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s'était évanoui avec la nouveauté de la pièce d'Othello.

      IV

       La jeunesse dorée de Fréron. – Louvet. – Lodoïska. – Les voleurs de diligences. – Aventure à Tournay. – Les faux assignats. – Le chevalier Blondel. – Aigré.

      À la terreur succéda une réaction qui ne fut pas moins cruelle, mais comme elle se répandit dans les départements, dans les campagnes, sur les grandes routes, et ne se manifesta à Paris que par les extravagances de ceux que l'on nomma la jeunesse dorée de Fréron, cela eut moins de retentissement dans la capitale, mais ce n'en fut pas moins fâcheux pour ceux qui en furent victimes.

      Fréron était un député de la Montagne; il avait été envoyé avec Tallien en mission à Bordeaux, où il ne s'était pas fait remarquer par une extrême philanthropie. Cependant il fut un de ceux qui attaquèrent Robespierre, lorsqu'ils craignirent pour leur propre sûreté.

      Après la réaction, Fréron fut l'étendard autour duquel se rallièrent les jeunes gens qui allaient dresser leurs plans de bataille dans les cafés, et les mettre à exécution sur les théâtres, dans les rues et chez les particuliers. Louvet, député de la Gironde, qui avait échappé miraculeusement à la proscription, ne put se soustraire à celle de ces messieurs, pour avoir fait chanter la Marseillaise au Théâtre de la République.

      Je ne connaissais point ce député; je savais seulement qu'il était lié avec Talma, mais je ne l'avais jamais rencontré chez lui, lorsque je voyais le plus habituellement Julie.

      On sait combien son roman du Chevalier de Faublas a fait de bruit; le joli opéra de Lodoïska en était un épisode. Cependant, aucune jeune femme n'eût osé avouer qu'elle avait lu cet ouvrage. Je me figurais que l'auteur devait être un cavalier charmant, aux manières élégantes et nobles; enfin un homme accompli. Un jour, j'entendis prononcer le nom de Louvet chez madame de Condorcet, où j'étais avec Julie Talma. C'était en 1794, après la terreur; on parlait de la proscription de ce député, et d'une brochure qu'il venait de publier. Dans cet opuscule, il faisait connaître minutieusement la manière dont il avait échappé à la mort par les soins et la tendre sollicitude d'une femme, qui depuis fut la sienne, et qu'il nommait Lodoïska. Je voulus avoir cette brochure, et je la lus avec un vif intérêt. On ne manque jamais de se tracer en idée, sous des couleurs ravissantes, l'image des héros dont on sait l'histoire. Je m'imaginais que le chevalier de Faublas était devenu un homme politique; que la légèreté de son âge était remplacée par des formes plus sérieuses et plus nobles, et que sa Lodoïska était toujours belle et toujours adorée. Cette fiction donnait plus de prix à l'ouvrage que je lisais. Je parlai de cette brochure à Julie, et de l'intérêt que ce récit m'avait fait éprouver, sans y ajouter mes suppositions; je lui dis seulement combien je désirais pouvoir rencontrer M. et madame Louvet.

      «Rien n'est plus facile, car ils dînent demain chez moi, et je comptais t'inviter.»

      J'acceptai avec empressement, et j'arrivai de bonne heure, tant mon impatience était grande de voir mes héros. Lorsqu'on les annonça, la maîtresse de la maison se leva pour aller au-devant d'eux, et je la suivis par un mouvement presque involontaire; mais je ne fus pas peu surprise de trouver, à la place du Faublas que je m'étais dessiné avec tant de complaisance, un petit homme maigre, à la figure bilieuse, au mauvais maintien, à la mise plus que négligée. Et cette belle Lodoïska!.. laide, noire, marquée de petite vérole, et de la tournure la plus commune[7]. Je fus tellement désenchantée, que je n'en pouvais croire mes yeux, et je regrettais encore mon illusion.

      Après les premières félicitations sur les dangers auxquels ils avaient échappé, sur le courage et l'admirable dévouement de madame Louvet, Julie me présenta à ce couple charmant.

      « – Voilà, leur dit-elle, une de mes amies qui avait un bien grand désir de vous voir; elle a lu avec avidité le récit touchant de vos dangers, et n'a respiré que lorsqu'elle vous a vus sauvés.»

      Louvet me fit un salut de la tête, accompagné d'un sourire qui voulait dire: «Tu croyais rencontrer un Faublas!…»

      Je pense qu'il avait lu mon étonnement sur ma figure. On parla de nouveau de ce temps de malheur et d'alarme, et de la façon ingénieuse avec laquelle Lodoïska avait soustrait à la mort ce malheureux proscrit, ce qui finit par m'intéresser beaucoup, car Louvet était un homme d'esprit et de mérite, et sa femme, malgré son physique peu agréable, n'en était pas moins une personne remarquable. La maladresse de son mari fut d'en faire une héroïne de roman et de la peindre sous des couleurs si séduisantes, dans son Faublas; s'il l'avait appelée tout bonnement madame Louvet, elle n'en aurait été que plus intéressante, et il lui aurait évité un ridicule qu'elle n'avait pas provoqué.

      Riouffe venait aussi de publier ses Mémoires d'un détenu; je les préfère maintenant de beaucoup à ceux de Louvet. Riouffe était à cette époque un charmant garçon[8], et je me le rappelle encore avec intérêt, sous la surveillance de son gendarme, et lorsqu'il pouvait, d'un moment à l'autre, porter sa tête sur l'échafaud.

      J'avais fait la musique de la romance qu'il avait composée en prison, et qui se trouve dans les Mémoires d'un détenu. Quoique je ne fusse pas très forte sur les règles de la composition, je la fis d'inspiration, et la chantai avec ce sentiment qui part du coeur: aussi plut-elle beaucoup à tous ses amis.

      Louvet ayant peu de moyens d'existence, voulut former un établissement de librairie. Il prit un magasin sous la galerie qui donnait alors sur la place, en face du libraire Barba et de la porte des artistes du Théâtre-Français. La belle jeunesse de Fréron ne manqua pas de venir assiéger la boutique du libraire qui avait fait chanter la Marseillaise au Théâtre de la République, et d'assaillir la belle Lodoïska de mille quolibets offensants.

      En voyant ce rassemblement à sa porte, madame Louvet s'était retirée dans son arrière-magasin, et son mari se promenait comme un lion qui ronge son frein. Lorsque ces messieurs n'eurent plus la facilité d'attaquer madame Louvet en face, ils se tournèrent contre son mari.

      «Eh bien! chante donc la Marseillaise, lui crièrent-ils.»

      Alors, dans un mouvement de rage, d'autant plus violent que depuis long-temps il le concentrait, il ouvre la porte en s'écriant d'un air de mépris:

      Que veut cette horde d'esclaves?..

      Ce beau mouvement de courage interdit un moment cette foule qui se réunissait contre un seul homme; mais bientôt après ils se mirent à vociférer de nouveau.

      Fort heureusement la patrouille, appelée par les voisins, parvint à les dissiper, mais Louvet ne put conserver son établissement, car de semblables scènes se renouvelèrent tous les jours.

      J'appris sa mort à mon retour de Bordeaux; cette pauvre madame Louvet était restée sans fortune. Je ne sais ce qu'elle est devenue et je ne l'ai rencontrée nulle part depuis.

      Après les dévaliseurs de diligences à main armée, vinrent les compagnies de Jésus, les chauffeurs, dont on parle si peu dans les écrits que l'on publie maintenant, et qui remplacèrent les républicains exaltés dont on parle tant.

      Les voleurs de diligences voulaient, disaient-ils, se dédommager de la perte de leurs biens, confisqués par la Convention; mais la plupart cependant n'avaient rien perdu, attendu qu'ils n'avaient rien à perdre, et les chauffeurs, ni vengeance ni représailles à exercer. Ils ne voulaient autre chose que le pillage et l'incendie. Lorsqu'ils attaquaient les habitations des propriétaires et des malheureux fermiers, ils s'inquiétaient peu de leurs opinions. Ceux qui avaient perdu leur famille et leurs biens à la révolution étaient d'honnêtes gens qui ne cherchaient point à s'en dédommager par de semblables moyens; mais, dans tous les partis, on a toujours cherché à couvrir de mauvaises actions par des sophismes. Lorsque les assignats parurent, il se forma une compagnie pour en fabriquer de faux, afin de les discréditer. Ces messieurs se chargeaient de les faire colporter; tout cela avec les meilleures intentions du monde, et pour ruiner la République qui les avait ruinés. Mais ils ne songeaient probablement pas que la fortune des particuliers, qui en étaient fort innocents, se perdait également.

      Voici

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