer mon produit. Tu sers à quoi si tu ne peux même pas faire le putain de ménage, salope ?

      Il la poussa, mais il n’y avait pas vraiment de place où elle puisse aller dans l’espace confiné. Son dos cogna la cuisinière, et elle glissa le long de sa surface. Le pantalon s’échappa de sous sa robe.

      — C’est quoi, ce bordel ?

      Il lui arracha le pantalon avant qu’elle puisse à nouveau le cacher. Le dos de la main de Bruce entra en contact avec le côté du visage de Poppy avant qu’elle ne puisse lui faire des excuses ou s’écarter de son chemin.

      — Putain de connasse bonne à rien. Ce pantalon, c’est une vraie imitation de Gucci. Je l’ai payé cinquante balles.

      Deux ou trois mois auparavant, elle avait brûlé le steak qu’il avait volé dans la cuisine d’un restaurant. Il y en avait eu pour vingt-cinq dollars de viande. Il l’avait frappée une fois pour ça. Cinquante balles, c’était une fortune. Poppy leva les bras, attendant le second coup.

      — Couvre-toi, aboya Bruce.

      Il tira sur sa robe pour la faire descendre, mais le tissu usé ne s’étendait pas assez pour couvrir la laideur de ses jambes. Il se détourna d’elle. Les taches sur ses membres étaient une des raisons pour lesquelles il ne la regardait pas quand il la sautait au milieu de la journée.

      — Tu sais ce que je devrais faire ? dit-il, toujours accroupi au-dessus d’elle. Je devrais balancer ton cul derrière un glory hole. Personne n’aurait à regarder ce cul répugnant, alors.

      Son haleine était chargée des relents de la chatte d’une autre femme. Ses ongles étaient noirs de la crasse de son boulot de nuit comme proxénète local du parc de caravanes. Les veines de ses biceps étaient pleines de cicatrices dues à l’abus de son produit.

      Poppy releva les genoux pour couvrir les taches sensibles de ses jambes. La décoloration faisait ressembler sa peau nue à celle d’une lépreuse. C’est comme ça qu’on l’avait appelée à l’école primaire, quand les taches avaient commencé à apparaître. Les docteurs avaient tous dit qu’elle n’avait pas cette maladie. Ils étaient incapables d’expliquer ce qui n’allait pas chez elle.

      Sa mère avait eu les mêmes problèmes de peau. Ça ne l’avait pas empêchée de faire le trottoir. C’était l’un des rares boulots disponibles ici, dans ce trou paumé de Knudsen. C’était soit travailler à genoux pour faire le ménage, soit travailler sur le dos pour faire des passes.

      Kellyanne avait été déterminée à ce que sa petite fille ne travaille jamais sur le dos. Mais Poppy avait fini par avoir le pire des deux mondes. Elle commençait ses journées à genoux, en nettoyant la porcherie de Bruce et en faisant la lessive pour ses michetonneuses qui faisaient le trottoir. Puis elle se couchait sur le côté, la nuit, en espérant qu’il ne rentrerait pas à la maison pour la mettre sur le dos.

      Sa vie n’était pas si mal. D’autres filles vivaient bien pire. Elle pouvait passer ses journées seules tandis que les autres femmes se rassemblaient aux abords du terrain de camping pour attendre les passants. Elle avait récupéré la TV qui recevait les chaînes publiques, y compris les émissions de voyage comme Globe Trekker où elle pouvait voir le monde. Et il y avait même une chaîne qui diffusait de vieilles séries comme K-2000, L’Incroyable Hulk et La Belle et la Bête, mais en espagnol.

      Non, sa vie n’était pas mal du tout. Oui, elle se faisait frapper de temps en temps. Parfois même, elle le méritait. Comme maintenant. Elle n’avait pas fait attention et avait ruiné le meilleur pantalon de Bruce.

      — Je crois que je peux arranger ça, dit-elle à travers la douleur cinglante de sa mâchoire. Il me faut juste un peu de vinaigre. Laisse-moi essayer.

      Il lui jeta un regard noir pendant encore une minute entière avant de se reculer. Il ne lui tendit pas la main. Elle se remit précipitamment sur ses pieds, s’assurant de garder ses taches dissimulées à sa vue pour ne pas le mettre plus en colère.

      Poppy fouilla les placards à la recherche de vinaigre. Elle trouva la bouteille juste au moment où la lessive suivante se terminait avec un petit ding. Elle s’occupa d’abord du pantalon de Bruce, tamponnant l’acide sur la marque de brûlure. Dieu merci, elle avait l’air de partir. Elle ne recevrait peut-être pas cette deuxième gifle, après tout. La journée s’annonçait déjà meilleure.

      Elle étendit le pantalon sur le côté pour le laisser sécher et partit s’occuper de la lessive. Poppy sortit de la machine un mélange de strings et de mini-jupes qui auraient pu faire office de bandanas. Sa main s’immobilisa sur une pièce de sous-vêtement.

      La culotte n’était pas une taille dame. L’étiquette indiquait la taille par âges. C’était celle d’une enfant. Âge : de six à douze ans. Le coton blanc était décoré de nounours qui se faisaient un câlin. Sur l’entrejambe, il y avait des traces de sang décolorées.

      La bretelle de la robe de Poppy tomba de son épaule quand elle se redressa. Elle ne remit pas la bretelle en place pour couvrir les taches de ses bras. Plus que tout, elle avait envie d’arracher sa robe. Le fin coton ressemblait soudain à du papier de verre sur sa peau sensible et couverte de maladie.

      — Qu’est-ce que tu fous ? Il faut que je me casse. T’es aussi stupide que t’es moche ?

      Elle n’était pas sûre de la manière dont le couteau de boucher avait atterri dans sa paume. Quand la main de Bruce s’abattit sur son épaule, elle se retourna et lui porta un coup avec le couteau.

      Les yeux de Bruce s’écarquillèrent sous le choc. Sa main vint couvrir sa joue. Du sang dégoulina entre ses doigts.

      — Tu as dit que tu ne toucherais jamais une enfant, dit Poppy d’une petite voix qui luttait pour sortir de sa gorge.

      Elle tenait le couteau dans une main et la culotte d’enfant dans l’autre.

      Les yeux de Bruce s’éclaircirent et se remplirent de colère.

      — Cette petite pute m’a supplié de lui donner du boulot. Elle en avait envie. Et maintenant, tu vas t’en ramasser une.

      Il avança vers elle. Poppy donna un nouveau coup de couteau. Mais Bruce avait bien plus l’habitude qu’elle d’infliger de la violence. Il se saisit de sa main, lui enlevant le couteau. Tout ce qui lui restait comme armure, c’était la petite culotte souillée de la petite fille de quelqu’un.

      C’était seulement la deuxième fois de sa vie qu’elle envisageait de se défendre. La première fois, elle portait encore une petite culotte taille huit ans, avec des licornes et des arcs-en-ciel. On la lui avait arrachée du corps, mais avant que la moindre goutte de sang n’ait pu être versée, son ange gardien était venue à son secours.

      Les yeux de Poppy s’emplirent de larmes, comme ils le faisaient chaque fois qu’elle pensait à sa maman. Kellyanne était morte depuis longtemps maintenant. Il n’y avait personne pour venir à son secours. Pas dans cette vie. La mort ne pouvait pas être pire. Au moins, elle quitterait ce parc de caravanes et verrait quelque chose d’autre par la fenêtre.

      Elle tourna la tête vers la fenêtre, se préparant à encaisser le poing de Bruce. Une minute…

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