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armoire contenant une figurine en cire qu'on dit être: il vero Ritratto del santissimo Fondatore degli ordini mendicanti79. Le fait est que c'est tellement ainsi qu'on se représente saint François d'Assise que, pour moi du moins, je ne mets pas en doute que ce ne soit là son véritable portrait. Enfin, je suis rentrée, bien fatiguée. Après le dîner, je me suis assoupie, mais pas longtemps, car le chant des gondoliers qui, en chœur, égayent leur station au Molo, m'a fait vite ouvrir la fenêtre pour les mieux entendre. C'était fort joli.

       Venise, 3 avril 1853.– Il y a de bien belles choses à admirer ici; mais il y en a trop. Je ne sais comment le mois que je veux passer à Venise suffira pour tout ce que l'un et l'autre me dit de voir. J'ai vu d'admirables Paul Véronèse à l'Académie delle belle arti, où je suis restée deux heures dans une véritable admiration. La collection n'y est pas nombreuse, mais les chefs-d'œuvre y abondent: presque tous de cette admirable école vénitienne qui, depuis que je sais distinguer les tableaux, est celle qui m'a toujours satisfaite plus que toute autre.

      Venise, 4 avril 1853.– Hier dimanche, j'ai été faire ma prière à l'église des Saints-Apôtres, dont on célèbre la fête le 3 avril. Il y avait, par conséquent, grande funzione dans cette église qui leur est consacrée; beaucoup de lumière, de belles orgues, mais des voix et des chants rappelant beaucoup trop l'opéra. L'église, en elle-même, n'est pas intéressante; d'ailleurs, n'y étant que pour assister à la grand'messe, je l'ai fort peu examinée. Ce qui m'a singulièrement plu et touchée, c'est une procession passant sur la Riva degli Schiavoni, et portant chaque année, au premier dimanche après Pâques, aux malades qui n'ont pu faire leurs dévotions à l'église, leur portant, dis-je, la communion pascale, soit dans leur palais, soit dans le taudis de leur misère. C'est bien, c'est naturel, comme l'est toujours notre mère l'Église.

      A midi et demi, j'étais au palais Vendramin, où Mme la Duchesse de Berry m'avait dit de me rendre, pour me montrer en détail ce charmant et magnifique établissement que les arts dans leur plus belle expression, le goût dans sa perfection, le confort dans tout son bien-être, l'histoire dans ses traditions, et le luxe dans sa splendeur, se sont plu à différentes époques à orner. Depuis des colonnes de jaspe sanguin, de toutes grandeurs, provenant du temple de Diane, à Éphèse, jusqu'à une botte de Louis XIV, sur le talon de laquelle Van der Meulen a peint une des batailles gagnées par le Roi, depuis des tableaux prima sorte de Jean Bellini, Andrea del Sarto, etc., etc., jusqu'à des portraits du pauvre petit Louis XVII, il y a de tout; et tout est bien ordonné, bien à sa place, l'appartement bien distribué, des vues superbes; même un jardin, chose si rare ici, où le manque d'arbres, de fleurs et de verdure finit par fatiguer les yeux qui en cherchent vainement le repos et le rafraîchissement. Je suis restée deux heures à suivre Mme la Duchesse de Berry, et à écouter les explications très obligeantes et très intéressantes que me donnait le comte Lucchesi; il est un cicerone vraiment habile; je crois qu'il allège les pénibles honneurs qui lui sont dévolus, en se plongeant dans les arts et la curiosité.

      Venise, 5 avril 1853.– Ma matinée d'hier a été consacrée à la basilique de Saint-Marc, à son trésor et à l'inspection plus détaillée de la Piazza et de la Piazzetta. Il y aurait trop à en dire pour en indiquer ici le détail, je me bornerai à en tracer mon impression.

      Bâtie sur le modèle de Sainte-Sophie, de Constantinople, l'Orient y a mis son cachet particulier, de telle sorte qu'on a d'abord quelque peine à se sentir dans une église du culte catholique romain; aussi, quoique Saint-Marc ne soit pas à comparer comme grandeur, ni à Saint-Pierre, ni au dôme de Milan, ni à celui de Cologne, reste-t-il digne d'être mis sur la même ligne, parce que rien de semblable ne se trouve en Europe. Ce n'est ni l'anéantissement qui terrasse à Saint-Pierre, ni le respect qu'inspire Cologne, ni les élancements joyeux que provoque Milan; mais c'est un fragment du temple de Salomon. Je voudrais pouvoir me confesser à Saint-Pierre, prier à Cologne, chanter le Te Deum à Milan, et rêver aux Croisades à Saint-Marc.

      Venise, 6 avril 1853.– J'ai été visiter, hier, les ateliers de Schiavone et de Nerli. Les artistes vivants ont trop à lutter, ici, contre les comparaisons inatteignables qui les entourent. Schiavone habite une partie de l'élégant palais Foscari-Giustiniani. Nerli, qui est Prussien plein de talent, occupe les mansardes de l'immense palais Pisani, dont les dimensions contrastent avec le délabrement des détails.

       Venise, 8 avril 1853.– Hier, j'ai été au couvent des Arméniens de l'île Saint-Lazare, que les études arméniennes de lord Byron ont rendu particulièrement célèbre: nous y avons vu le vieux moine qui lui donnait des leçons. C'est un bel établissement, propre, bien tenu, où on fait poliment accueil aux étrangers. L'air y est bien meilleur qu'en ville, et un joli jardin, dans le milieu du cloître intérieur, rappelle, par sa végétation, ceux des villas de Nice: c'était un vrai rafraîchissement de retrouver de la verdure et des fleurs. L'imprimerie, la bibliothèque, l'église, la sacristie, tout nous a été ouvert et montré par un jeune moine, fort bien élevé, parlant français et italien.

      Le duc de Lévis, qui m'avait demandé, à jour et heure fixe, un entretien, est venu chez moi; notre conversation, qui s'est longtemps prolongée, m'a confirmée dans la conviction que ce n'est pas d'ici que partent les difficultés à la fusion.

      Venise, 9 avril 1853.– Nous avons senti une tempête que la Bora nous a envoyée de Trieste, en vraie rivale malicieuse. J'étais, le soir, au palais Vendramin, et le canal montait si haut dans le Canal Grande que je suis arrivée chez Mme la Duchesse de Berry avec le mal de mer. C'était une petite soirée en famille, où le whist, le thé et un peu de conversation ont rempli une couple d'heures. Dans la matinée, j'avais été faire une longue station au palais des Doges; j'y ai vu et revu des merveilles artistiques, historiques, et de curieux manuscrits dans le cabinet particulier du bibliothécaire. Le palais des Doges est ma grande préférence à Venise, car il semble que toutes les grandes ombres puissent encore y être évoquées, au moindre mot, à chaque pas, à chaque soupir.

      M. de Bacourt étant venu passer un mois à Venise, la correspondance subit alors une interruption.

       Berlin, 14 mai 1853.– Je suis arrivée, avant-hier à une heure après midi, à Potsdam; j'ai été invitée pour le thé et le souper au Château. J'y ai vu arriver le Duc et la Duchesse de Gênes: le Duc est beau et a une sérieuse attitude. Je trouve seulement que son sérieux touche au sombre et au taciturne, plus que son âge ne le comporte; du reste, sa femme est si gaie, si fraîche, si ouverte, si naturelle, qu'évidemment elle est heureuse. Elle ressemble infiniment d'extérieur à feu la Reine des Belges80, avec une expression plus gaie. Le Roi Léopold a fait ici feu des quatre pieds pour être agréable. On trouve son fils par trop bien élevé, tant il est poli, doucereux, courbé en humilité: la vraie école paternelle. On dit qu'il serait beau si son long nez ne profilait pas une ombre semblable à l'ombre classique du mont Athos (réflexion de Humboldt, naturellement). Ici, le Ministère est divisé, la Famille Royale divisée, la Cour divisée, les questions communales parlementaires et religieuses en effervescence. Il paraît que c'est le chanoine Fœrster qui sera Prince-Évêque de Breslau. Il est bon prêtre, homme d'esprit, grand prédicateur, bon écrivain, actif ami des jésuites: il ne paye pas de mine, il manque de calme, il n'est pas gentilhomme, mais il n'appartient, en aucune façon, au clergé niveleur. Personnellement, je ne pouvais désirer un meilleur choix. Il n'est point encore proclamé!

      Le Roi et la Reine de Prusse m'ont beaucoup questionnée sur le Comte et la Comtesse de Chambord, avec un intérêt visible et tendre. On n'a aucun goût, aucune estime, aucune confiance pour Louis-Napoléon; mais on est craintif, méticuleux; au fait, on a bien des motifs pour être prudent.

      Sagan, 18 mai 1853.– Je suis arrivée hier, ici, ravie de me retrouver dans mon home, émue par l'accueil qui m'est fait par la population.

      Lady Westmorland m'écrit de Vienne que le Roi Léopold doit être, ce qu'il est en effet, enchanté de l'accueil que l'Empereur et son Auguste Mère lui font81. Lord Westmorland

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<p>79</p>

De l'italien: le véritable portrait du très saint Fondateur des Ordres mendiants.

<p>80</p>

Princesse d'Orléans, fille du Roi Louis-Philippe.

<p>81</p>

Le Roi Léopold des Belges, dans le but de présenter aux principales Cours de l'Europe son fils aîné, qui avait atteint sa majorité, et qu'il voulait marier, et en même temps désireux d'obtenir l'augmentation des garanties de l'indépendance de la Belgique, ainsi que la conclusion d'un traité de commerce avec le Zoll-Verein, entreprit, au mois de mai 1853, un voyage à Berlin et à Vienne. Le Roi de Prusse, qui le reçut à Berlin avec une grande affabilité, le retrouva peu de jours après dans la capitale de l'Autriche, où Frédéric-Guillaume IV, accompagné de son frère, le Prince Charles de Prusse, se rendit le 20 mai pour y signer le traité de commerce austro-prussien. Le Roi put alors assister aux fiançailles du Duc de Brabant avec l'Archiduchesse Marie, fille de feu le Palatin. Ce mariage fut célébré le 23 août suivant.