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la mer Caspienne et le Volga, c'est ce dont personne ne doute. Qu'une séparation ait eu lieu dans cette contrée entre les bandes émigrantes, c'est encore ce que l'on peut soutenir. En effet, les Magyars ont marché vers la Pannonie en laissant en chemin des milliers d'hommes, comme cela arrivait dans toute émigration. On aurait tort de penser que tous les Hongrois fixés aujourd'hui en Europe sont venus dans le même temps. Les Sicules de la Transylvanie, les Hongrois qui vivent dans les Puszta, les Steppes, et ceux qui habitent la Moldavie, se sont suivis à des siècles d'intervalle.

      Ce fut une tradition non interrompue chez les Magyars, même après qu'ils se furent définitivement établis en Pannonie, qu'une grande partie de leurs frères s'étaient séparés d'eux pendant la route. Tant que les Magyars cherchèrent à s'avancer vers l'occident, c'est-à-dire jusqu'à Geyza, ils s'occupèrent peu de ces compagnons éloignés qui pouvaient les rejoindre dans la suite; ils continuèrent à aller plus avant, sans y penser davantage. Mais lorsqu'ils eurent renoncé à la vie nomade et aventureuse, quand le royaume de Hongrie se forma, s'organisa, les Magyars commencèrent à s'inquiéter de ceux qui étaient restés en chemin et qui ne venaient pas. Diverses expéditions furent entreprises dans le but de les amener en Hongrie.

      La première paraît avoir eu lieu deux siècles après Geyza. «Quatre moines se dirigèrent vers l'Asie pour chercher leurs frères; ils voyagèrent long-temps par terre et par mer, bravant toutes sortes de fatigues, mais sans succès. Un seul, nommé Othon, dans une contrée habitée par des payens rencontra quelques hommes de sa langue qui lui apprirent où se trouvaient les autres; mais il n'entra pas dans leur pays, et revint au contraire en Hongrie pour prendre des compagnons et tenter un nouveau voyage. Malheureusement il mourut huit jours après son retour.» Cette phrase est non pas traduite, mais tirée d'un manuscrit du Vatican qui donne le récit de la seconde expédition.

      Elle fut entreprise en 1240 sous Béla IV. Le moine hongrois Julian et trois autres religieux firent route vers Constantinople, voguèrent trente-trois jours sur la mer Noire, arrivèrent dans le pays de Sichia (terra Sichia), et après une marche de treize jours dans un désert, où ils ne virent ni hommes ni habitations, ils atteignirent l'Alanie chrétienne (Alaniam christianam). Ils y restèrent six mois; mais, ayant épuisé leurs ressources, et se trouvant réduits aux suprêmes nécessités, ils se résolurent à vendre deux d'entre eux comme esclaves. Ces deux moines ne savaient pas labourer et ne trouvaient pas d'acheteurs: ils pensèrent donc à retourner dans leur patrie. Les deux autres traversèrent pendant trente-sept jours un désert où ils ne rencontraient aucune route, et arrivèrent à Bunda, ville du pays des Sarrasins. Ils gagnèrent ensuite une seconde ville du même pays, où le compagnon de Julian mourut. Julian, resté seul, devint esclave d'un prêtre avec lequel il se rendit dans une grande ville d'où pouvaient sortir cinquante mille guerriers. Là il rencontra une femme hongroise, puis vers le Volga il trouva beaucoup de Magyars qui l'entourèrent avec joie et le questionnèrent sur leurs frères chrétiens: ils parlaient la pure langue magyare. Quoiqu'ils fussent payens, ils n'adoraient aucune idole. Ils ne cultivaient pas la terre, se nourrissaient de viande de cheval, et buvaient du sang et du lait de jument. Ils savaient par tradition qu'ils étaient les frères des Hongrois chrétiens; mais ils ignoraient complètement où ces derniers étaient établis. Leur bravoure les avait rendus redoutables: vaincus par les Tatars, leurs voisins, ils avaient ensuite fait alliance avec eux et ravagé ensemble quinze royaumes. Julian rencontra parmi eux des Tatars, et l'envoyé du khan tatar, lequel parlait plusieurs langues (ungaricum, rhutenicum, cumanicum, teutonicum, sarracenicum et tartaricum). Il fut sollicité par ses frères de rester avec eux; mais deux raisons le déterminèrent à revenir en Hongrie: il craignit qu'en convertissant à la foi catholique les Hongrois payens, il ne donnât l'éveil aux rois barbares qui se trouvaient placés entre eux et les Hongrois chrétiens; il craignit également de mourir avant de revoir ses compatriotes, et d'emporter le secret de sa découverte. En conséquence il quitta ses frères payens, et, se faisant indiquer une route plus directe, il retourna en Hongrie après avoir encore voyagé par terre et par mer.

      Vraisemblablement ces deux expéditions, dont on n'aurait pas eu connaissance sans le manuscrit du Vatican, ne furent pas les seules que les Magyars tentèrent. Bonfinio écrit que Mathias Corvin, ayant appris par des marchands qu'il y avait des hommes de sa race dans un pays éloigné, résolut de les appeler en Hongrie, et que la mort seule l'empêcha de mettre ce projet à exécution.

      Il est certain que les Hongrois qu'on cherchait étaient restés dans cette contrée située entre le Jaïk, le Volga et la mer Caspienne. C'est en arrivant vers ces parages que le moine Julian trouve ses compatriotes. Le tort des écrivains allemands est de placer la Grande-Hongrie, comme on l'appelle, aux sources du Volga, et de s'appuyer sans raison sur les récits des voyageurs, lesquels, comme il est évident, font mention du pays situé à l'embouchure de ce fleuve9

      Remarquons en effet la route suivie par les moines dans les deux expéditions. Les premiers voyagent trois ans par terre et par mer. Ont-ils pris la route de Moscou? Éavidemment non. Ils se sont dirigés vers l'Asie, comme le manuscrit le rapporte. Les seconds vont à Constantinople s'embarquer sur la mer Noire, et traversent des déserts pour arriver au Volga. Ont-ils pensé à aller chercher leurs compatriotes en passant devant Kiew et en gagnant Moscou? Évidemment non. Une phrase du manuscrit montre qu'ils ne savaient pas à la vérité où les trouver. Inventum fuit in gestis Hungarorum christianorum quod esset alla Ungaria major… Sciebant etiam per scripta antiquorum quod ad orientem essent; ubi essent, penitus ignorabant. Mais, s'ils ignoraient la position certaine de cette Hongrie, ils étaient sûrs du moins qu'elle était située à l'orient, et non pas au cœur de la Russie, comme le veulent les écrivains allemands. Nestor écrit: Ils étaient venus de l'Orient; il ne dit pas: Ils étaient venus du Nord.

      C'est donc dans cette contrée dont nous avons fixé les limites qu'avait eu lieu la séparation entre les bandes. La plus grande partie des émigrants était descendue vers le sud-ouest, tandis que quelques milliers de guerriers avaient fait halte près de la mer Caspienne. C'est pourquoi les moines traversaient la mer Noire et cherchaient le Volga.

      Ainsi, en disant que le peuple magyar partit du pays d'Ugra, passa devant Moscou et alla guerroyer avec les Valaques et les Slaves, les écrivains allemands se trouvent en opposition frappante avec les traditions hongroises, qui, au treizième siècle, étaient encore assez fortes pour que des hommes isolés allassent, à travers mille dangers, chercher leurs compatriotes à l'orient.

      Plan Carpin dit que «la Cumanie a immédiatement au Nord, après la Russie, les Mardouins, les Bilères, c'est-à-dire la Grande-Bulgarie, les Bastargues ou la Grande-Hongrie…» Les noms des peuples qui environnent la Grande-Hongrie prouvent qu'il n'est pas ici question des sources du Volga, et on est confirmé dans cette pensée par une phrase de Plan Carpin qui vient ensuite: «À l'ouest sont la Hongrie et la Russie.» Bien certainement, si Plan Carpin a rencontré des Magyars près du Volga, c'est à l'embouchure de ce fleuve. En outre, dans l'atlas manuscrit de Pierre Vesconte d'Ianna, dressé en 1318, et qui se trouve dans la bibliothèque impériale de Vienne, ainsi que dans d'autres cartes du même siècle, on voit le nom de Comania ou Chumania au nord de la mer d'Azow10. Si la Cumanie était située au nord de la mer d'Azow et la Grande-Hongrie au nord de la Cumanie, immédiatement après la Russie, c'est-à-dire vers l'est, il est clair que la Grande-Hongrie n'était pas éloignée de l'embouchure du Volga, tandis qu'elle était séparée par une grande distance des sources de ce fleuve.

      Ce ne sont pas là les seuls faits sur lesquels nous nous appuyons. Nous trouvons dans les historiens bysantins, qu'il faut toujours consulter quand on parle des Hongrois, que les Magyars étaient campés près du Volga et de la mer Caspienne à l'époque où on prétend qu'ils étaient encore réunis aux Finnois. On lit en effet dans Siméon, Léon le Grammairien, Zonare et Ménandre, que «l'ambassadeur de Justin, Zemarchus, envoyé chez Dsabul, chef des Turcs, rencontra les Hongrois qui habitaient entre le Jaïk et le Volga.» Il s'agit positivement ici des Hongrois, car les historiens grecs ont soin de les distinguer des Turcs. Cette ambassade est de 569. Or on prétend que les Magyars se séparèrent des Finnois en 625.

      Les écrivains allemands sont donc démentis par les historiens bysantins,

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<p>9</p>

Ces Hongrois se seront peut-être fondus avec les Tatars, auxquels, d'après le manuscrit de Vatican, ils étaient déjà réunis au treizième siècle. Peut-être aussi auront-ils marché vers le Caucase, où se trouvent aujourd'hui encore des Magyars. (V. le voyage de Besse, dont quelques extraits sont placés à la fin de ce travail.)

<p>10</p>

Besse, Voyage en Crimée, au Caucase, etc.