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L'Écuyère. Paul Bourget
Читать онлайн.Название L'Écuyère
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Paul Bourget
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– «Qu'on me laisse passer, l'amateur… Ça coupe, ça…»
– «Et ça?..», répondit le jeune homme. «Ça coupe aussi, canaille.» Et, de sa cravache, il avait cinglé le visage du misérable, qui poussa un rugissement de douleur.
– «Ah! la crapule!» hurla-t-il, «mais je t'aurai, toi. Je t'aurai…» Et il porta à l'inconnu un coup furieux avec son arme, que celui-ci esquiva en se jetant de côté, et parant un nouveau coup d'un revers de main, il saisit la lame. Le sang jaillit de ses doigts; mais il tenait le couteau que le brigand abandonna pour s'enfuir, à toutes jambes, à travers le taillis… Le jeune homme fit mine de se précipiter derrière lui. Puis il regarda du côté de la jeune fille. Il vit qu'elle ne bougeait pas. Il hésita un moment encore, et, haussant les épaules, comme si la chasse à l'assassin désarmé n'en valait pas la peine, il revint à la victime de cette infâme agression, afin de lui porter secours. Hilda était étendue sur le sol piétiné et foulé par la lutte de tout à l'heure. La réaction nerveuse de cette rapide et terrible aventure l'immobilisait. Haletante, les yeux grands ouverts, son frêle visage comme décomposé, avec ses traits délicats qui exprimaient une émotion si profonde, c'était une vision de grâce et de souffrance à ne jamais l'oublier. Son col, que le ruffian avait déchiré pour en arracher la petite broché, laissait voir, sur la peau blanche et blonde, les meurtrissures rouges laissées par les doigts brutaux, et la naissance de sa gorge virginale. Une des manchettes avait été mise en loques par le geste rapace qui avait dérobé le bracelet. Dans son costume d'amazone, qui dessinait la ligne svelte et fine de son corps si jeune, elle inspirait plus de pitié encore, tant on la devinait enfant et toute fragile. Le cordonnet de soie élastique qui assurait son chapeau avait été brisé dans cette effroyable scène de pugilat, et, toute décoiffée, la tresse d'or de ses cheveux, échappée des épingles, roulait sur son épaule. L'Alogos, lui, continuait son métier de sans-raison, aiguisant, maintenant, ses dents sur l'écorce d'un petit arbuste voisin de son sapin. Il était arrivé à l'atteindre en allant jusqu'à l'extrémité de sa bride.
– «Etes-vous blessée, madame?», demanda le sauveur en se penchant vers la délivrée. Et il essayait de lui prendre les mains pour l'aider à se relever.
– «Non,» fit Hilda en remuant la tête. Il entendit à peine cette syllabe, plutôt soupirée qu'articulée, d'une voix éteinte. Puis, dégageant ses doigts par une pudeur instinctive, elle se redressa à demi, toute seule, et, les couleurs lui revenant avec un peu de force, elle continua, d'un accent plus perceptible: «Je n'ai rien, que le saisissement… Cela va me passer… Mais c'est vous, monsieur, qui êtes blessé…»
– « Moi?..», dit le jeune homme en ouvrant sa main. Il faisait jouer ses doigts. «Je me suis coupé à la lame du couteau de cet apache, mais pas gravement. Ce ne sera rien… Les plaies ont saigné beaucoup. C'est mieux ainsi…» Il avait, en parlant, tiré son mouchoir de sa poche. Il commença à l'enrouler sur sa main malade. En quelques secondes, le linge fut rouge de sang. Tandis qu'il exécutait ce petit pansement, avec une mâle insouciance qui s'accordait bien à sa bravoure de tout à l'heure, la jeune Anglaise, revenue entièrement à elle, le regardait avec des yeux où la reconnaissance se mêlait déjà à une admiration. Il venait de lui sauver la vie, dans une rencontre presque fantastique, en l'an de grâce 1902, aux portes de Paris, – que dis-je? dans Paris même! – C'était bien de quoi éprouver, devant lui, ce petit sentiment d'enthousiasme, si naturel à une enfant de son âge! Mais elle l'eût rencontré, ce personnage, dans n'importe quelle circonstance, qu'elle l'eût, certes, remarqué, quitte à esquisser, comme si souvent, un hochement de tête et à se répéter un des propos familiers de sa mère:
– «On ne doit pas aimer son mari avec ses yeux, mais avec son cœur…»
Le sauveur d'Hilda était un jeune homme d'environ vingt-cinq ans, très bien pris dans sa moyenne taille, et dont la sveltesse vigoureuse révélait une libre vie d'épanouissement, sans aucune fatigue d'un travail quelconque. C'était celle que menaient, dans ces années, – qui ressemblaient à celles de l'ancien régime, on s'en rend compte à distance, par la douceur de vivre, – les oisifs comblés des hautes classes françaises. Son costume de cavalier était taillé d'après la mode la plus récente. Il constituait, à lui seul, un signalement social, et, plus encore, une frappante physionomie, où les plus farouches partisans des idées égalitaires eussent été obligés de reconnaître l'évidence de ce mystérieux et indiscutable prestige: la Race. Il y avait, dans la coupe des joues du courageux garçon, dans le pli de ses lèvres, dans la ligne un peu aiguë de son nez, une élégance qui rappelait celle de certains portraits du musée de Versailles: quelque chose de très viril et de très délicat, de très naturel et d'extrêmement raffiné. Des yeux noirs, d'une douceur calme et spirituelle, des lèvres aisément souriantes et d'un joli dessin sous une moustache brune, encore légère, achevaient d'en faire un type accompli de jeune patricien. Disons tout de suite qu'il portait, en effet, un des bons noms du Blaisois et qui figure, avec honneur, dans les mémoires sur la vie du maréchal de Vieilleville, écrits par Carloix. Il s'appelait Jules de Maligny. Un Maligny a épousé, à la fin du XVIIIe siècle, à Varsovie, où l'avaient entraîné les hasards de l'émigration, une comtesse Marie Gorka, de l'antique maison de Lodzia. Cette particularité d'origine explique comment Jules possédait, mélangée à la vive élégance d'un jeune seigneur de notre tradition nationale, une grâce caressante et souple qui lui venait de cet atavisme polonais. Il y avait du Slave dans ce Français, si Français pourtant. De là dérivait ce je ne sais quoi d'un peu alangui répandu sur toute sa personne, qui déconcertait et qui charmait tout à la fois. Ces quelques détails, que Hilda ne devait connaître que plus tard, étaient nécessaires à donner ici, au risque de diminuer un certain intérêt de surprise. Ils feront mieux comprendre quelle impression dut ressentir, en étudiant son défenseur de plus près, la pauvre petite Anglaise, au cœur inéveillé, à l'imagination sans analyse, qui le regardait nouer gaiement son mouchoir sur une blessure reçue pour elle.
– «Voilà!..», dit-il avec le rire d'enfant qu'il savait avoir et qui prenait plus de grâce encore sur sa bouche hardie, après qu'il venait de montrer une si intrépide audace. Il secoua sa main bandée et il ajouta: «Dans huit jours, il n'y paraîtra plus…» Puis, regardant autour de lui: «Il faut que je retrouve mon cheval, si je veux pouvoir vous raccompagner… Bon. Il s'est arrêté à brouter l'herbe au bout de l'allée. Il n'a pas volé son nom: Galopin. Le temps de le rattraper, pour qu'il ne lui passe pas par la tête l'idée de vagabonder à sa fantaisie, je reviens vous mettre en selle… N'ayez pas peur, madame, je ne vous perdrai pas de vue…»
– «Mais, je n'ai pas peur, monsieur…», dit miss Campbell avec un peu de rougeur à ses joues. Les premières minutes de saisissement étaient passées et la fierté, qui faisait le trait dominant de son caractère, reparaissait, en même temps qu'une timidité, plus farouche encore que d'habitude. Elle se sentait agitée d'une émotion si étrange, si inusitée, qu'elle lui était physiquement douloureuse, et elle éprouvait un besoin presque sauvage: fuir la présence de celui qui lui donnait cette émotion. Elle détacha le Rhin, qui se laissa faire, non sans avoir allongé ses lèvres, dans un dernier mouvement de convoitise, vers une belle pousse toute nouvelle, qu'il se réservait pour un suprême régal. Elle se mit à rouler tellement quellement la courroie, cause indirecte de son étonnante aventure. Elle assura davantage les sangles demeurées intactes, en avançant de deux trous les ardillons. Ce travail achevé, elle approcha son cheval d'un tronc coupé, s'y appuya du pied, et sauta en selle lestement, non sans s'être assurée que le jeune homme ne la regardait pas. Elle le vit qui s'approchait prudemment de sa bête à lui; mais, à l'instant où il étendait la main pour saisir la bride, le cob fit une dérobade, trotta environ vingt-cinq mètres et se remit à brouter. Le jeune homme s'avança de nouveau, de ce même pas tranquille qui devait rassurer le cheval. Il n'était plus qu'à deux pas, et il allait lever son bras. Une nouvelle fuite du rusé animal mit vingt-cinq autres mètres entre eux. Maligny se retourna pour tenir sa promesse et se rendre compte qu'il restait à portée de la jeune fille. Il continuait de la prendre pour une jeune femme… Elle n'était plus à la place où il l'avait laissée… Il se demandait, non