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par crainte ou par intérêt, calculer sur sa ruine supposée pour abandonner sa cause.

      Mais, dans le vrai, cette existence du peuple canadien n'est pas plus douteuse aujourd'hui, qu'elle ne l'a été à aucune époque de son histoire. Sa destinée est de lutter sans cesse, tantôt contre les barbares qui couvrent l'Amérique, tantôt contre une autre race qui, jetée en plus grand nombre que lui dans ce continent, y a acquis depuis longtemps une prépondérance, qui n'a plus rien à craindre. Mais qui peut dire que ces luttes aient retardé essentiellement sa marche? C'est pendant celle dont on craint les plus funestes résultats, que son extension a pris les plus grands développemens. Dans les 152 ans de la domination française, la population du Canada n'a atteint que le chiffre de 80,000 âmes environ, tandis que dans les 83 ans de la domination anglaise, ce chiffre s'est élevé à plus de 500,000, et le pays s'est établi dans sa plus grande étendue. On voit donc que les frayeurs dont l'on vient de parler, sont plus chimériques que réelles.

En effet, ce qui caractérise la race française, par-dessus toutes les autres, c'est «cette force secrète de cohésion et de résistance, qui maintient l'unité nationale à travers les plus cruelles vicissitudes et la relève triomphante de tous les obstacles.» La vieille étourderie gauloise, dit un auteur 7, a survécu aux immuables théocraties de l'Egypte et de l'Asie, aux savantes combinaisons politiques des Hellènes, à la sagesse et à la discipline conquérante des Romains. Doué d'un génie moins flexible, moins confiant et plus calculateur, ce peuple antique et toujours jeune quand retentit l'appel d'une noble pensée ou d'un grand homme, ce peuple eût disparu comme tant d'autres plus sages en apparence, et qui ont cessé d'être parce qu'ils ne comprenaient qu'un rôle, qu'un intérêt ou qu'une idée.

Note 7:(retour) M. Mailler: De la puissance et des institutions de l'Union Américaine.

      Rien ne prouve que les Français établis en Amérique aient perdu, au contraire, tout démontre qu'ils ont conservé, ce trait caractéristique de leurs pères, cette puissance énergique et insaisissable qui réside en eux-mêmes, et qui, comme le génie, échappe à l'astuce de la politique comme au tranchant de l'épée. Il se conserve, comme type, même lorsque tout semble annoncer sa destruction. Un noyau s'en forme-t-il au milieu des races étrangères, il se propage, en restant comme isolé, au sein de ces populations avec lesquelles il peut vivre, mais avec lesquelles il ne peut guère s'amalgamer. Des Allemands, des Hollandais, des Suédois se sont établis par groupes dans les États-Unis, et se sont insensiblement fondus dans la masse sans résistance, sans qu'une parole même révélât leur existence au monde. Au contraire, aux deux bouts de cette moitié du continent, deux groupes français ont pareillement pris place, et non seulement ils s'y maintiennent comme race, mais on dirait qu'une énergie qui est comme indépendante d'eux, repousse les attaques dirigées contre leur nationalité. Leurs rangs se resserrent, la fierté du grand peuple dont ils descendent et qui les anime alors qu'on les menace, leur fait rejeter toutes les capitulations qu'on leur offre; leur esprit de sociabilité, en les éloignant des races flegmatiques, les soutient aussi dans les situations où d'autres perdraient toute espérance. Enfin cette force de cohésion, dont nous venons de parler, se développe d'autant plus que l'on veut la détruire.

«La nationalité d'ailleurs n'est pas un fruit artificiel; c'est le don de Dieu; personne ne peut l'acquérir, et il est impossible de le perdre.» 8 Les six siècles de persécution, d'esclavage et de sang de l'Irlande sont une preuve mémorable des dangers de la dénationalisation, qu'on me passe ce terme, forcée et violente d'un peuple civilisé par un autre peuple civilisé.

Note 8:(retour) De la philosophie catholique en Italie, (M. Ferrari). – Revue des deux Mondes.

      Les hommes d'état éminens qui ont tenu le timon des affaires de la Grande-Bretagne après la cession du Canada en 1763, comprirent que la situation particulière des Canadiens, dans l'Amérique septentrionale, était un gage de leur fidélité; et cette prévision n'a été qu'une des preuves de la sagacité que le cabinet de cette puissance a données en tant d'occasions.

      Livrés aux réflexions pénibles que leur situation dut leur inspirer après la lutte sanglante et prolongée dans laquelle ils avaient montré tant de dévouement à la France, les Canadiens jetèrent les yeux sur l'avenir avec inquiétude. Délaissés par la partie la plus riche et la plus éclairée de leurs compatriotes qui, en abandonnant le pays, les privèrent du secours de leur expérience; faibles en nombre et mis un instant pour ainsi dire à la merci des populeuses provinces anglaises auxquelles ils avaient résisté pendant un siècle et demi avec tant d'honneur, ils ne désespérèrent pas, néanmoins, de leur position. Ils exposèrent au nouveau gouvernement leurs voeux en réclamant les droits qui leur avaient été garantis par les traités; ils représentèrent avec un admirable tact que la différence même qui existait entre leur langue et leur religion et celles des colonies voisines, les attacherait plutôt à la cause métropolitaine qu'à la cause coloniale: ils avaient deviné la révolution américaine.

      Le hasard a fait découvrir dans les archives du secrétariat provincial à Québec, un de ces mémoires, écrit avec beaucoup de sens, et dans lequel l'auteur a fait des prédictions que les événemens n'ont pas tardé à réaliser. En parlant de la séparation probable de l'Amérique du nord d'avec l'Angleterre, il observe «que s'il ne subsiste pas entre le Canada et la Grande-Bretagne d'anciens motifs de liaison et d'intérêt étrangers à ceux que la Nouvelle-Angleterre pourrait, dans le cas de la séparation, proposer au Canada, la Grande-Bretagne ne pourra non plus compter sur le Canada que sur la Nouvelle-Angleterre. Serait-ce un paradoxe d'ajouter, dit-il, que cette réunion de tout le continent de l'Amérique formée dans un principe de franchise absolue, préparera et amènera enfin le temps où il ne restera à l'Europe de colonies en Amérique, que celles que l'Amérique voudra bien lui laisser; car une expédition préparée dans la Nouvelle-Angleterre sera exécutée contre les Indes de l'ouest, avant même qu'on ait à Londres, la première nouvelle du projet.

      S'il est un moyen d'empêcher, ou du moins, d'éloigner cette révolution, ce ne peut-être que de favoriser tout ce qui peut entretenir une diversité d'opinions, de langage, de moeurs et d'intérêt entre le Canada et la Nouvelle-Angleterre.»

      La Grande-Bretagne influencée par ces raisons qui tiraient une nouvelle force des événemens qui se préparaient pour elle au-delà des mers, ne balança plus entre ses préjugés et une politique dictée si évidemment dans l'intérêt de l'intégrité de l'empire. La langue, les lois et la religion des Canadiens furent conservées dans le temps même où il aurait été comparativement facile pour elle d'abolir les unes et les autres, puisqu'elle possédait alors la moitié de toute l'Amérique. Elle eut bientôt lieu de se réjouir de ce qu'elle avait fait cependant. Deux ans à peine s'étaient écoulés depuis la promulgation de l'acte de 1774, que ses anciennes colonies étaient toutes en armes contre son autorité, et faisaient de vains efforts pour s'emparer du Canada, qu'elles disaient n'avoir aidé à conquérir que pour l'intérêt et la gloire de l'Angleterre.

      Les Canadiens appelés à défendre leurs institutions et leurs lois garanties par les traités et par ce même acte de 1774, que le congrès des provinces rebelles avait maladroitement «déclaré injuste, inconstitutionnel, très dangereux et subversif des droits américains,» se rangèrent sous le drapeau de leur nouvelle mère-patrie, qui profita ainsi plus tôt qu'elle ne l'avait pensé, de la sagesse de sa politique, politique sanctionnée depuis par le parlement impérial, en deux occasions solennelles, savoir: en 1791, en octroyant une charte constitutionnelle à cette province; et, en 1828, en déclarant que «les Canadiens d'origine française ne devaient pas être inquiétés le moins du monde dans la jouissance de leurs lois, de leur religion et de leurs priviléges, tel que cela leur avait été assuré par des actes du parlement britannique.»

      Si cette politique, qui a déjà sauvé deux fois le Canada, a été méconnue et répudiée par l'acte d'union, il n'est pas improbable que les événemens y fassent revenir, et qu'on s'aperçoive que les Canadiens, en s'amplifiant, ne deviennent rien moins qu'Anglais. Rien n'indique que l'avenir sera différent du passé; et ce retour pourrait être commandé par le progrès des colonies

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