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pythonisses.--Magie noire de Médée et de Circé.

      Nous touchons à l'époque où les sciences exactes de la magie vont se revêtir de leur forme naturelle: la beauté. Nous avons vu dans le Sohar le prototype de l'homme se lever dans le ciel en se mirant dans l'océan de l'Être. Cet homme idéal, cet ombre du Dieu pantomorphe, ce fantôme viril de la forme parfaite ne restera pas isolé. Une compagne va lui naître sous le doux ciel de l'Héllénie. La Vénus céleste, Vénus chaste et féconde, la triple mère des trois Grâces, sort à son tour, non plus des eaux dormantes du chaos, mais des ondes vivantes et agitées de cet archipel murmurateur de poésie où les îles pavoisées d'arbres verts et de fleurs semblent être les vaisseaux des dieux.

      Le septénaire magique des Chaldéens se change en musique sur les sept cordes de la lyre d'Orphée. C'est l'harmonie qui défriche les forêts et les déserts de la Grèce. Aux chants poétiques d'Orphée, les rochers s'amollissent, les chênes se déracinent, et les bêtes sauvages se soumettent à l'homme. C'est par une semblable magie qu'Amphion bâtit les murs de Thèbes. La savante Thèbes de Cadmus, la ville qui est un pantacle comme les sept merveilles du monde, la cité de l'initiation. C'est Orphée qui a donné la vie aux nombres, c'est Cadmus qui a attaché la pensée aux caractères. L'un a fait un peuple amoureux de toutes les beautés, l'autre a donné à ce peuple une patrie digne de son génie et de ses amours.

      Dans les traditions de l'ancienne Grèce, nous voyons apparaître Orphée parmi les héros de la toison d'or, ces conquérants primitifs du grand oeuvre. La toison d'or, c'est la dépouille du soleil, c'est la lumière appropriée aux usages de l'homme; c'est le grand secret des oeuvres magiques, c'est l'initiation enfin, que vont chercher en Asie les héros allégoriques de la toison d'or. D'une autre part, Cadmus est un exilé volontaire de la grande Thèbes d'Égypte. Il apporte en Grèce les lettres primitives et l'harmonie qui les rassemble. Au mouvement de cette harmonie, la ville typique, la ville savante, la nouvelle Thèbes se bâtit d'elle-même, car la science est tout entière dans les harmonies des caractères hiéroglyphiques, phonétiques et numéraux qui se meuvent d'eux-mêmes suivant les lois des mathématiques éternelles, Thèbes est circulaire et sa citadelle est carrée, elle a sept portes comme le ciel magique et sa légende deviendra bientôt l'épopée de l'occultisme et l'histoire prophétique, du génie humain.

      Toutes ces allégories mystérieuses, toutes ces traditions savantes sont l'âme de la civilisation en Grèce, mais il ne faut pas chercher l'histoire réelle des héros de ces poèmes ailleurs que dans les transformations du symbolisme oriental apporté en Grèce par des hiérophantes inconnus. Les grands hommes de ce temps-là écrivaient seulement l'histoire des idées, et se souciaient peu de nous initier aux misères humaines de l'enfantement des empires. Homère aussi a marché dans cette voie; il met en oeuvre les dieux, c'est-à-dire les types immortels de la pensée, et si le monde s'agite c'est une conséquence forcée du froncement des sourcils de Jupiter. Si la Grèce porte le fer et le feu en Asie, c'est pour venger les outrages de la science et de la vertu sacrifiées à la volupté. C'est pour rendre l'empire du monde à Minerve et à Junon, en dépit de cette molle Vénus qui a perdu tous ceux qui l'ont trop aimée.

      Telle est la sublime mission de la poésie: elle substitue les dieux aux hommes, c'est-à-dire les causes aux effets et les conceptions éternelles aux chétives incarnations des grandeurs sur la terre. Ce sont les idées qui élèvent ou qui font tomber les empires. Au fond de toute grandeur il y a une croyance, et pour qu'une croyance soit poétique, c'est-à-dire créatrice, il faut qu'elle relève d'une vérité. La véritable histoire digne d'intéresser les sages, c'est celle de la lumière toujours victorieuse des ténèbres. Une grande journée de ce soleil se nomme une civilisation.

      La fable de la toison d'or rattache la magie hermétique aux initiations de la Grèce. Le bélier solaire dont il faut conquérir la toison d'or pour être souverain du monde est la figure du grand oeuvre. Le vaisseau des Argonautes construit avec les planches des chênes prophétiques de Dodone, le vaisseau parlant, c'est la barque des mystères d'Isis, l'arche des semences et de la rénovation, le coffre d'Osiris, l'oeuf de la régénération divine. Jason l'aventurier est l'initiable; ce n'est un héros que par son audace, il a de l'humanité toutes les inconstances et toutes les faiblesses, mais il emmène avec lui les personnifications de toutes les forces. Hercule qui symbolise la force brutale ne doit point concourir à l'oeuvre, il s'égare en chemin à la poursuite de ses indignes amours; les autres arrivent au pays de l'initiation, dans la Colchide, où se conservaient encore quelques-uns des secrets de Zoroastre; mais comment se faire donner la clef de ces mystères? La science est encore une fois trahie par une femme. Médée livre à Jason les arcanes du grand oeuvre, elle livre le royaume et les jours de son père; car c'est une loi fatale du sanctuaire occulte que la révélation des secrets entraîne la mort de celui qui n'a pu les garder.

      Médée apprend à Jason quels sont les monstres qu'il doit combattre et de quelle manière il peut en triompher. C'est d'abord le serpent ailé et terrestre, le fluide astral qu'il faut surprendre et fixer; il faut lui arracher les dents et les semer dans une plaine qu'on aura d'abord labourée en attelant à la charrue les taureaux de Mars. Les dents du dragon sont les acides qui doivent dissoudre la terre métallique préparée par un double feu et par les forces magnétiques de la terre. Alors il se fait une fermentation et comme un grand combat, l'impur est dévoré par l'impur, et la toison brillante devient la récompense de l'adepte.

      Là se termine le roman magique de Jason; vient ensuite celui de Médée, car dans cette histoire l'antiquité grecque a voulu renfermer l'épopée des sciences occultes. Après la magie hermétique vient la goétie, parricide, fratricide, infanticide, sacrifiant tout à ses passions et ne jouissant jamais du fruit de ses crimes. Médée trahit son père, comme Cham; assassine son frère, comme Caïn. Elle poignarde ses enfants, elle empoisonne sa rivale et ne recueille que la haine de celui par qui elle voulait être aimée. On peut s'étonner de voir que Jason maître de la toison d'or n'en devienne pas plus sage, mais souvenons-nous qu'il ne doit la découverte de ses secrets qu'à la trahison. Ce n'est pas un adepte comme Orphée, c'est un ravisseur comme Prométhée. Ce qu'il cherche ce n'est pas la science, c'est la puissance et la richesse. Aussi mourra-t-il malheureusement, et les propriétés inspiratrices et souveraines de la toison d'or ne seront-elles jamais comprises que par les disciples d'Orphée.

      Prométhée, la toison d'or, la Thébaïde, l'Iliade et l'Odyssée, cinq grandes épopées toutes pleines des grands mystères de la nature et des destinées humaines composent la Bible de l'ancienne Grèce, monument immense, entassement de montagnes sur des montagnes, de chefs-d'oeuvres sur des chefs-d'oeuvres, de formes belles comme la lumière sur des pensées éternelles et grandes comme la vérité!

      Ce ne fut d'ailleurs qu'à leurs risques et périls que les hiérophantes de la poésie initièrent les populations de la Grèce à ces merveilleuses fictions conservatrices de la vérité. Eschyle qui osa mettre en scène les luttes gigantesques, les plaintes surhumaines et les espérances divines de Prométhée, le poète terrible de la famille d'Oedipe, fut accusé d'avoir trahi et profané les mystères, et n'échappa qu'avec peine à une sévère condamnation. Nous ne pouvons maintenant comprendre toute l'étendue de l'attentat du poëte. Son drame était une trilogie, et l'on y voyait toute l'histoire symbolique de Prométhée. Eschyle avait donc osé montrer au peuple assemblé Prométhée délivré par Alcide et renversant Jupiter de son trône. La toute-puissance du génie qui a souffert et la victoire définitive de la patience sur la force: c'était beau sans doute. Mais les multitudes ne pouvaient-elles pas y voir les triomphes futurs de l'impiété et de l'anarchie! Prométhée vainqueur de Jupiter ne pouvait-il pas être pris pour le peuple affranchi un jour de ses prêtres et de ses rois; et de coupables espérances n'entraient-elles pas pour beaucoup dans les applaudissements prodigués à l'imprudent révélateur?

      Nous devons des chefs-d'oeuvre à ces faiblesses du dogme pour la poésie, et nous ne sommes pas de ces initiés austères qui voudraient comme Platon exiler les poètes, après les avoir couronnés; les vrais poètes sont des envoyés de Dieu sur la terre, et ceux qui les repoussent ne doivent pas être bénis du Ciel.

      Le grand initiateur de la Grèce et son premier civilisateur en fut aussi le

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