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à couteaux tirés avec ces deux ministres, qui n'en ont pas moins eu un vote éclatant en leur faveur. Dieu veuille que cela leur donne la volonté de mieux faire et d'user, pour le bien du monde entier, du pouvoir que ce vote leur donne.

       Günthersdorf, 27 mai 1853.– Nous voici avec un Prince-Évêque nommé par le Chapitre: c'est celui que j'annonçais. Le Roi ne tardera pas à confirmer ce choix; et Rome, sans doute, le sanctionnera. Il est de beaucoup préférable à celui de l'insignifiant Évêque de Münster ou du curé spirituel, mais niveleur, de Ratibor. Il n'y a que l'Évêque de Mayence, Mgr Kettler, que j'eusse préféré.

      Mes lettres de Vienne ne parlent que des ovations, tout exceptionnelles, dont le Roi de Prusse y est entouré. C'est aimable, convenable et habile. J'en suis charmée. Le mariage du Duc de Brabant avec l'Archiduchesse Marie est déclaré. Elle a un caractère des plus vifs.

      Sagan, 5 juin 1853.– Quelqu'un qui a vu, il y a quelques jours, à Berlin, le duc d'Ossuna, m'a dit que ce grand d'Espagne lui avait raconté que, tout témoin qu'il était au mariage de l'Impératrice Eugénie, il n'avait pu la voir, à son passage par Paris, dernièrement. L'Empereur la tient sous un joug assez austère, et, du reste, elle est d'une santé fort délicate.

      On me mande de Vienne que le Roi Léopold est plus enchanté de sa future belle-fille que ne l'est l'épouseur. Mme de Metternich, avec sa rudesse habituelle, dit que c'est unir un palefrenier à une religieuse, mais que c'est le Duc de Brabant qui est la religieuse.

       Sagan, 9 juin 1853.– Toutes les lettres de Berlin ne cessent de parler du ravissement du Roi de Prusse de son séjour à Vienne. L'Archiduchesse Sophie arrive dans trois jours à Sans-Souci avec ses deux fils cadets.

       Sagan, 13 juin 1853.– Je ne puis m'empêcher dans mes méditations solitaires de trouver que les événements paraissent se précipiter en Orient. Assurément, l'Empereur de Russie est trop âgé pour agir en étourdi, mais il ne l'est pas assez pour qu'on ne puisse lui supposer l'ambition de vastes projets. Je m'imagine qu'à Paris, on pense souvent qu'il faudrait compléter le 2 Décembre du dedans par un 2 Décembre du dehors. Ce sont là deux gros nuages bien chargés d'électricité, aux deux bouts du monde européen, qui courent au-devant l'un de l'autre. Je crois bien qu'au centre on aimerait à dresser des paratonnerres, mais sera-ce possible? Et si cela ne se pouvait, quelle guerre naîtrait de ce choc! Du reste, il m'est revenu dernièrement qu'à Paris, on hésitait beaucoup devant la guerre franchement révolutionnaire, qu'on s'y flatte même qu'en n'entrant pas immédiatement en Belgique, ni en Savoie, on pourrait entrer en campagne d'accord avec l'Angleterre. Mais cela me paraît terriblement platonique. La France, si éprise du luxe et du bien-être, bénéficie de la paix; comment supporterait-elle d'en être sevrée, si on ne lui offrait promptement les émotions et les dédommagements de la conquête? D'ailleurs, le monde n'est-il pas mûr pour une crise définitive? Les grands instruments de vitesse qui ont été si merveilleusement prodigués à ce siècle, le sont-ils, dans les décrets de la Providence, uniquement pour les trains de plaisir et les ballots de coton? Ne sont-ce pas plutôt les bottes de sept lieues de la civilisation, avide de rentrer en Orient? Tout cela semble, à mon petit horizon solitaire, plus vraisemblable, quelque romanesque que cela paraisse, que la prolongation d'un état de choses qui n'est lui-même que la permanence du malaise et du péril pour tous les Gouvernements et pour tous les peuples.

       Sagan, 19 juin 1853.– Je suis allée à Hansdorf82 où Mme l'Archiduchesse Sophie a désiré (selon l'itinéraire que lui avait tracé le Roi de Prusse) dîner à deux heures pour arriver à Sans-Souci à l'heure du thé. J'ai passé une heure à côté d'elle, à causer de mille choses qu'elle traite avec facilité, agrément, abandon. Elle a paru fort sensible à mon attention et au superbe bouquet que je lui ai apporté. Elle a, depuis bien, bien, bien des années, été toujours également bonne pour moi, et je la trouve très aimable, animée, bienveillante et spirituelle.

       Dresde, 29 juin 1853.– Nous sommes arrivés ici, d'où la Grande-Duchesse83 est partie ce matin pour Weimar; sa fille Wasa est malade à Pilnitz et est soignée par la Princesse Carola, ou pour mieux dire, par Mme la Princesse Albert de Saxe, sa fille. J'apprends que le jeune ménage est fort satisfait. Le public ne trouve pas du tout la Princesse Carola jolie, mais on lui trouve l'air prévenant, bienveillant; elle est fort polie et obligeante. La Famille Royale est très contente d'elle, et le public, qui n'a pas vu ce mariage d'un bon œil, se radoucit devant les jolies et bienveillantes façons de la jeune Princesse. Comme le Prince Albert est très aimé et estimé, tout le pays lui a fait de superbes cadeaux: les villes manufacturières, notamment, et les villes de commerce, comme Leipzig, par exemple, qui a offert une magnifique vaisselle. On ne sait où placer l'énorme quantité de choses qui arrivent de toutes parts.

       Carlsbad, 3 juillet 1853.– Je suis arrivée hier dans cette fournaise. Le dernier jour de Dresde, j'ai dîné chez les Redern avec le Prince Albert de Prusse84. Redern, ministre de Prusse en Saxe a, de son souverain, la permission d'inviter le Prince Albert chez lui, mais non pas d'aller chez le Prince. Défense lui est faite de prendre notice quelconque de l'épouse qui, dit-on, est en couches en ce moment; c'est un peu bien près des noces. L'influence de la Reine de Prusse, pour empêcher le Roi de permettre ce mariage (à condition de ne jamais voir la femme), n'a jamais pu l'emporter sur les obsessions de la Princesse Charlotte de Meiningen et de l'Impératrice de Russie.

      J'ai appris, à Dresde, que le Prince Wasa avait donné les beaux diamants emportés de Suède à sa fille, la Princesse Carola, à l'occasion de son mariage; mais aussi à la condition de ne pouvoir, ni les vendre, ni les faire changer de monture; ils doivent rester dans la caisse du Prince Albert, qui en est responsable, et la Princesse ne peut les porter qu'en donnant chaque fois un reçu. On évalue cet écrin à quatre cent mille écus.

      Carlsbad, 8 juillet 1853.– Le Grand-Duc de Saxe-Weimar est décidément au plus mal. Voilà un deuil qui jettera du trouble dans le séjour de Mme la Princesse de Prusse à Londres. Elle aime son père, et elle s'inquiétera pour son frère, elle se préoccupera pour sa mère; enfin, elle aura quelques soucis de plus à joindre à ceux qui, déjà, ne lui manquent pas.

      Teplitz, 12 août 1853.– J'ai quitté Carlsbad sans regret; il me faut maintenant conter, tant bien que mal, le peu qui arrive jusqu'à moi; et d'abord le mariage de la jeune Mélanie de Metternich: elle épouse le comte Pepy Zichy, un sien cousin, qu'elle a refusé deux fois, tant qu'elle visait, avant 1848, à un prince de maison souveraine.

      On dit que la jeune Archiduchesse, future Duchesse de Brabant (ou plutôt déjà Duchesse de Brabant, car le mariage par procuration a dû se célébrer hier), a l'air bien triste. Je la plains et le jeune Duc de Brabant aussi; car ce sont deux enfants qui se marient à contre-cœur tous deux. La sensibilité paternelle ne s'en émeut guère. Le Roi Léopold fait son chemin à pas discrets, mais sûrs, sans se soucier ni des aigreurs des uns, ni des soupirs des autres; il a bien la figure de son rôle, bien plus desséchée que vieillie!

      Son Ministre à Vienne, M. O'Sullivan de Grass, est tellement enflé de joie, à ce qu'on dit, et d'orgueil d'être ambassadeur, et de ses fonctions auprès de la Princesse, qu'il en aurait crevé, si cela avait duré; mais après la cérémonie d'hier, il redevient Ministre, tout en précédant, cependant, la Princesse à Bruxelles où le Prince Adolphe Schwarzenberg l'accompagne.

      D'après ce qui me revient, je ne crois pas que l'entrevue du duc de Nemours et du Comte de Chambord ait eu lieu jusqu'à présent.

       Teplitz, 15 août 1853.– Ma cousine de Chabannes m'écrit ce qui suit: «Mme la Duchesse d'Orléans me paraît vraiment dans une sorte d'aberration d'esprit, car ce qu'elle fait, en ce moment, y ressemble fort, et je lui suis trop attachée pour ne pas en éprouver un vif chagrin. Vous savez que, l'année dernière, tout en se montrant fort opposée au désir de tous les siens, elle avait cependant fini par se soumettre à moitié, et à de certaines conditions qui, du reste, tout naturellement, ont dû faire échouer le projet de fusion entre les deux branches. Depuis un an, elle se tenait à part avec une certaine

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<p>82</p>

Hansdorf était alors la station du chemin de fer d'embranchement de Berlin-Sagan.

<p>83</p>

La Grande-Duchesse Stéphanie.

<p>84</p>

Le Prince Albert de Prusse, qui vivait séparé de sa femme depuis quelque temps, venait d'épouser, assez clandestinement, une dame d'honneur de cette Princesse, Mlle de Rauch, qui reçut le titre et le nom de comtesse de Hohenau.