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montait le Pélican, put entrer dans la mer libre, ayant depuis longtemps perdu ses autres bâtimens de vue. Il arriva seul devant le fort Nelson, le 4 septembre. Le lendemain matin cependant il aperçut trois voiles à quelques lieues sous le vent, qui louvoyaient pour entrer dans la rade où il était; il ne douta point que ce fût le reste de ses vaisseaux. Mais après leur avoir fait des signaux de reconnaissance auxquels ils ne répondirent point, il dut se détromper, c'étaient des ennemis. Ne pouvant les éviter, sa position devenait très critique; il se voyait surpris seul, traqué, pour ainsi dire, par une force supérieure au pied de la place même qu'il venait pour assiéger. Ces trois voiles anglaises étaient le Hampshire de 56 canons, le Dehring de 36, et l'Hudson-Bay de 32 canons. En entrant dans la baie, ils avaient découvert le Profond, un des vaisseaux de M. d'Iberville, commandé par M. Dugué, qui était pris dans les glaces, et ils l'avaient canonné par intervalle pendant dix heures. Le navire français, immobile, n'avait pu présenter à ses adversaires que les deux pièces de canon de son arrière. L'ennemi avait fini par l'abandonner le croyant percé à sombrer, et il s'était dirigé vers le fort Nelson, où il trouva le commandant français qui était, comme on l'a dit, arrivé de la veille.

La fuite pour ce dernier était impossible; il fallait combattre ou se rendre. Il choisit le premier parti. Son vaisseau portait cinquante pièces de canon, mais le chiffre de ses hommes en état de combattre 38 était en ce moment très faible, à cause des maladies et d'un détachement qu'il venait d'envoyer à terre et qu'il n'avait pas le temps de rappeler. Il paya cependant d'audace, et lâchant ses voiles au vent, il arriva sur les ennemis avec une intrépidité qui leur en imposa. Les Anglais venaient rangés en ligne, le Hampshire en tête. A neuf heures et demie le combat s'engagea. Le Pélican voulut aborder de suite le Hampshire, M. de la Potherie à la tête d'un détachement de Canadiens se tenant prêts à sauter sur son pont, mais celui-ci l'évita; alors d'Iberville rangea le Dehring et l'Hudson-Bay, en leur lâchant ses bordées. Le Hampshire revirant de bord au vent, s'attacha à lui, le couvrit de mousqueterie et de mitraille, le perça à l'eau et hacha ses manoeuvres. Le feu était extrêmement vif sur les quatre vaisseaux. Le commandant anglais cherchait à démâter le Pélican, et à le serrer contre un bas-fond, M. d'Iberville manoeuvrait pour déjouer ce plan et il réussit. Enfin au bout de trois heures et demie d'une lutte acharnée, voyant ses efforts inutiles, le Hampshire courant pour gagner le vent, recueille ses forces et pointe ses pièces pour couler bas son adversaire. Celui-ci, qui a prévu son dessein, le prolonge vergue à vergue, on se fusille d'un bord à l'autre. Les boulets et la mitraille font un terrible ravage. Une bordée du Hampshire blessa quatorze hommes dans la batterie inférieure du Pélican; celui-ci redouble son feu, pointe ses canons si juste et lâche une bordée si à propos, que son fier ennemi fit tout au plus sa longueur de chemin et sombra sous voile. Personne ne fut sauvé de son équipage.

Note 38:(retour) MM. de Martigny et Amiot de Villeneuve, ancêtre maternel de l'auteur, enseignes de vaisseau, étant allés à terre faire une reconnaissance avec vingt-deux hommes, et quarante autres étant malades du scorbut.

      Aussitôt d'Iberville vire de bord et court droit à l'Hudson-Bay, qui était le plus à portée d'entrer dans la rivière Ste. – Thérèse, mais qui, se voyant sur le point d'être abordé, amena son pavillon. Le Dehring, auquel on donna la chasse, réussit à se sauver, ayant moins souffert dans sa voilure que le redoutable vainqueur. Cette victoire donna la baie d'Hudson aux Français.

      M. d'Iberville retourna devant le fort Nelson. Dans la nuit une furieuse tempête, s'éleva, accompagnée d'une neige épaisse, et malgré tout ce qu'il put faire, et il était réputé l'un des plus habiles manoeuvriers de la marine française, le Pélican fut jeté à la côte avec sa prise vers minuit, et s'emplit d'eau presque jusqu'à la batterie supérieure. Son chef ne cessa pas dans cette circonstance critique de donner ses ordres avec calme; et comme c'était à l'époque de l'année où le soleil, dans cette latitude, descend à peine au-dessous de l'horison et qu'il se couche et se lève presqu'en même temps, la clarté empêcha que, malgré le grand nombre de blessés et de malades qu'il y avait à bord, personne ne périt alors.

      Le lendemain le calme s'étant rétabli, l'équipage put gagner la terre; les malades furent transportés dans des canots et sur des radeaux; il y avait deux lieues pour atteindre le rivage; 19 soldats moururent de froid pendant cette longue opération. Comme l'on était resté sans vivre après le naufrage, et qu'on ignorait ce qu'étaient devenus les autres vaisseaux, il fut résolu de donner l'assaut au fort sans délai; car «périr pour périr, disait M. de la Potherie, il vaut mieux sacrifier sa vie en soldat que de languir dans un bois où il y a déjà deux pieds de neige». Mais sur ces entrefaites arriva heureusement le reste de l'escadre française; alors pour ménager son monde, M. d'Iberville se voyant des provisions en quantité suffisante, abandonna sa première détermination, et attaqua la place en forme. Après qu'on l'eût bombardée quelque temps, elle se rendit à condition que la garnison serait transportée en Angleterre. M. de Martigny y fut laissé pour commandant. Ainsi le dernier poste que les Anglais avaient dans la baie d'Hudson tomba en notre pouvoir et la France resta seule maîtresse de cette région.

      Tandis que M. d'Iberville achevait cette conquête, elle reprenait tout à coup le projet si souvent abandonné de s'emparer de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-York. M. de Frontenac pressait cette entreprise, surtout l'attaque de la dernière province, parce qu'elle devait entraîner avec elle la sujétion des Iroquois. Peut-être prévoyait-il aussi, dans sa perspicacité, ce que New-York devait devenir un jour par sa position. Mais Boston était alors la première ville de l'Amérique du nord; il était comparativement voisin de l'Acadie, c'est sur lui que le ministère jeta les yeux. M. de Pontchartrain proposa son projet au roi qui l'agréa. Le commandement de l'expédition fut confié au marquis de Nesmond, officier qui s'était fort distingué dans la marine française. On lui donna dix vaisseaux de guerre, une galiote et deux brûlots. En même temps le comte de Frontenac reçut l'ordre de tenir ses troupes prêtes à marcher au premier ordre. Leur destination fut longtemps un mystère dans la colonie.

      Le marquis de Nesmond devait se rendre d'abord à Plaisance, pour s'assurer des conquêtes que les Français avaient faites l'année précédente dans l'île de Terreneuve, et pour livrer bataille à la flotte anglaise que l'on disait destinée à s'emparer de toute l'île. Il devait ensuite informer le comte de Frontenac de ses progrès, afin que ce gouverneur pût se rendre avec ses troupes, au nombre de quinze cents hommes, à Pentagoët pour s'embarquer sur l'escadre, qui cinglerait alors vers Boston. Cette ville prise, toutes les côtes de la Nouvelle-Angleterre devaient être ravagées le plus avant que l'on pourrait dans l'intérieur, jusqu'à Pescadoué (Piscataqua). Si la saison le permettait, la Nouvelle-York devait subir le même sort, et les troupes canadiennes, en s'en retournant dans leur pays par cette province, avaient ordre de commettre les mêmes dévastations sur leur passage.

      La nouvelle de ces armemens, malgré le secret qu'on avait ordonné, arriva dans les colonies anglaises par différentes voies à la fois. On faisait courir en même temps le bruit en Canada que les Anglais allaient revenir l'attaquer, peut-être était-ce pour dépister le public sur l'objet des levées de troupes du gouvernement. La milice fut aussitôt appelée sous les armes dans la Nouvelle-Angleterre. La citadelle de Boston fut mise en état de défense, et cinq cents hommes furent envoyés pour garder la frontière orientale ouverte aux courses des Abénaquis. «Ce fut là, dit Hutchinson, une époque critique, peut-être autant que celle à laquelle le duc d'Anville était avec son escadre à Chibouctou». Les temps ont bien changé depuis.

      Cette entreprise dont le succès avait souri au marquis de Nesmond, manqua faute de diligence, ou peut-être faute d'argent; car la guerre en Europe ruinait les finances du royaume. Il ne put partir de la Rochelle qu'à la fin de mai (1697), et les vents contraires le retinrent deux mois dans la traversée. Quand il arriva à Terreneuve, il convoqua un grand conseil de guerre dans lequel il fut décidé que la saison était trop avancée pour attaquer Boston, attendu que les troupes du Canada ne pourraient arriver à Pentagoët que le 10 septembre, et que la flotte n'avait plus que pour cinquante jours de vivres. Un bâtiment fut immédiatement dépêché à Québec pour communiquer cette détermination au comte de Frontenac. M. de Nesmond envoya en même temps à la découverte

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