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le grand absurde pour ma faiblesse, l'absurde infini qui me confond et que je crois!

      Mais le bien seul est infini; le mal ne l'est pas, et c'est pourquoi si Dieu est l'éternel objet de la foi, le diable appartient à la science. Dans quel symbole catholique, en effet, est-il question du diable? Ne serait-ce pas blasphémer que de dire: Nous croyons en lui? Il est nommé, mais non défini dans l'Écriture sainte; la Genèse ne parle nulle part d'une prétendue chute des anges; elle attribue le péché du premier homme au serpent, le plus rusé et le plus dangereux des êtres animés. Nous savons quelle est à ce sujet la tradition chrétienne; mais si cette tradition s'explique par une des plus grandes et des plus universelles allégories de la science, qu'importera cette solution à la foi qui aspire à Dieu seul, et méprise les pompes et les oeuvres de Lucifer?

      Lucifer! Le porte-lumière! quel nom étrange donné à l'esprit des ténèbres. Quoi c'est lui qui porte la lumière et qui aveugle les âmes faibles? Oui, n'en doutez pas, car les traditions sont pleines de révélations et d'inspirations divines.

      «Le diable porte la lumière, et souvent même, dit saint Paul, il se transfigure en ange de splendeur.»--«J'ai vu, disait le Sauveur du monde, j'ai vu Satan tomber du ciel comme la foudre.»--«Comment es-tu tombée du ciel, s'écrie le prophète Isaïe, étoile lumineuse, toi qui te levais le matin?» Lucifer est donc une étoile tombée; c'est un météore qui brûle toujours et qui incendie lorsqu'il n'éclaire plus.

      Mais ce Lucifer, est-ce une personne ou une force? Est-ce un ange ou un tonnerre égaré? La tradition suppose que c'est un ange; mais le Psalmiste ne dit-il pas au psaume 103: «Vous faites vos anges des tempêtes et vos ministres des feux rapides?» le mot ange est donné dans la Bible à tous les envoyés de Dieu: messagers ou créations nouvelles, révélateurs ou fléaux, esprits rayonnants ou choses éclatantes. Les flèches de feu que le Très Haut darde dans les nuages sont les anges de sa colère, et ce langage figuré est familier à tous les lecteurs des poésies orientales.

      Après avoir été pendant le moyen âge la terreur du monde, le diable en est devenu la risée. Héritier des formes monstrueuses de tous les faux dieux successivement renversés, le grotesque épouvantail a été rendu ridicule à force de difformité et de laideur.

      Observons pourtant une chose: c'est que ceux-là seuls osent rire du diable qui ne craignent pas Dieu. Le diable, pour bien des imaginations malades, aurait-il donc été l'ombre de Dieu même, ou plutôt ne serait-il pas souvent l'idole des âmes basses, qui ne comprennent le pouvoir surnaturel que comme l'exercice impuni de la cruauté?

      Il est important de savoir enfin si l'idée de cette puissance mauvaise peut se concilier avec celle de Dieu. Si en un mot le diable existe, et s'il existe, ce que c'est.

      Il ne s'agit pas ici d'une superstition ou d'un personnage ridicule: il s'agit de la religion tout entière, et par conséquent de tout l'avenir et de tous les intérêts de l'humanité.

      Nous sommes vraiment des raisonneurs étranges! Nous nous croyons bien forts quand nous sommes indifférents à tout, excepté aux résultats matériels, à l'argent, par exemple; et nous laissons aller au hasard les idées mères de l'opinion qui, par ses revirements, bouleverse ou peut bouleverser toutes les fortunes.

      Une conquête de la science est bien plus importante que la découverte d'une mine d'or. Avec la science, on emploie l'or au service de la vie; avec l'ignorance, la richesse ne fournit que des instruments à la mort.

      Qu'il soit bien entendu d'ailleurs que nos révélations scientifiques s'arrêtent devant la foi, et que, comme chrétien et comme catholique, nous soumettons notre oeuvre tout entière au jugement suprême de l'Église.

      Et maintenant à ceux qui doutent de l'existence du diable, nous répondons:

      Tout ce qui a un nom existe; la parole peut être proférée en vain, mais en elle-même elle ne saurait être vaine et elle a toujours un sens.

      Le Verbe n'est jamais vide, et s'il est écrit qu'il est en Dieu, et qu'il est Dieu, c'est qu'il est l'expression et la preuve de l'être et de la vérité.

       Le diable est nommé et personnifié dans l'Évangile, qui est le Verbe de vérité, donc il existe, et il peut être considéré comme une personne. Mais ici c'est le chrétien qui s'incline; laissons parler la science ou la raison, c'est la même chose.

      Le mal existe, il est impossible d'en douter. Nous pouvons faire bien ou mal.

      Il est des êtres qui sciemment et volontairement font le mal.

      L'esprit qui anime ces êtres et qui les excite à mal faire est dévoyé, détourné de la bonne route, jeté en travers du bien comme un obstacle; et voilà précisément ce que signifie le mot grec diabolos, que nous traduisons par le mot diable.

      Les esprits qui aiment et font le mal sont accidentellement mauvais.

      Il y a donc un diable qui est l'esprit d'erreur, d'ignorance volontaire, de vertige; et il y a des êtres qui lui obéissent, qui sont ses envoyés, ses émissaires, ses anges, et c'est pour cela qu'il est parlé dans l'Évangile d'un feu éternel qui est préparé, prédestiné en quelque sorte au diable et à ses anges. Ces paroles sont toute une révélation et nous aurons à les approfondir.

      Définissons d'abord bien nettement le mal; le mal c'est le défaut de rectitude dans l'être.

      Le mal moral est le mensonge en actions comme le mensonge est le crime en paroles.

      L'injustice est l'essence du mensonge; tout mensonge est une injustice.

       Quand ce qu'on dit est juste, il n'y a pas mensonge. Quand on agit équitablement et d'une manière vraie, il n'y a pas péché.

      L'injustice est la mort de l'être moral, comme le mensonge est le poison de l'intelligence.

      L'esprit de mensonge est donc un esprit de mort.

      Ceux qui l'écoutent sont empoisonnés par lui et sont ses dupes.

      Mais s'il fallait prendre sa personnification absolue au sérieux, il serait lui-même absolument mort et absolument trompé, c'est-à-dire que l'affirmation de son existence impliquerait une évidente contradiction.

      Jésus a dit: «Le diable est menteur ainsi que son père.»

      Qu'est-ce que le père du diable?

      C'est celui qui lui donne une existence personnelle en vivant d'après ses inspirations; l'homme qui se fait diable est le père du mauvais esprit incarné.

      Mais il est une conception téméraire, impie, monstrueuse.

      Une conception traditionnelle comme l'orgueil des pharisiens.

      Une création hybride qui a donné une apparente raison contre les magnificences du christianisme à la mesquine philosophie du XVIIIe siècle.

      C'est le faux Lucifer de la légende hétérodoxe; c'est cet ange assez fier pour se croire Dieu, assez courageux pour acheter l'indépendance au prix d'une éternité de supplices, assez beau pour avoir pu s'adorer en pleine lumière divine; assez fort pour régner encore dans les ténèbres et la douleur, et pour se faire un trône de son inextinguible bûcher, c'est le Satan du républicain et de l'hérétique Millon, c'est ce prétendu héros des éternités ténébreuses calomnié de laideur, affublé de cornes et de griffes qui conviendraient plutôt à son tourmenteur implacable.

      C'est ce diable roi du mal, comme si le mal était un royaume!

      Ce diable plus intelligent que les hommes de génie qui craignaient ses déceptions.

      Cette lumière noire, ces ténèbres qui voient. Ce pouvoir que Dieu n'a pas voulu, et qu'une créature déchue n'a pu créer.

      Ce prince de l'anarchie servi par une hiérarchie de purs esprits.

      Ce banni de Dieu qui serait partout comme Dieu est sur la terre, plus visible, plus présent au plus grand nombre, mieux servi que Dieu

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