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cette expression), il était impossible d'y trouver la moindre ressemblance de mots?

      Celui qui parla le premier des rapports du hongrois et du finnois fut un de ces Slaves de la Hongrie dont on a invoqué à tort l'opinion comme étant celle des Hongrois, Sajnovicz. Dans la joie de sa découverte il s'écria: Demonstratio idioma Hungarorum et Lapponum idem esse, et il écrivit une liste interminable de mots comparés. Schlœzer, on va le voir, prit plus froidement les choses, et trouva le idem beaucoup trop fort. Ce fut, je crois, Sajnovicz qui donna cette chanson esthonienne que les Hongrois devaient comprendre, et qui a toujours été pour eux fort inintelligible12.

      On se demande si c'est bien sérieusement qu'on a supposé de l'analogie entre le hongrois et le finnois, car il est impossible de trouver dans tous ces exemples quatre mots semblables. Quand on lit le français, l'italien ou l'espagnol, on reconnaît à chaque ligne le latin. Le valaque même, qui de tous les idiomes latins s'éloigne le plus de la langue-mère, a conservé des rapports évidents. J'ouvre le bréviaire valaque, et j'en copie la première phrase comparée avec la phrase latine.

      Mais que dire de cette chanson esthonienne, et de ces évangiles, et de ces dictionnaires comparatifs?

      Au reste, pour répondre aux écrivains qui admettent que les deux langues se composent des mêmes mots, on peut se borner à rappeler ce qu'a dit Schlœzer, lequel a attaché son nom à l'idée de l'origine finnoise. Dans ce cas son jugement n'est pas suspect. La liste des mots comparés de Sajnovicz, dit-il, ne donne pas plus de cent cinquante-quatre exemples, et si on retranche les dérivés, il n'en reste pas même la moitié. D'après Schlœzer lui-même, il n'y a donc environ que soixante-dix exemples sur lesquels on puisse s'appuyer. Mais qu'y a-t-il de surprenant dans ce fait que les deux langues ont soixante-dix mots communs? Il est certain que les Magyars ont été en contact avec les peuplades finnoises. N'est-il pas naturel que des peuples si différents, venus de si loin, apportant des idées si diverses, se soient pris mutuellement quelques mots? Les Hongrois ont de même dans leur langue autant de mots allemands, plus encore; quelques uns sont empruntés au latin, et même, en cherchant bien, on trouvera dans la langue hongroise soixante mots français, outre que nous avons en français une dizaine de mots hongrois13. En conclurez-vous que les Magyars sont Allemands, Latins ou Français?

      Et d'ailleurs, peut-on nier qu'il existe entre toutes les langues une certaine fraternité, de même qu'il existe une fraternité de race entre tous les hommes? De là vient qu'on a constaté entre le hongrois et le slave autant de rapports qu'entre le hongrois et le finnois.

      La ressemblance d'une centaine de mots ne prouve pas l'affinité entre deux langues, et montre seulement que les nations qui s'en servent se sont pris mutuellement quelques expressions. Des peuples de même race doivent nécessairement avoir les mêmes racines, les mêmes mots primitifs. Ils doivent au moins donner les mêmes noms aux sentiments ordinaires à l'homme. Ces analogies, il est impossible de les montrer dans les langues hongroise et finnoise.

      On objectera que les deux langues ont une même grammaire: voyons donc jusqu'à quel point cela est vrai.

      Leem, Fielstrœm, Hœgstrœm, Ganander, Comenius, Fogel, Eccard, et beaucoup d'autres philologues, ont fait des conjectures sur la langue hongroise, mais ne la savaient pas. «Leurs inventions n'ont servi qu'à nous faire sourire», me disait un Hongrois; et, comme le remarque fort bien Sajnovicz, on ne peut absolument rien tirer de leurs observations. Heureusement le hongrois Gyarmathi a essayé de prouver cette affinité. Nous avons donc là quelque chose de sérieux à examiner.

      L'ouvrage de Gyarmathi est très au dessous de son titre, qui est fort ambitieux. Il consiste en près de trois cents pages qui toutes contiennent des colonnes de mots comparés, dans le genre de ceux qu'on vient de lire. Çà et là sont quelques remarques fort courtes, placées en tête des chapitres et qui aboutissent à dire: Voici comment se forment dans les deux langues les terminaisons, ou bien: Voici comment se forment les comparatifs. Ces lignes sont suivies d'exemples qui montrent les comparatifs et les déclinaisons. De là vous passez aux colonnes d'adverbes, de prépositions, etc. Mais quant à la démonstration que ces langues sont grammaticalement semblables, vous la cherchez en vain, quoique le titre l'annonce hautement.

      Quelques années avant, quand il n'était pas encore admis que les Hongrois se rattachaient à la race finnoise, Gyarmathi, qui connaissait parfaitement sa langue, avait publié un ouvrage dans lequel il en faisait ressortir les principaux caractères. Il n'avait alors aucun but: il n'écrivait pas systématiquement; il cherchait seulement à montrer le génie de la langue hongroise, «qui, comme il le rappelait, a des qualités qui lui sont propres et ne peut être comparée qu'aux langues de l'Orient»14.

      «Le génie de la langue hongroise, sa construction naturelle, ses mots primitifs, consistant d'une seule syllabe, ses affixes, ses inflexions, tout enfin montre que c'est une langue orientale. Ou peut donc se la figurer, par rapport aux idiomes de l'Orient, comme un de ces petits-fils provenant d'un même aïeul, et dont les pères étaient frères. C'est ainsi que s'explique la ressemblance qu'on retrouve entre toutes les langues orientales.» Pápay, Étude de la littérature hongroise, 1694 (en hongrois).

      On doit regretter que le premier ouvrage de Gyarmathi ait été publié en hongrois et ne puisse pas être lu facilement, car il est une réfutation complète de celui qui l'a suivi. L'auteur lui-même compte si peu sur ce qu'il appelle sa démonstration grammaticale, que c'est surtout par le nombre de mots semblables qu'il compte frapper le lecteur, et il eût mieux fait d'intituler son livre Recueil de mots hongrois, finnois et lapons, suivis de quelques observations.

      Gyarmathi compare d'abord l'alphabet russe et l'alphabet hongrois, parce que, dit-il, il a écrit les mots finnois et lapons d'après l'orthographe russe. Il eût mieux fait de les écrire d'après l'orthographe hongroise, car la comparaison entre les mots aurait été plus facile. Il eut dû à la place faire connaître l'alphabet finnois: on aurait vu de suite que les deux langues n'ont pas les mêmes sons. L'auteur évite encore de parler de l'ancienne écriture magyare, qu'il a donnée dans son premier ouvrage, et qui ne ressemble à aucune écriture connue.

      Vient ensuite un chapitre sur les terminaisons. Il y a six pages de mots lapons et hongrois, qui n'ont pas du tout le même sens, mais qui, au dire de l'auteur, présentent des terminaisons semblables en as, es, is, os, etc. Ces pages sont précédées de quatorze lignes de texte dans lesquelles il prie le lecteur de remarquer les similitudes. On peut répondre que, si même les terminaisons se ressemblaient plus encore, il ne faudrait pas en tirer une conclusion, car des mots peuvent se terminer de la même manière dans deux langues sans que ces langues soient sœurs. Ce qui le prouve, c'est qu'entre la colonne laponne et la colonne hongroise se trouve une colonne de mots latins, qui donnent le sens des mots cités, et que parmi ces mots latins il y en a qui sont terminés en es, d'autres en is, lesquels font au pluriel es, c'est-à-dire qui sont absolument terminés comme les mots lapons. Cependant on n'a jamais dit qu'il y eût de l'affinité entre le latin et le finnois. Exemples:

      Nous irions plus loin que Gyarmathi: nous pourrions trouver un grand nombre de mots hongrois et français qui n'ont pas non plus la même signification, mais qui se prononcent semblablement.

      Cette remarque est donc sans valeur, et il n'y a là aucune règle grammaticale à tirer.

      Nous arrivons aux déclinaisons. Ici Gyarmathi remarque que le hongrois et le lapon n'ont qu'un seul genre: c'est une similitude. Mais il faut se rappeler que les langues finnoises sont asiatiques et possèdent quelques uns des caractères des

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<p>12</p>

Cette chanson a été reproduite en entier dans un article de M. André Horváth (Tudományos Gyüjtemény, 1823, 2k Kötet. – Collection scientifique de Pesth), dont la lecture m'a été fort utile. Il est intitulé: Les Hongrois ne sont pas Finnois, A' Magyar nemzet nem Fenn.

<p>13</p>

«Heiduque, trabant, hussard, schako, kolback, dolman, soutache», sont des mots hongrois francisés.

<p>14</p>

Gyarmathi, Leçons raisonnées de langue hongroise. Clausenbourg, 1794 (en hongrois).