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singulièrement notre marche, malgré les efforts des cantonniers occupés au déblayage. J'ai déjà visité les églises de l'Annunziata, du Gesù, de Santo-Ciro et de San Lorenzo, l'Albergo di poveri et l'Ospedale di Santa Caterina. Tout cela a de l'intérêt et complète assez bien mon giro génois.

      Alexandrie, 18 mars 1853.– Adieu le Midi, le ciel pur, la mer bleue; adieu palmiers, myrtes, roses et oliviers! Nous avons traversé ce matin, par une pluie froide, ou plutôt par une neige fondue, cette partie nue et rude des Apennins. C'était fort laid et fort triste. A Bussana nous avons pris le chemin de fer. Nous étions entassés dans un wagon avec trois Anglais, dont l'un, Irlandais très loquace, revenant des Grandes Indes, les deux autres revenant de Rome et de Naples.

       Vérone, 22 mars 1853.– Nous avions quelque espérance d'atteindre Vérone dès hier au soir, ce qui, en effet, nous eût été facile, si nous n'avions pas manqué de dix minutes le dernier départ du chemin de fer. Il a donc fallu rester à Mantoue, où nous étions pitoyablement gîtés dans un détestable petit cabaret, les auberges passables étant encombrées par les parents de ceux qu'on juge en ce moment à Mantoue, non pas à la suite des derniers événements de Milan, mais en conséquence de la grande conspiration découverte en novembre dernier73; quatorze cents personnes sont gravement compromises; cinq ont déjà été exécutées dans un des forts de Mantoue. L'Empereur vient d'en gracier un grand nombre et de commuer la peine des autres. Mais, Mantoue, cette forteresse déjà si sérieuse et si obscure en elle-même, vue ainsi au travers des torrents d'une pluie glaciale, et sous le voile lugubre des conspirations et des tragédies réelles, dans une petite chambrette dont les vitres étaient cassées et la cheminée était pleine, non pas de feu, mais d'une fumée épaisse, offrait le plus triste séjour.

       Vérone, 24 mars 1853.– L'Archiduchesse Sophie a fait un touchant cadeau au comte O'Donnel, cet aide de camp qui était près de l'Empereur d'Autriche au moment de l'attentat contre sa personne. Elle lui a donné une bague très simple, contenant une grosse turquoise, qui s'ouvre, et sous laquelle se trouve une mèche des cheveux ensanglantés de l'Empereur, qui lui ont été coupés après l'attentat. En lui donnant cette bague, l'Archiduchesse a dit au comte O'Donnel: «Ce n'est pas un cadeau impérial, c'est le souvenir d'une mère reconnaissante.»

      On a fait à Vienne plusieurs bons mots, dont j'ai retenu les suivants: Le général Haynau est mort le même jour et presque à la même heure que l'Archevêque de Vienne, qui se nommait Milde (ce qui en allemand veut dire douceur). On dit donc, que malgré la férocité attribuée à Haynau, il est mort mit milde74. Voici le second bon mot. Le général Leiningen, en mission à Constantinople, a obtenu des Turcs de ne plus appeler les chrétiens des chiens; mais à la condition expresse que, désormais, il ne serait plus permis aux chrétiens de donner à leurs chiens le nom de Sultan. Ceci est bien digne du théâtre des Variétés.

      Une question plus sérieuse, plus importante, c'est l'arrestation à Milan d'un avocat, chez lequel on a saisi des papiers très explicatifs des projets mazziniens et, entre autres, la preuve qu'à un jour fort prochain, il devait éclater à Naples, Florence et Gênes, des explosions formidables, et mieux organisées que ne l'a été la dernière échauffourée de Milan. On a aussitôt expédié des courriers sur les différents points menacés qui, très probablement, seront arrivés à temps pour empêcher les bombes d'éclater.

       Vérone, 25 mars 1853.– Le maréchal Radetzky, m'ayant très poliment fait exprimer ses regrets qu'un reste de grippe ne lui permit pas de venir chez moi, j'ai été hier chez sa femme, où le Maréchal s'est rendu. L'appartement est beau, commode et chaud, la vieille dame fort polie; mais l'intérêt principal se fixait, naturellement, sur l'illustre vieillard, qui complète, pour moi, la série des illustres guerriers contemporains, que j'ai tous connus plus ou moins. Cette série commence par Souvarow qui, à Prague, lorsque son fils cherchait à épouser ma sœur, m'a fait sauter et gambader avec lui, quand j'avais sept à huit ans; ses originalités, encore plus que sa gloire, l'ont fixé dans mon souvenir. Napoléon, avec ses capitaines célèbres; Wellington, Schwarzenberg, Blücher, et maintenant Radetzky, et d'autres encore, m'ont été connus d'assez près, pour pouvoir conserver une impression distincte de leur individualité; et je sais apprécier cette longue chaîne d'illustrations contemporaines.

      Il est impossible d'avoir été plus naturellement obligeant, simple, et, en même temps, plus aimablement communicatif que le feld-maréchal Radetzky l'a été avec moi. Sa verdeur, son entrain, à quatre-vingt-six ans, sont une véritable merveille; mais il lui faut soigner une toux qui est incessante depuis quelques jours. Il était parfaitement rassuré sur les suites de la grande conspiration (qui se tramait et qui devait éclater hier), depuis qu'en outre de l'arrestation de l'avocat Milanais, on a aussi opéré celle d'un riche banquier de Bologne. Ici, on est obligé de faire garder les puits des casernes par des sentinelles, pour empêcher l'exécution du projet découvert de les empoisonner; les détails les plus douloureusement curieux abondent.

       Vérone, 26 mars 1853.– J'ai eu hier la visite du général Benedeck, une des plus brillantes célébrités des dernières campagnes d'Italie et de Hongrie. Il est maintenant chef d'état-major du feld-maréchal Radetzky. Sa position ici est très importante et, par le temps qui court, très lourde. Il est doux, modeste, poli; sa conversation mesurée sans être froide; ses blessures ont rendu sa santé délicate; il est maigre et de taille moyenne.

      Les uns disent que l'ennui commence à régner aux Tuileries; d'autres, au contraire, que les tendresses y sont extrêmes et que l'Impératrice est très touchée des soins constants et charmants dont elle est l'objet. En dehors des grandes soirées, il y en a de petites qu'on dit fort gaies. Pour les présentations à l'Impératrice, l'étiquette ne laisse pas que d'être sévère. Elle consiste en une simple défilade. Mme Le Hon en était furieuse et le disait tout haut.

      J'ai reçu une lettre de Mme Mollien, désolée du bruit, qui se répandait de tous côtés, que Mme la Duchesse d'Orléans épousait M. de Montguyon; et elle espère que toute cette histoire est une invention.

      Voici les extraits de deux lettres: la première est de M. de Falloux, la seconde du duc de Noailles:

       Premier extrait: «Je suis mal au courant des directions actuellement prédominantes à Venise; j'ai eu le chagrin de me trouver en désaccord avec un premier mouvement de M. le Comte de Chambord. A la suite du 2 Décembre, j'aurais voulu que l'élite seule du parti légitimiste représentât, en se retirant de tout, la protestation morale, mais qu'on laissât le gros de nos amis à leurs mairies, à leurs Conseils généraux, y fonder ou y développer les écoles religieuses, qui seules rendront la France, à l'avenir, une nation sur laquelle on puisse régner. Une ligne plus cassante, plus hostile a été préférée75. Je conçois que cela fut bien tentant pour le Chef de la maison de Bourbon; cependant, j'ai persisté à croire que les conseils donnés étaient exagérés et funestes. Quant à la fusion, M. le Comte de Chambord l'a toujours désirée et a beaucoup témoigné ce désir. On y a mal répondu; et il a fini par être blessé, sans cependant y renoncer ou la repousser absolument. Les d'Orléans répètent beaucoup qu'ils ont fait de nouvelles démarches; mais, de fait, ces démarches étaient des conditions déplacées. Voilà où on en est aujourd'hui. C'est une situation bien dangereuse pour tout le monde. Ce sont les Princes d'Orléans qui ont fait l'Empire; ils suivent une ligne de conduite toute propre à fortifier cet Empire. Tant que la France ne verra pas un grand et fort gouvernement à mettre à la place de ce qui lui donne aujourd'hui le repos matériel, elle ne s'en dégoûtera pas. Mais il faut craindre aussi les illusions du Comte de Chambord. Tant qu'il n'a pas d'enfants, le principe réside bien encore en lui, avec tous ses avantages; mais la réalité, la perpétuité de la Maison de Bourbon, sont dans la branche cadette. Le Comte de Chambord est donc fort paralysé, lui, dont la valeur première est l'hérédité; il ne faudrait donc pas qu'il voulût avoir trop rigoureusement raison, sans vouloir tenir compte de l'état de démoralisation où la France est plongée, sans réfléchir qu'une nation, dans

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<p>73</p>

La paix ayant été signée après la guerre de 1848-1849, l'Autriche, croyant rendre plus solide sa souveraineté sur ses possessions italiennes en les frappant de terreur, leur fit lourdement sentir le poids de son joug. Les populations de ces provinces, de plus en plus irritées, recoururent, malheureusement, pour le secouer, au moyen des conspirations. Mazzini, réfugié à Londres et à l'abri de tout danger, y avait fondé un Comité national d'où partait le mot d'ordre, et qui centralisait les efforts des sociétés secrètes répandues en Lombardie et en Vénétie, dans le seul but de chasser les Autrichiens d'Italie. Pour agir plus efficacement, un Comité révolutionnaire se constitua à Mantoue, sous la présidence d'un prêtre fort estimé: Enrico Tazzoli. La police autrichienne fut mise sur sa piste par l'imprudence d'un des membres du Comité qui, pour en augmenter le nombre, admit dans son sein des personnes appartenant aux classes les plus basses de la population. Dès lors, le secret devint impossible à garder et les procès commencèrent. Plusieurs exécutions en furent la suite et enfin celle du prêtre Crioli, fusillé à Mantoue pour avoir conseillé à des soldats autrichiens de déserter, fut le prélude de cette Conspiration de Mantoue qui eut son épilogue sur les glacis de Belfiore. Une poésie révolutionnaire ayant été trouvée sur une des victimes qui, sous le bâton, avoua qu'il la tenait du prêtre Tazzoli, ce dernier fut arrêté. On trouva dans ses papiers la liste chiffrée des noms de tous les membres du Comité révolutionnaire, dont un traître livra la clef, ce qui permit de les saisir et de les arrêter tous. Un long procès en fut la suite: procès qui dura depuis janvier 1852 jusqu'au 19 mars 1853. Les accusés étaient au nombre de cent cinquante; tous appartenaient aux meilleures classes de la population: neuf d'entre eux furent pendus à Belfiore à la suite de la sentence qui en condamnait presque la moitié à mort. Les autres virent leur peine commuée et furent envoyés aux galères.

<p>74</p>

Avec douceur.

<p>75</p>

Par ordre de M. le Comte de Chambord, les légitimistes devaient s'abstenir de toute espèce de service dans l'État.